<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Blitzkrieg énergétique : l’Allemagne en campagne contre le nucléaire français

1 mai 2022

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Blitzkrieg énergétique : l’Allemagne en campagne contre le nucléaire français

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Berlin et l’industrie des énergies renouvelables multiplient les actions visant à affaiblir l’industrie française du nucléaire : ingérence, financement de campagnes d’influence, instrumentalisation des organisations civiles, verrouillage des institutions européennes et lobbying intensif.

En 2020, l’Allemagne a remporté une victoire décisive : la fermeture de la centrale de Fessenheim. Dans un rapport d’information de l’Assemblée nationale daté du 6 octobre 2021, les auteurs dénoncent la « place centrale […] laissée aux partenaires allemands » dans la décision de fermeture « prise sous la pression, entre autres, des autorités allemandes[i]. » Les Alsaciens y voient depuis le résultat d’une ingérence étrangère sur une question de souveraineté française[ii].

La naissance d’une écologie politique  

L’Allemagne possède un historique particulier avec le nucléaire. Encore traumatisée par les événements de la Seconde Guerre mondiale, elle est projetée au cœur de la guerre froide. Le pays vit sous la menace quotidienne d’une guerre nucléaire généralisée entre les États-Unis et l’URSS. La peur allemande est alors instrumentalisée par les Soviétiques ; la Stasi, police secrète de la RDA, infiltre le parti antinucléaire des Verts allemand afin d’entraver le déploiement d’euromissiles en RFA. Le sentiment antinucléaire en sort renforcé et le mouvement glisse progressivement du domaine militaire à l’aspect civil. En 1986, l’accident de Tchernobyl marque la perte totale de confiance dans l’atome. À partir de 2002, l’Allemagne planifie progressivement sa sortie du nucléaire, décision qu’elle confirme en 2011 à la suite de l’incident de Fukushima. L’événement fait l’objet d’une véritable frénésie médiatique sur le territoire allemand. L’Allemagne devient politiquement antinucléaire.

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Dès lors, Berlin oriente définitivement sa stratégie énergétique sur les énergies renouvelables (EnR). Elle ambitionne de devenir un leader européen dans le secteur et s’impose tout particulièrement dans l’énergie éolienne. Au 30 juin 2020, 64 % de la puissance éolienne installée en France provenait d’entreprises allemandes (Nordex, Siemens Gamesa, Senvion, Enercon)[iii].

Mais Berlin reste consciente que son industrie n’est pas aussi compétitive que celle du nucléaire. Elle doit être en capacité d’imposer son modèle au niveau de l’UE. Et pour cela, il lui faut affaiblir durablement l’industrie de son concurrent français.

Le verrouillage des instances stratégiques au sein de l’UE

De par sa taille et son dynamisme économique, l’Allemagne possède une influence importante sur la politique européenne. Le pays représente la première force au Parlement comptant dans ses rangs 96 des 705 députés européens. Dans son rapport J’Attaque ! Comment l’Allemagne affaiblit durablement la France sur la question de l’énergie ?, l’École de guerre économique dénonce la prédominance de la représentation allemande au sein des institutions de l’UE : présidence de la Commission européenne, présidence du Conseil de l’UE en 2020, présidence du premier parti européen, le PPE (179 députés), présidence de la seconde force européenne (S&D) jusqu’en 2019 (146 députés en 2021) et présidence du parti des Verts (73 députés) au Parlement. Par ce verrouillage des instances de gouvernance, l’Allemagne peut appuyer sa stratégie énergétique tout en fragilisant celle de la France.

En 2007, sous la présidence de l’Allemagne, l’UE adopte une directive sur la libéralisation du marché européen de l’énergie pour les particuliers. L’Allemagne s’est historiquement construite autour de quatre grands énergéticiens (E.ON, RWE, EnBW et le suédois Vattenfall). La France ne comptait qu’un seul fournisseur d’électricité : EDF. Pour se mettre en conformité, Paris adopte en 2010 la loi NOME, de laquelle découle le dispositif de l’ARENH. EDF doit depuis céder 25 % de sa production nucléaire à ses concurrents au prix de 42€/MWh bien que le fournisseur historique estime ses coûts de production à 53€/MWh. En d’autres termes, EDF vend à perte à ses concurrents qui récupèrent ses parts de marché. Année après année, la dette du groupe se creuse, alimentant les arguments de ses détracteurs. Si la Commission européenne accepte de nos jours de réévaluer son prix de rachat, c’est à des conditions extrêmement contraignantes. C’est l’objet du projet Hercule, rebaptisé Grand EDF qui vise à scinder les activités du groupe en trois et à isoler le nucléaire. Un projet très critiqué par les pronucléaires qui y voient le démantèlement du fleuron français.

