Armée et nation unies pour la souveraineté technologique. Entretien avec Bertrand Leblanc-Barbedienne

10 juillet 2025

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : (c) Souveraine Tech

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Armée et nation unies pour la souveraineté technologique. Entretien avec Bertrand Leblanc-Barbedienne

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À l’heure où la souveraineté technologique s’impose comme un enjeu vital face aux guerres hybrides et la dépendance numérique, le 3 colloque national de Souveraine Tech, organisé à Saint-Malo le 12 septembre, rassemble différents intervenants industriels, militaires et civils autour du thème « Raviver le lien armée-nation autour de l’innovation technologique ». Son fondateur, Bertrand Leblanc-Barbedienne, plaide pour une reconquête autant spirituelle que stratégique, liant puissance technologique, renaissance du lien civique et patriotisme.

Propos recueillis par François-Xavier Sanzey.

Bertrand Leblanc-Barbedienne est fondateur et président du média Souveraine Tech consacré à l’actualité des enjeux et des acteurs de la souveraineté technologique.

Quest-ce qui vous a poussé à fonder le média Souveraine tech” ainsi qu’à créer ce colloque?

La nature a horreur du vide. Au moment de la première publication de Souveraine Tech, il y a cinq ans, aucun média ne s’intéressait au sujet. Il m’a semblé alors qu’il était promis à de nombreux développements plus ou moins dramatiques. Et qu’il pouvait être intéressant de porter sur ces questions de « tekne » un regard au moins autant soucieux du « logos ». Notre média s’en est emparé en ligne, et s’est incarné il y a deux ans, à l’occasion d’un premier colloque au Palais du Grand Large de Saint-Malo, puis d’un deuxième en 2024. S’y sont retrouvées des personnes animées d’un même esprit combatif, dans un endroit hautement symbolique. Nicolas Moinet en parle si bien dans son dernier ouvrage, dont l’un des chapitres est intitulé « Les corsaires de la souveraineté ». Nous fignolons actuellement les préparatifs de notre troisième édition, qui s’intéressera cette année au triptyque Armée-Nation-Innovation.

La dernière édition était tournée vers la question des marchés et de la souveraineté, pourquoi s’être tourné vers la question du lien des armées avec la nation ? Quels sont les défis auxquels fait face aujourdhui ce lien ?

Il me semble utile d’envisager ce sujet de manière factuelle.

Nous sommes aujourd’hui une nation désarmée à maints égards. L’armée est l’expression physique, psychologique et matérielle de notre capacité à nous défendre collectivement. Mais honnêtement, que peut-elle pour une société civile dont les forces morales se sont considérablement amenuisées ? Nous vivons des temps historiques, qui nous ont permis de comprendre que la nation était finalement notre bien le plus précieux, qu’elle avait pour vocation de demeurer, et comme devoir de se défendre, notamment par la conquête technologique. Ce lien armée-nation m’intéresse parce qu’il vascularise tout ce dont et l’une et l’autre ont besoin, chacune dans sa forme propre : l’assomption de la puissance, le retour à l’organique, la nécessité d’un ordre établi, la subsidiarité, la culture d’une authentique sentiment d’appartenance, la poursuite des Universaux que sont le Beau, le Bien et le Vrai, et puis ce fameux affectio societatis, qui se trouve aujourd’hui, hélas, en lambeaux. Il suffit de lire la presse régionale pour en prendre conscience.

On retrouve parmi vos intervenants lors de cette édition des représentants dentreprises françaises dans des domaines variés, du cyber, de la sécurité, du service logiciel/saas, directeurs de médias, de conseil en propriété industrielle. Quelle place tient linnovation technologique dans l’équation souveraineté-armées-nation ?

Je sais que le bien-fondé du recours à ce vocable est disputé. D’autres vous diraient qu’il faut parler de progrès. Peu importe. Le progrès a sans doute une connotation morale plus forte. Mais dans des temps où, avec la puissance de calcul, nous sommes subrepticement passés du solutionnisme au messianisme, je ne suis pas certain que nous puissions tous nous retrouver sur une signification commune. Pour circuler autour de mon idée initiale, je considère que la place de l’innovation est de toute évidence immense dans ce lien armée-nation. Elle manifeste dans sa disposition à repousser les limites de notre capacité technique, notre instinct de survie, notre volonté de perdurer en plein chaos, de lutter pied à pied contre l’entropie. Notre manière à nous d’innover doit nous permettre de présider à notre destinée, de maintenir notre communauté de destin, mais surtout, de ne pas dévier de nos racines civilisationnelles : la transcendance, la finitude, le respect de la vie sous toutes ses formes, l’intégrité de la personne, l’inviolabilité absolue des libertés individuelles.

Par ailleurs, la participation des Jeunes de lIHEDN à votre colloque souligne limportance de la jeunesse pour ce lien, raviver le sentiment dappartenance nationale auprès des jeunes constitue-t-il un défi pour les armées comme pour ces entreprises ?

Je suis très reconnaissant à Rémi de Fritsch d’avoir accepté de prendre la parole à l’occasion de ce colloque. La jeune génération pleine de promesses qu’il incarne me semble beaucoup plus aux prises avec les réalités de la guerre économique dans laquelle nous sommes plongés. Je la sens tellement loin des jeux de pouvoir, des mondanités, des rigidités ou de la frilosité que l’on n’est jamais prêt à découvrir de manière clinique chez de hauts responsables en charge de notre avenir, civil ou militaire.

Quels sont pour vous les vecteurs prioritaires pour le raviver ? Pensez-vous quil y ait une réforme éducative, voire culturelle, à effectuer en ce sens ?

Nul ne réforme la manière dont nous devrions aimer notre pays, et tout est là cependant. J’habite en Bretagne, et depuis quelques mois, j’observe avec une extrasystole, dans les maisons environnantes, des mâts en haut desquels pavoisent nos trois couleurs. Je ne suis pas sociologue. Pourtant, j’ai l’intime conviction que rien de glorieux ne se produira s’agissant des questions dont nous parlons, tant qu’il ne sera pas tout à fait normal de les hisser dans son jardin comme dans son cœur. Cela suppose de nous réconcilier avec notre histoire, de renouer avec son cours immémorial, d’assumer qui nous sommes, et peut-être de nous donner enfin de nouveaux chefs exemplaires qui nous diront par l’exemple comment aimer ce pays convenablement, c’est-à-dire éperdument.

À qui est destiné ce 3e colloque national de Souveraineté Tech à Saint-Malo ?

Il est prioritairement destiné aux organisations, publiques et privées, soucieuses de réfléchir à ces questions dans un cadre propice au foisonnement humain. Mais tout le monde y est le bienvenu. L’objectif est que nous ayons au terme de cette journée, cousu quelques solides points de croix de la dentelle humaine que nous formons.

Quel message souhaitez-vous faire passer à travers ce colloque ?

J’aimerais que nous puissions nous dire qu’il n’est pas utile d’avoir attendu l’élection de tel ou tel président peroxydé pour prendre conscience de la nécessité d’armer notre pays au service des valeurs qui l’on vu naître il y a quinze siècles. Pour l’instant, nous n’avons perdu que la bataille des représentations. Haut les cœurs ! Et nos trois couleurs !

Programme de notre colloque du vendredi 12 septembre, et inscriptions.

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