Assassinat de Darlan, la fin d’une énigme

22 février 2023

Temps de lecture : 13 minutes

Photo : Revue de la flottille alliée sur le Rhin à Mayence le 23 avril 1919. Au premier plan, le capitaine Darlan, entre le général Mangin et le commander britannique Achison. Crédit : auteur inconnu, wikimedia commons

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Assassinat de Darlan, la fin d’une énigme

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Auteur de L’Exécution de Darlan, la fin d’une énigme paru aux Editions Librinova en 2022, Geoffroy d’Astier de la Vigerie nous plonge au cœur du complot qui mena à l’assassinat de l’amiral Darlan. La redécouverte du dossier d’instruction du juge Voituriez en 2016 au dépôt central d’archives de la justice militaire au Blanc (36) a permis au petit-fils d’Henri d’Astier de la Vigerie de faire la lumière d’une affaire qui a bouleversé le destin de la France libre.

Propos recueillis par Frédéric de Natal.

FDN : De votre famille, on a retenu trois noms. Celui de trois frères, tous futurs Compagnons de la Libération. Quelles sont les différentes raisons qui ont poussé Henri, François, et Emmanuel à rejoindre la Résistance au lendemain de la défaite de juin 1940 ?

GAV : Les trois frères d’Astier, différents les uns des autres, ne partageaient pas les mêmes opinions politiques. François, mon grand-père, l’aîné des garçons, faisait partie de la droite républicaine, Henri militait à l’Action française et Emmanuel, le plus jeune, nourrissait des idées d’extrême gauche. La tradition familiale étant de servir, ils se sont retrouvés sur le terrain du patriotisme. Dès le lendemain de la défaite, sans qu’ils se soient concertés, ils se sont engagés dans la Résistance, chacun dans sa ligne. Ils ont en commun un goût inné pour le commandement et l’action ainsi qu’un courage admirable, traits de caractère qui les ont amenés à devenir des chefs dans la Résistance intérieure ou extérieure de la France : François, général de corps aérien, a occupé à Londres auprès du général de Gaulle la fonction de commandant en chef adjoint des Forces françaises libres. Henri, un des principaux artisans du débarquement allié en Afrique du Nord, a été désigné chef de la police et du renseignement dans le gouvernement formé par l’amiral Darlan. Quant à Emmanuel, il a été ministre de l’Intérieur dans le gouvernement provisoire du général de Gaulle après avoir fondé et dirigé Libération, un des deux plus importants mouvements de la Résistance avec le mouvement Combat.

FDN : Longtemps considéré comme le dauphin du maréchal Pétain, l’amiral Darlan n’est déjà plus en odeur de sainteté en novembre 1942 auprès des Allemands qui vont imposer Pierre Laval à la tête du gouvernement de collaboration. Pourquoi débarque-t-il à Alger au même moment ?

GAV : Lorsque l’amiral Darlan était devenu vice-président du Conseil en février 1941 à la suite de Pierre Laval, il avait été officiellement désigné comme le successeur du maréchal Pétain et son remplaçant en cas de nécessité. En avril 1942, sous la pression des Allemands, Pétain avait rappelé Laval, obligeant Darlan à démissionner de ses fonctions gouvernementales. Il n’en demeurait pas moins le commandant en chef des armées et le successeur désigné du maréchal Pétain. A la fin du mois d’octobre 1942, à l’occasion d’une tournée d’inspection des forces militaires françaises en Afrique du Nord, il s’était rendu au chevet de son fils Alain, hospitalisé à Alger pour une crise aigüe de poliomyélite. Le 5 novembre, en apprenant que l’état de santé de son fils s’est brusquement aggravé, Darlan revient à Alger. Il ignore totalement qu’une puissante flotte de guerre anglo-américaine est sur le point de débarquer sur les côtes de l’Afrique du Nord. Sa présence imprévue à Alger le 8 novembre va sceller son destin.