Un lobbying intensif pour favoriser le modèle allemand

Dans un rapport de 2012, la chercheuse Inga Margrete Ydersbond démontre comment les lobbies allemands des EnR ont fait pression sur la Commission européenne autour de la directive 2009/28/EC[iv]. Celle-ci avait pour objectif de définir les mécanismes financiers de l’UE  dans le cadre du développement des EnR en Europe. Mais la proposition inquiète les leaders du secteur des renouvelables. Celle-ci pourrait remettre en question le système de garantie de prix de rachat. Ce dernier est une composante indispensable à la survie du modèle allemand : il permet aux producteurs d’énergie renouvelable de recevoir un prix fixe (bien supérieur au marché) par unité d’électricité produite pendant une longue période (généralement entre quinze et vingt ans). La directive menace dès lors l’expansion de l’industrie du renouvelable dans l’UE. La nouvelle préoccupe également Berlin qui réagit rapidement par une lettre adressée à la Commission. C’est après un « effort de lobbying sans précédent » que celle-ci intègre une nouvelle version favorable au maintien de tarifs de rachat.

Taxonomie européenne : bras de fer entre l’Allemagne et la France

Depuis plusieurs mois, la taxonomie, le système de classification des énergies considérées comme « durables » est au cœur des affrontements entre Paris et Berlin. La France tente d’y inclure le nucléaire. L’Allemagne tente de l’en empêcher.

En juillet 2021, l’Allemagne et quatre autres pays européens se sont alliés dans l’objectif de contester les conclusions du Centre commun de recherche missionné par la Commission[v]. Ce dernier apportait un avis favorable à l’inclusion de l’atome comme activité durable : « Les analyses n’ont pas révélé d’éléments scientifiques prouvant que l’énergie nucléaire est plus dommageable pour la santé ou l’environnement que d’autres technologies […] incluses dans la taxonomie. » Il précise également que la question des déchets nucléaires fait l’objet d’un « large consensus » en faveur du stockage en couche profonde, une méthode considérée comme « appropriée et sûre[vi] ». En réponse, la coalition autour de l’Allemagne a exhorté la Commission à tenir le nucléaire en dehors de la taxonomie[vii]. Elle a également profité de la médiatisation de la COP26 pour rappeler son opposition au projet évoquant une nouvelle fois le problème du stockage des déchets radioactifs.

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Paradoxalement, l’Allemagne pousse à l’inclusion du gaz dans l’outil de classification[viii] bien que celui-ci soit 40 fois plus émetteur de CO2 selon le GIEC. Sans nucléaire et en prévision de sa sortie du charbon, le gaz reste indispensable à la survie du modèle allemand. L’Allemagne possède également des intérêts financiers importants liés à la mise en service du North Stream 2, le gazoduc qui doublera la quantité de gaz russe acheminée en Europe. Elle deviendra ainsi le nouveau hub gazier européen, une source de revenus considérable. L’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder y travaille directement. En 2005, deux semaines avant la fin de son mandat, il avait signé le projet de construction du North Stream. Quelques semaines après, l’ex-chancelier est désigné président du comité d’actionnaires du gazoduc contrôlé par le géant russe Gazprom.

L’instrumentalisation des organisations civiles

Les organisations civiles constituent de puissants relais de la vision antinucléaire allemande. En 2015, le ministère des Affaires étrangères allemand publie un document intitulé Who is Who of the Energiewende in Germany. Ce dernier dresse la liste des différents partenaires politiques, industriels et civils de l’Energiewende. On y retrouve de célèbres organisations environnementales comme WWF ou Greenpeace connues pour leurs campagnes antinucléaires, les intrusions clandestines dans les centrales ou encore les blocages de sites.

Parmi ces partenaires, on peut également identifier une fondation politique allemande dénommée Heinrich Böll. Celle-ci œuvre pour « la transition sociale-écologique ». L’organisation possède des liens affirmés avec le parti des Verts allemand, mais également avec la nébuleuse antinucléaire française. Elle s’est notamment associée au Réseau Action Climat, une fédération d’ONG antinucléaires (WWF, Greenpeace, Sortir du nucléaire, Les Amis de la terre)[ix]. D’après son rapport annuel, le gouvernement allemand est le premier contributeur de la fondation (à hauteur de 68 %). En 2019, l’association a ainsi reçu près de 48 millions d’euros via différents ministères allemands, dont l’office des Affaires étrangères[x]. Quels liens peuvent exister entre l’État allemand et ces organisations civiles antinucléaires qui militent sur le territoire français ?

