Entretien avec François Nicolas : « C’est en redécouvrant les trésors de notre pays que nous trouverons la force de le rebâtir »

17 juillet 2020

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : La Nuit aux Invalides https://lanuitauxinvalides.fr/presse/
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Entretien avec François Nicolas : « C’est en redécouvrant les trésors de notre pays que nous trouverons la force de le rebâtir »

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Entreprise à l’origine du spectacle La nuit aux Invalides en 2012, mais également de représentations au Mont Saint-Michel ou au Palais des Papes d’Avignon, Amaclio Productions a rencontré un grand succès populaire ces dernières années. Retour sur une méthode qui allie nouvelles technologies et plus vieilles pierres de France dans un but commun : faire aimer l’histoire et le patrimoine.

 

Entretien avec François Nicolas, directeur et fondateur d’Amaclio.

Conflits : Vos spectacles tendent à faire aimer l’Histoire et le patrimoine de la France et de l’Europe. Cet été sera la 8e édition de vos représentations ; comment est née cette « vocation » de représenter notre Histoire par la magie du spectacle ?

Amaclio : L’Histoire en France, ou devrais-je dire, l’enseignement de l’Histoire, est particulièrement polémiste pour ne pas dire idéologique. Cela a toujours été, les vainqueurs écrivent l’histoire après la bataille.  Le problème n’est en réalité pas là. Nous avons voulu surtout avec la création d’Amaclio (de ama, aimer en Latin et Clio, la muse de l’histoire), la faire aimer. Il n’y a pas pire punition ou destin que l’indifférence. Et c’est bien le constat que nous pouvons faire, trop de Français n’apprennent plus leur histoire et s’en désintéressent.

L’idée était donc de trouver un moyen, non didactique, mais pédagogique tout de même, pour attirer les Français vers une approche « nouvelle » de leur histoire à travers les grands monuments nationaux qui sont autant de vigiles de pierres de la grande Histoire, ou de la grande geste française.

« Par le son et l’image, nous essayons de toucher les sens. Il faut que cela soit spectaculaire. »

Nous avons commencé par la Nuit aux Invalides en 2012, au cœur de Paris, monument imposant et majestueux, condensé incroyable de l’histoire de France dont nous fêtons cette année les 350 ans.

Par le son et l’image, nous essayons de toucher les sens. Il faut que cela soit spectaculaire. Par l’histoire racontée, nous tentons d’éveiller les cœurs et l’émotion, pour arriver par le récit à accéder aux intelligences de nos spectateurs. C’est un ordre à respecter pour être efficace. C’est ce qui fait la réussite d’un spectacle « total » ou « magique » diront certains.

 

Conflits : Les thèmes sont variés, et pourtant il faut faire des choix, car l’Histoire est vaste et profonde. Comment sélectionnez-vous les passages historiques que vous représentez ?

Amaclio : En premier lieu de manière chronologique. Le thème, ou l’approche historique est choisi en fonction de l’histoire du lieu et de ce qu’il représente symboliquement. Au Palais des Papes, nous parlons des Papes et donc de l’histoire française de la chrétienté. Au Mont-Saint-Michel, nous évoquons le Mont et sa construction géologique, mais également de son édification matérielle et spirituelle et de son rayonnement à travers les siècles. Aux Invalides, l’histoire de France qui y est contée nous montre finalement qu’elle est guerrière et modelée par de nombreuses batailles. Gagnées ou perdues elles ont changé le cours de notre Histoire.

Chaque lieu renferme en lui une puissance évocatrice dans l’imaginaire collectif. Il s’agit de la faire sortir d’elle même pour la montrer sous ses meilleurs atours aux visiteurs français et étrangers. Le parti pris, car il y en a toujours un, au moins artistique, est de magnifier le lieu sans cacher la petite geste de l’histoire, mais sans non plus oublier au visiteur du soir les grandes heures de gloire du monument. L’histoire est un continuum. Pour être un brin provocateur, de Clovis à Macron, les évènements s’enchainent et s’expliquent par leurs causes. Même si les hasards de la petite histoire peuvent expliquer parfois la grande.

 

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Conflits : Valoriser le patrimoine est la pierre d’angle de votre œuvre grandissante. Comment les spectacles sont-ils conçus ? Y a-t-il un message spécifique à véhiculer dans chacun de vos spectacles ?

Amaclio : Le principe est que le lieu commande. Plus le lieu est difficile, plus le spectacle doit être abouti. André Gide disait : L’art nait de contrainte, vit de lutte, meurt de liberté. Bruno Seillier, notre créateur et « concepteur » des spectacles avec qui nous avons fondé Amaclio, aime s’attaquer aux sujets complexes tant historiquement que sur un plan architectural.  Il n’y a pas une recette particulière qui s’adapterait de gré ou de force dans tous les lieux. Il faut bien sûr respecter les codes classiques de toute création artistique. L’imagination prime, le lieu impose. C’est une alchimie complexe et unique à chaque fois. Il faut malgré tout une forte unité intérieure de vie pour y arriver.