FDN : Le débarquement des Alliés en Algérie française surprend autant Vichy que Berlin. Quel rôle a joué Henri d’Astier de la Vigerie dans ce qui reste comme un des tournants majeurs du conflit ?

GAV : Les historiens s’accordent à dire que le rôle d’Henri d’Astier de La Vigerie a été crucial, aussi bien dans la préparation du débarquement allié en Afrique du Nord que dans la réussite de cette opération. C’est d’ailleurs pour ces raisons qu’il a été fait Compagnon de la Libération par le général de Gaulle qui lui a décerné la Croix de la Libération avec cette citation : « Henri d’Astier de la Vigerie commença à organiser la résistance en Afrique du Nord dès le début de 1941. En mars 1942 il coordonna et unifia l’action de tous les groupements de Résistance. Il apporta l’aide la plus efficace à l’organisation d’un débarquement allié par de longs et minutieux préparatifs. Il contrôla personnellement la participation des organismes de résistance lors du débarquement du 8 novembre 1942 ; il prit part à l’action au milieu de ses hommes dont il avait su, par son cran, entretenir l’allant et assuma lui-même les missions les plus délicates. »

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FDN : Dans votre ouvrage L’exécution de Darlan, la fin d’une énigme, vous évoquez le groupe des Cinq. Qui sont-ils et pourquoi sont-ils si importants dans le complot qui se met progressivement en place ?

GAV : Ce groupe, constitué au début de 1942, se composait de cinq hommes farouchement hostiles aux Allemands et déterminés à favoriser, par une action intérieure, un débarquement allié en Afrique du Nord : Henri d’Astier de La Vigerie, Jacques Lemaigre-Dubreuil, Jean Rigault, Alphonse Van Hecke, et Jacques Tarbé de Saint-Hardouin. Par l’intermédiaire de Robert Murphy, consul général des Etats-Unis à Alger pour toute l’Afrique du Nord, ils étaient parvenus à entrer en contact avec le président Roosevelt qui avait donné son accord. 

Pour mettre au point les derniers préparatifs, Roosevelt avait envoyé par sous-marin une délégation militaire commandée par le général Clark, l’adjoint du général Eisenhower, que les Cinq ont rencontrée le 23 octobre dans une ferme isolée située à une centaine de kilomètres d’Alger. Avec l’aide de quelques centaines de jeunes résistants algérois, les Cinq envisageaient, le jour du débarquement allié, de neutraliser l’ensemble des centres vitaux de la ville d’Alger. Si le débarquement réussissait, leur plan prévoyait de placer le général Giraud à la tête de l’Afrique du Nord. 

L’opération Torch a été un très grand succès sur le plan militaire mais pas sur le plan politique : le 12 novembre, après trois jours de tergiversations, les Américains choisissent de donner le pouvoir à l’amiral Darlan, au grand dam des Cinq. Face à cette situation, Henri d’Astier et Marc Jacquet, un résistant royaliste proche des Cinq, échafaudent un plan pour remplacer l’amiral Darlan par le comte de Paris avec qui Henri d’Astier est en relation et dont il est un fervent partisan. Pour mener à bien leur projet, ils ont besoin de l’appui du plus grand nombre de personnalités possible, à commencer par les membres du groupe des Cinq dont certains ont accepté un poste dans le gouvernement formé par Darlan.

FDN : On sait Henri d’Astier de la Vigerie très lié au prétendant au trône de France dont il met le nom en avant dans le projet d’assassinat de Darlan. Peut-on parler clairement d’un complot monarchiste visant à installer le comte de Paris à la tête d’un régime de transition ?

GAV : Henri d’Orléans, comte de Paris, est devenu le chef de la Maison royale de France à la mort de son père en août 1940. Interdit de séjour en France depuis la loi d’exil de 1886 qui frappe les héritiers du trône de France, il habite avec sa famille dans une propriété située à Larache, au Maroc espagnol. Son ambition de restaurer la monarchie en France est tout à fait légitime, d’autant plus que le contexte de la guerre est propice à tous les changements politiques. C’est pourquoi, lorsque Henri d’Astier et ses amis lui proposent de prendre le pouvoir en Afrique du Nord à la place de l’amiral Darlan, il ne met pas longtemps à donner son adhésion au projet. 