Les organisations civiles antinucléaires telles que WWF, Greenpeace, Sortir du nucléaire ou encore négaWatt entretiennent également des liens étroits avec le secteur des EnR. C’est ce que dénonce Fabien Bouglé dans son ouvrage Nucléaire : les vérités cachées. Face à l’illusion des énergies renouvelables. En Allemagne, Greenpeace a par exemple créé une coopérative de fourniture d’énergie renouvelable et de gaz. Celle-ci est partenaire de Vestas, un leader européen de l’éolien[xi]. Greenpeace possède ainsi des intérêts financiers liés à la vente d’énergie éolienne, solaire, mais aussi de gaz. Un aspect intéressant aux vues de son activisme antinucléaire.

Les ONG présentes en France ne font pas exception. Nombreuses sont celles qui possèdent des liens avec le secteur des EnR. C’est le cas de négaWatt, une association favorable à une sortie du nucléaire en France. Cette dernière est financée par des mécènes tels que RES, société spécialisée dans les EnR ou encore Enercon, leader allemand de l’éolien[xii]. C’est également le cas de l’association Sortir du nucléaire. L’organisation est partenaire d’Enercoop, coopérative française cocréée par Greenpeace et d’autres ONG antinucléaires. Enercoop est un fournisseur d’énergie « garantie 100 % renouvelable et 0 % d’origine nucléaire ». Au vu des intérêts financiers que ces ONG antinucléaires dégagent à travers le développement des EnR, on peut légitimement se questionner sur leur campagne d’influence contre le nucléaire. Ces organisations agissent-elles par pure philanthropie ou par intérêt financier ?

Guerre de l’information et opérations d’intoxication

Le nucléaire fait l’objet d’une guerre de l’information. Les ONG participent activement à entretenir celle-ci au risque de désinformer la population. À titre d’exemple, le Réseau Action Climat soutient que « le nucléaire ne permet pas de gérer les pics de consommation hivernale. Il faut importer de l’électricité souvent produite à partir d’énergie fossile[xiii] ». Au contraire, le nucléaire permet de produire de l’électricité de manière prévisible et mobilisable à tout moment. Ce n’est pas le cas de l’éolien ou du solaire qui sont des énergies intermittentes, dépendantes des aléas climatiques. Notre meilleur allié pour affronter les pics de consommation reste donc le nucléaire contrairement à ce que l’ONG prétend.

La guerre de l’information contre le nucléaire s’est révélée dévastatrice pour la France, mais très profitable pour l’industrie du renouvelable. Les campagnes contre l’atome ont durablement affecté la perception des citoyens français sur la question énergétique. En 2019, un sondage de BVA révèle le niveau de désinformation de la population française. Selon celui-ci, 69 % des personnes interrogées considéraient le nucléaire comme néfaste pour l’environnement. Pourtant, cette source d’énergie n’émet quasiment pas de CO2.

Autour du nucléaire, c’est donc bien un conflit économique, juridique et politique qui se joue entre la France et l’Allemagne. Un conflit dont dépend l’autonomie et l’indépendance énergétique de la France et de l’Europe.

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[i] Rapport d’information par la mission d’information sur le suivi de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, Assemblée Nationale, 6 octobre 2021.

[ii] « AFP, Fessenheim : la centrale nucléaire divise les deux rives du Rhin », Le Point, 10 mars 2016.

[iii] Observatoire de l’éolien 2020, « Analyse du marché, des emplois et des enjeux de l’éolien en France », 2020.

[iv] Inga Margrete Ydersbond, « Multi-level lobbying in the EU: The case of the Renewables Directive and the German energy industry», Fridtjof Nansen Institute, octobre 2012.

[v] Lettre commune de l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, le Luxembourg et l’Espagne à la Commission européenne, Euractive, juillet 2021.

[vi] Technical assessment of nuclear energy with respect to the « do no significant harm » criteria of Regulation (EU)

2020/852 (« Taxonomy Regulation »), JRC Science for Policy Report, 2021 (p. 9).

[vii] Derek Perrotte, « Climat : Bruxelles tergiverse encore sur la place du nucléaire », Les Échos, 22 octobre 2021.

[viii] Nikolaus J. Kurmayer, Le SPD allemand fait pression pour inclure le gaz dans la taxonomie du financement vert de l’UE, Euractiv, 11 octobre 2021.

[ix] Réseau Action Climat, Nucléaire : une fausse solution pour le climat, reseauactionclimat.org, 27 octobre 2015.

[x] Heinrich Boll Stiftung, Annual Report 2019, boell.de

[xi] Greenpeace, Pourquoi il faut sortir du gaz, greenpeace.fr

[xii] Association négaWatt, Statuts et financements, https://web.archive.org, 4 août 2020.

[xiii]Réseau Action Climat, « Je change de fournisseur d’électricité », reseauactionclimat.org, 11 avril 2017.

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Margot de Kerpoisson

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