Enfin, il n’y a pas de message à proprement parler. Pour Bruno Seillier, c’est l’acte de création qui prime et le désir de transmettre à travers l’histoire et le spectacle qu’il créait, l’amour de notre pays.

« Nos infographistes sont les « enlumineurs du XXIe siècle ». »

Conflits : Le lieu est un facteur primordial pour les représentations, sinon le facteur le plus important. Finalement, la première idée doit être celle de la créativité autour du lieu. Par quelles techniques ou technologies mettez-vous en valeur le site de la représentation ?

Amaclio : Ces techniques sont multiples et souvent à la pointe des dernières innovations. Elles doivent surtout s’effacer pour le spectateur. Non seulement pour ne pas défigurer le monument, mais aussi pour laisser planer le mystère et la magie. Souvent le monument se suffit à lui même. Il est la star de la soirée. Aujourd’hui, le procédé infographique est souvent utilisé. Peut-être trop d’ailleurs. Je rends surtout hommage aux infographistes qui travaillent sous la direction de Bruno Seillier, sous une forme quasi bénédictine. Je les appelle les « enlumineurs du XXIe siècle » tant leur travail est méticuleux, précis. L’harmonie des couleurs et des formes constitue un ensemble de toute beauté synchronisée sur une bande-son qui supporte une mélodie et une narration pleine de profondeur et d’émotion. Aujourd’hui la qualité des images et du son a fait des progrès gigantesques. Le monument au cœur du récit onirique devient le temps d’une soirée une lumière pour tous.

 

Conflits : On parle beaucoup d’un « tourisme de masse » en France. Comment vous positionnez-vous par rapport à ce phénomène ? Pensez-vous aller à contre-courant de ce qui est de plus en plus mal perçu par les autochtones ?

Amaclio : La France est le premier pays touristique du monde et accueil chaque année environ 90 millions de personnes venues visiter notre beau pays. Loin devant l’Espagne, les États-Unis, l’Italie, etc. La diversité de nos paysages et la concentration de nos abbayes et cathédrales, châteaux et autres monuments emblématiques de notre histoire font qu’à de rares exceptions, le tourisme de masse se passe très bien. Nos infrastructures routières, ferroviaires et portuaires nous permettent cet afflux incroyable de touristes. Je ne crois pas, surtout aujourd’hui et la peur des pandémies qui reviennent, que le sujet soit pour les autochtones, le tourisme de masse. Le tourisme représente 20% du PIB marchand en France. C’est dire à quel point, un arrêt durable du tourisme serait une catastrophe.

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Certes, profitons de cette année de pandémie mondiale et d’arrêt des transports aériens entre autres, pour retourner à notre terre, celle de nos ancêtres et celle de nos enfants, dans une attitude humble et reconnaissante pour la beauté de notre pays. Profitons de ce moment particulier en famille pour nous rendre compte à quel point notre patrimoine, qui est notre première richesse matérielle et immatérielle, a besoin de nous.

C’est en redécouvrant les trésors de notre pays que nous trouverons la force de le rebâtir pour les générations futures.

 

Conflits : Finalement, vous vous inscrivez dans le même « combat » que des sites comme le Puy du Fou. Susciter la curiosité et l’émerveillement autour de l’Histoire et du patrimoine français, par le spectacle. Cela peut-il aider les jeunes générations à renouer avec l’Histoire de France et un passé commun ?

Amaclio : Pour répondre à votre question, je citerai simplement Malraux à la tribune de l’Assemblée nationale en 1967 :

Nos monuments sont le plus grand songe de la France. C’est pour cela que nous voulons les sauver ; pour l’admiration des touristes, mais d’abord pour l’émotion des enfants que l’on y conduit par la main. Michelet a montré jadis ces petits visages éblouis devant les images de leur pays où la gloire n’avait d’autre forme que celle du travail et du génie. Ce sont elles qui nourrissent notre communion la plus profonde. C’est par elles que les combats, les haines et les ferveurs qui composent notre histoire s’unissent, transfigurés, au fond fraternel de la mort. Puissions-nous faire que tous les enfants de France comprennent un jour que ces pierres toujours vivantes leur appartiennent à la condition de les aimer ! Et puissions-nous transmettre à nos successeurs cette garde solennelle de nos monuments, comme veillent aux Invalides, sur le tombeau de l’Empereur, les grands capitaines de la Monarchie et les soldats de l’Empire et de la République.

L’émotion mondiale suscitée par Notre-Dame en flammes est le témoin le plus récent et le plus vivant du devoir impérieux de tout français de chérir et d’être fier de son pays, de sa civilisation et par là de la faire rayonner dans le monde entier.

 

Pour découvrir Amaclio Productions : https://amaclio.com/

 

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