Dans ses Mémoires, le comte de Paris explique que son objectif était d’abord de gouverner en Afrique du Nord, non en prétendant au trône mais en fédérateur, et que la question d’un changement de régime aurait été soumise au peuple de France une fois le pays libéré. Son but est donc bien de restaurer la monarchie. Ce qui est important de dire c’est que dans le projet, tel qu’il lui a été présenté par Henri d’Astier et ses amis, il n’est pas envisagé de tuer Darlan mais de l’obliger à démissionner afin de permettre au comte de Paris de se présenter et de se faire élire en toute légalité.

FDN : Cette idée faisait-elle vraiment l’unanimité au sein des différents protagonistes de cette affaire, des élus locaux ?

GAV : Henri d’Astier et Marc Jacquet, dès le début de leur complot, n’excluaient pas d’éliminer physiquement Darlan s’il refusait de quitter le pouvoir. Mais pour convaincre le comte de Paris ainsi que les conseillers généraux des départements algériens, entre autres, d’adhérer au projet il n’était pas question d’évoquer cette éventualité. De tous les protagonistes de cette affaire, quatre hommes seulement étaient déterminés à utiliser tous les moyens possibles pour faire aboutir le projet : Henri d’Astier, Marc Jacquet, Alfred Pose et l’abbé Cordier. Ce dernier habite chez Henri d’Astier dont il est l’homme de confiance.

Alfred Pose, dont Marc Jacquet est le plus proche collaborateur et ami, dirige une très grande banque. Il a été nommé secrétaire d’Etat aux affaires économiques dans le gouvernement de Darlan. Comme Darlan était détesté, il n’a pas été très difficile pour ces quatre hommes de rallier à leur projet beaucoup de personnalités algéroises, y compris militaires. Toutes hostiles à Darlan, les personnes sollicitées ne voyaient pas d’inconvénient à ce qu’il soit remplacé légalement par le comte de Paris, mais la plupart d’entre elles aurait refusé de soutenir un projet incluant l’assassinat de Darlan en vue de restaurer la monarchie.

FDN : Henri d’Astier de la Vigerie va plaider la cause du prétendant auprès des Alliés. Quelle est leur attitude face à cette candidature alors que l’on sait à cette époque que l’homme des Américains est le général Giraud qui apprécient plus ce gradé français que le général de Gaulle dont ils se méfient ?

GAV : Lorsque s’organise le complot contre Darlan, le général Giraud n’est pas encore l’homme des Américains. Si cela avait été le cas, les Américains lui auraient donné le pouvoir en Afrique du Nord au lendemain du débarquement comme l’avaient prévu Henri d’Astier et ses amis. Contraint par les Américains de faire cesser les combats au moment du débarquement, Darlan avait été désavoué par Hitler et Pétain. Darlan n’avait donc pas d’autre choix que de changer de camp. Si les Américains ont misé sur lui c’est parce qu’il leur était très utile : Darlan avait autorité sur l’armée française en Afrique du Nord et le pouvoir de rallier la flotte française qui lui était restée fidèle. C’est donc lui qui était l’homme des Américains et c’est la raison pour laquelle Roosevelt, par l’intermédiaire de Murphy, va refuser catégoriquement la proposition d’Henri d’Astier de l’écarter au profit du comte de Paris.

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FDN : Arrêté, libéré, l’amiral Darlan avait retourné sa veste. Pourquoi était-il encore essentiel de se « débarrasser de lui physiquement » alors qu’il n’était pas en soi une menace ?

GAV : Darlan n’avait retourné sa veste que par opportunisme. Placé à la tête de l’Afrique du Nord par les Américains, il a poursuivi la politique qu’il menait à Vichy. Pour la Résistance, même s’il n’était plus en soi une menace, il demeurait un traître dont il fallait se débarrasser.

