<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Aides publiques aux entreprises : Les (réels) enseignements de la commission d’enquête sénatoriale

2 décembre 2025

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Photo : Le Sénat français. (C) SIPA

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Aides publiques aux entreprises : Les (réels) enseignements de la commission d’enquête sénatoriale

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La commission d’enquête sénatoriale sur les aides publiques aux entreprises a remis son rapport le 1er juillet dernier¹. Trois chiffres ont retenu notre attention et méritent d’être mis en perspective.

Par Victor Fouquet, Docteur en droit. Auteur de La révolte fiscale. L’impôt : histoire, théories et avatars (Calmann-Lévy, 2019).

Un article à retrouver dans le N60 de Conflits. Vatican. La puissance du temps long.

Le rapport évalue le montant des aides publiques aux entreprises à « au moins 211 milliards d’euros en 2023 ». Le rapport précise qu’« ont été retenues les subventions de l’État, les aides versées par Bpifrance, les dépenses fiscales et les dépenses fiscales déclassées, ainsi que les allègements de cotisations sociales. N’ont pas été retenues en revanche les compensations pour charge de service public et les sommes assimilées² ». Ces 211 milliards d’euros d’aides sont répartis – précise plus loin le rapport³ – entre 2 267 dispositifs de nature très différente. En nombre, les deux tiers sont des subventions (66 %). En volume, les subventions aux entreprises ne représentent pourtant que 7 milliards d’euros. Les dépenses ou niches fiscales (88 milliards d’euros) et les allègements de cotisations sociales (75 milliards d’euros) représentent la voie privilégiée par la puissance publique pour « aider » les entreprises, le reliquat (41 milliards d’euros) étant formé d’interventions financières de Bpifrance.

Écrire, comme le fait l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac), que les aides publiques aux entreprises « représentent le premier budget de l’État », relève ni plus ni moins de la manipulation. Plus des trois quarts (77,25 % exactement) de ces aides aux entreprises sont en effet composés en volume de niches fiscales ou sociales, autrement dit de dérogations à la norme fiscale et sociale, c’est-à-dire d’allègements de prélèvements obligatoires seulement destinés à rendre le niveau de pression fiscale et le coût du travail supportables. D’ailleurs, les rapporteurs le concèdent eux-mêmes : « L’institut Rexecode a réalisé une comparaison internationale à partir des prélèvements bruts des entreprises (impôts sur la production, impôts en capital, impôts sur le revenu et cotisations) et des aides perçues (subventions à la production et aides à l’investissement). Il en ressort que le prélèvement net sur les sociétés non financières françaises atteint 20 % de la valeur ajoutée brute, soit le deuxième plus élevé de l’Union européenne après la Suède (23 %). »

Le Sénat français. (C) SIPA

Isoler le montant des aides versées en aval sans prendre en compte les prélèvements payés en amont, comme le font Attac et d’autres, est profondément malhonnête intellectuellement et méthodologiquement. Car c’est évidemment le paquet global qui importe : « aides moins prélèvements ». Or, on retiendra que, malgré 211 milliards d’euros d’aides réparties entre près de 2 300 dispositifs, la France enregistre le taux moyen de prélèvements obligatoires nets (c’est-à-dire déduction faite des aides reçues) sur la valeur ajoutée des entreprises, le deuxième plus élevé de l’Union européenne ! Symptomatique d’un interventionnisme tous azimuts, cet art très français, fait d’un empilement de couches sédimentaires de distorsions fiscales (en amont) et budgétaires ou réglementaires (en aval), relèverait presque d’une sorte de schizophrénie d’État. Une chose est sûre : elle génère complexité administrative et inefficacités productives, en faussant la bonne allocation des ressources.

Si elle ne surtaxait pas ses entreprises en amont, la France n’aurait pas à les subventionner ou à les détaxer aussi massivement en aval. C’est aussi simple que cela. Les aides aux entreprises sont un cautère sur une jambe de bois. Mieux vaudrait donc, de conserve, diminuer et le poids de la fiscalité et le poids des aides octroyées pour contrebalancer.

¹ Commission d’enquête du Sénat, Transparence et évaluation des aides publiques aux entreprises : une attente démocratique, un gage d’efficacité économique, rapport n° 808 de MM O. Rietmann, président, et F. Gay, rapporteur, 1er juillet 2025.

² Ibid., p. 20.

³ Ibid., p. 155-156.

⁴ Attac France, « Les aides publiques aux entreprises : un pognon de dingue, mais pour quel résultat ? », 9 juillet 2025 [en ligne].

⁵ Commission d’enquête du Sénat, Transparence et évaluation des aides publiques aux entreprises : une attente démocratique, un gage d’efficacité économique, op. cit., p. 21.

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À propos de l’auteur
Victor Fouquet

Victor Fouquet

Docteur en droit fiscal. Chargé d'étude au Sénat, professeur à l'ICP. Il travaille sur la fiscalité et les politiques fiscales en France et en Europe.

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