Pour Henri d’Astier et ses amis royalistes, c’était l’occasion non seulement de se débarrasser d’un traître, mais aussi de préparer un retour à la monarchie.

FDN : En quoi consiste le fameux plan mis en place par Henri d’Astier de La Vigerie et ses complices et quel a été le rôle de François d’Astier de La Vigerie, votre grand-père, dans le déroulement de ce plan ?

GAV : Dans ses Mémoires, le comte de Paris donne des précisions sur le plan initialement prévu par les conspirateurs : le 18 ou le 19 décembre, une délégation formée par les conseillers généraux et plusieurs membres du gouvernement se présenterait à Darlan pour l’obliger à signer une lettre de démission préalablement rédigée. 

Un fois la démission obtenue, la délégation faisait appel au comte de Paris pour présider un nouveau gouvernement d’union nationale. Ce plan a échoué pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’amiral Darlan, très méfiant, a refusé de donner suite à la demande de rendez-vous de la délégation menée par Alfred Pose. Au même moment, la veille du jour fixé, le comte de Paris, comme il le raconte dans ses Mémoires, apprend la venue imminente de François d’Astier de La Vigerie. 

L’arrivée à Alger de l’adjoint du général de Gaulle, le 19 décembre, va bouleverser la situation. Il faut savoir que mon grand-père, qui avait commandé les forces aériennes françaises sur le front Nord où s’était déroulée la bataille de France, haïssait l’amiral Darlan. Durant le mois de juin 1940, alors qu’il était clair que la bataille était perdue en France métropolitaine, François d’Astier avait envisagé de continuer le combat en faisant passer l’aviation en Afrique du Nord où était stationnée une armée de cent mille hommes. L’amiral Darlan, commandant en chef de la Marine nationale, la plus puissante flotte maritime en Europe après la Royal Navy, lui avait assuré par deux fois qu’il le suivrait dans son projet et que la flotte continuerait à se battre. On connaît la suite : Darlan a retourné sa veste en entrant dans le nouveau gouvernement formé par Pétain tandis que François d’Astier était démis de ses fonctions et menacé d’arrestation s’il ne se soumettait pas aux directives de Vichy. Mon grand-père, qui avait rejoint le général de Gaulle à Londres, n’a pas cessé de déclarer officiellement que Darlan était un traître qu’il fallait liquider. C’est ce qu’il va dire, le jour de son arrivée à Alger, au comte de Paris qu’il rencontre pendant plus de deux heures au domicile de son frère Henri où est hébergé secrètement le Comte. 

Jusqu’à présent, contrairement à Henri d’Astier et Marc Jacquet, le comte de Paris n’avait pas envisagé la possibilité d’éliminer physiquement Darlan. Sous la pression des frères d’Astier il finit par se rendre à l’évidence que c’est la seule solution qui lui reste de devenir un jour roi de France. Le 21 décembre, le comte de Paris donne l’ordre à Henri d’Astier et à l’abbé Cordier d’éliminer physiquement Darlan sans délai et par tous les moyens. Témoin de cette déclaration, Louise d’Astier de La Vigerie, épouse d’Henri, en fera le récit à de nombreuses reprises.

FDN : C’est Fernand Bonnier de la Chapelle, qui va être désigné pour assassiner Darlan. Qui était-il ? Quel impact son acte va-t-il avoir sur le cours du conflit ?

GAV : Au lendemain du débarquement, Henri d’Astier avait mis sur pied un organisme paramilitaire regroupant une grande partie des jeunes résistants qui avaient facilité le débarquement en neutralisant les centres vitaux d’Alger ainsi que de nouveaux volontaires désireux de reprendre la lutte contre les Allemands. Leur camp d’entraînement étant situé à une vingtaine de kilomètres d’Alger, Fernand Bonnier de la Chapelle, âgé de vingt ans, avait été choisi pour faire les liaisons quotidiennes entre le camp et le domicile d’Henri d’Astier à Alger.

Comme tous ses autres camarades, Bonnier n’appréciait guère Darlan. De plus, il vouait à Henri d’Astier une grande admiration et une confiance absolue. Prêt à tout pour le servir, il accepte avec enthousiasme la mission que lui confie son chef d’exécuter l’amiral Darlan. C’est l’abbé Cordier qui lui remet un révolver et les plans du palais gouvernemental où se trouve le bureau de Darlan. Le 24 décembre, deux jeunes résistants, dont Jean-Bernard d’Astier, le fils d’Henri, conduisent Bonnier de la Chapelle au palais. Après avoir tiré sur Darlan qui mourra quelques minutes plus tard, Bonnier est malheureusement attrapé par les gardes mobiles.

La disparition de l’amiral Darlan va d’abord profiter à son successeur, le général Giraud.

Comme Giraud était du côté de la Résistance, cela a permis au général de Gaulle de négocier avec lui. Au mois de mai 1943, ils se sont mis d’accord pour partager le pouvoir, jusqu’à ce que Giraud, quelques mois plus tard, se contente d’un commandement dans l’armée. Si Darlan était resté au pouvoir, le général de Gaulle n’aurait jamais pu s’imposer.

FDN : Darlan assassiné, le coup d’État visant à mettre le comte de Paris au pouvoir échoue pourtant. C’est le général Giraud qui reçoit les pleins pouvoirs. On évoque même un contre coup d’État de nouveau en faveur du comte de Paris qui n’aboutit pas plus à la suite d’une trahison. Comment en est-on arrivé à un tel retournement de situation ?

GAV : Comprenant que le comte de Paris était mêlé à l’attentat, la plupart des personnalités qui s’étaient ralliés au projet de remplacer légalement Darlan par le prétendant ont refusé de soutenir sa candidature, si bien que c’est le général Giraud qui a été élu. Les conjurés jusqu’au-boutistes ont alors tenté de monter une action contre ce dernier mais ce nouveau coup d’Etat a été déjoué.

FDN : Fernand Bonnier de la Chapelle est exécuté le 26 décembre 1942. Pourquoi n’a-t-il pas été libéré ?

GAV : Chef de toute la police en Afrique du Nord, Henri d’Astier avait prévu que si Bonnier ne réussissait pas à s’échapper du palais il serait conduit dans les locaux de la police d’où il aurait été facile de le faire libérer. Malheureusement Bonnier est emmené dans les locaux de la garde mobile qui dépendent de l’armée. Chargé de l’enquête, un juge d’instruction attaché au tribunal militaire d’Alger a conclu au bout de quelques heures que le meurtrier avait agi seul, si bien que le tribunal militaire se réunit en cour martiale dès le lendemain soir de l’attentat et condamne Bonnier à la peine de mort. Henri d’Astier et ses amis haut-placés auront beau intercéder en sa faveur, le général Giraud refusera de gracier Bonnier.

FDN : Henri d’Astier de la Vigerie est arrêté en janvier 1943 sur la demande du général Giraud qui a demandé une enquête sur les auteurs de l’assassinat de Darlan. Son épouse, Louise, est même auditionnée. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de cet embastillement qui se termine par son inculpation pour meurtre ?

GAV : Le général Giraud, craignant d’être la prochaine victime d’un nouvel attentat, décide de faire toute la lumière sur l’assassinat de Darlan. Le 9 janvier 1943, il ordonne à un nouveau juge d’instruction, le commandant Voituriez, de reprendre l’enquête. En moins d’une semaine, Voituriez met au jour le complot monarchiste au profit du comte de Paris : Henri d’Astier, l’abbé Cordier, Marc Jacquet et Alfred Pose sont reconnus coupables d’avoir organisé un complot et assassiné l’amiral Darlan dans le but de changer le gouvernement.

Henri d’Astier et l’abbé Cordier sont emprisonnés et mis au secret absolu. Alfred Pose et Marc Jacquet, son chef de cabinet, échappent à la prison car c’est Pose qui soutient financièrement le gouvernement de Giraud. Quant au comte de Paris, il est ramené en avion jusqu’au Maroc espagnol.

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FDN : Que sont devenus les trois frères d’Astier de la Vigerie après l’assassinat de Darlan et à la fin de la Seconde Guerre mondiale ?

GAV : Libéré de prison en octobre 1943, Henri est nommé un mois plus tard membre à l’Assemblée consultative d’Alger. En avril 1944, il en démissionne pour créer les Commandos de France, une unité constituée de volontaires recrutés parmi les évadés de France. Le 17 août 1944, avec une partie de son unité, il débarque à Saint-Tropez puis affronte les Allemands dans plusieurs villes du sud de la France. Promu commandant, il est ensuite rejoint par l’ensemble des Commandos de France à la tête desquels il mène une brillante campagne jusqu’en Allemagne. 

Au cours des quatre premiers mois de l’année 1944, François, qui commande les troupes françaises à Londres depuis que le général de Gaulle s’est installé à Alger, est chargé, en liaison avec les généraux Eisenhower et Montgomery, de préparer la participation française aux futures opérations de débarquement. Le 10 avril 1944, il est remplacé à Londres par le général Koenig. Le général de Gaulle le rappelle à Alger puis, en novembre, le nomme ambassadeur de France au Brésil. 

De son côté, Emmanuel, premier chef de la Résistance intérieure à s’être rallié au général de Gaulle, participe avec Jean Moulin à l’unification des trois grands mouvements clandestins (Libération, Combat et Franc-Tireur) puis à la création du Conseil National de la Résistance. En novembre 1943, il rejoint à Alger le général de Gaulle qui le nomme commissaire à l’Intérieur dans le Comité français de libération nationale. C’est à ce titre qu’il négocie avec Winston Churchill l’armement de la Résistance française. En juin 1944, le CFLN se transforme en gouvernement provisoire de la République française dans lequel Emmanuel est ministre de l’Intérieur.

FDN : Pourquoi parlez-vous d’énigme concernant l’assassinat de Darlan. Les faits ne sont-ils clairement pas établis ?

GAV : Le juge Voituriez, en janvier 1943, avait en effet parfaitement et clairement établi les faits concernant l’assassinat de Darlan. Cependant, son dossier d’instruction, qui comportait plusieurs centaines de documents dont de très nombreux procès-verbaux d’interrogatoires et d’auditions, des pièces à conviction etc., avait disparu vers la fin de la guerre. Durant des décennies, tous les auteurs qui se sont intéressés à cette affaire ont avancé des hypothèses aussi diverses que variées, pour tenter de répondre à la question : qui a donné l’ordre de tuer Darlan ? Pour les uns c’était Winston Churchill, pour d’autres le général de Gaulle, pour d’autres encore les services secrets américains, et j’en passe. Certains auteurs ont même affirmé qu’il n’y avait jamais eu de complot, que Bonnier de La Chapelle avait agi seul à la suite d’un tirage au sort avec quelques-uns de ses jeunes camarades… 

De plus en plus confuse, l’affaire de l’assassinat Darlan avait fini par devenir une des plus grandes énigmes de notre histoire contemporaine. On a redécouvert en 2016 le dossier du juge d’instruction. Intitulé par Voituriez « Dossier d’Astier de La Vigerie et consorts », il se trouve au dépôt central d’archives de la justice militaire situé à Le Blanc, une petite commune de l’Indre. Après s’être égaré dans les archives du tribunal militaire d’Alger, sans doute à cause de son contenu très sensible, la guerre d’Algérie avait ensuite empêché son transfert en France pendant de nombreuses années.

Geoffroy d’Astier de La Vigerie, François, Henri et Emmanuel d’Astier de La Vigerie, Compagnons de la Libération, éditions Argel, 1990 ;

Geoffroy d’Astier de La Vigerie, Emmanuel d’Astier de La Vigerie, Combattant de la Résistance et de la Liberté, Editions France-Empire, 2009

Geoffroy d’Astier de La Vigerie, L’Exécution de Darlan, la fin d’une énigme, Editions Librinova, 2022

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