<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Brésil : le mythe  de la démocratie raciale

27 septembre 2018

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Photo : Une militante du parti Frente Favela Brasil. Photo: Flickr
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Brésil : le mythe de la démocratie raciale

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En novembre 2016, le gouvernement de l’État du Parana, dans le sud du Brésil, a mené une expérience pour expliquer le racisme systémique. Deux groupes de professionnels des ressources humaines étaient invités à analyser des photographies d’individus : en costume, occupés à nettoyer, en train de courir. Des individus blancs pour un groupe, noirs pour l’autre.

Le groupe dédié aux personnes à la peau claire a distingué un PDG, une ménagère, un homme pressé. L’autre a interprété les situations bien différemment. Il y a vu un garde du corps, une bonne et un voleur en train de semer la police. Cette expérience témoigne de la persistance de la discrimination raciale dans les relations sociales brésiliennes. Même une analyse rapide du marché du travail brésilien suffit pour voir que, dans ce pays, pourtant marqué par la diversité ethnique, la « démocratie raciale » n’existe pas. Tous les indicateurs sociaux reflètent la différence entre Noirs et Blancs au Brésil. Les Noirs vivent en moyenne deux ans de moins, sont moins scolarisés et disposent d’un revenu égal à la moitié de celui des Blancs. D’où vient alors l’idée selon laquelle le Brésil est une « démocratie raciale » ? Le Brésil ne s’est jamais vraiment confronté à la question de la place des Noirs au sein de sa société. Pendant 350 ans, l’esclavage a été le cœur de l’économie brésilienne. Pour l’historienne Emilia Viotti da Costa, 40 % des dix millions d’Africains amenés aux Amériques par la traite négrière ont débarqué au Brésil. Les raisons qui ont conduit à la libération tardive des esclaves sont bien plus liées aux pertes économiques des maîtres qu’à la condition noire. Un système graduel d’abolition est engagé, jusqu’à la fin de la monarchie, qui libère complètement les esclaves en 1888. À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, le pays mène toute une série de politiques de « blanchiment » de la population. L’interdiction de l’immigration noire durant les différentes vagues d’immigration européenne (notamment italiennes, polonaises et allemandes) en est un exemple.

Les raisons du mythe

C’est à partir des années 1930 que le mythe de la « démocratie raciale » commence à émerger. Le travail de l’anthropologue Gilberto Freyre exalte la « miscégénation » du peuple brésilien. Dans ses œuvres, Gilberto Freyre parle de la coexistence harmonieuse entre les différentes races, qui donnerait naissance à un peuple métis. Ses impressions font pourtant aujourd’hui l’objet de nombreuses critiques pour avoir négligé la face cachée de cette créolisation : le viol des esclaves noires. Ce mythe de la « démocratie raciale » servait, selon l’historien Petrônio Domingues, à démobiliser le mouvement des anciens esclaves et à déculpabiliser les élites économiques, tout en maintenant le statu quo. Il a conforté l’incapacité des Brésiliens à reconnaître les préjugés chez eux. Selon un sondage de l’université de Sao Paulo, 97 % des gens ne se considèrent pas comme racistes, tandis que 98 % disent connaître quelqu’un qui est raciste. Mais le mythe sert également à redorer l’image du pays à l’étranger. À partir de la fin duie siècle, l’élite intellectuelle s’inspire des pratiques des États-Unis. Les abolitionnistes brésiliens sont alors en contact permanent avec leurs homologues américains. Le Brésil se démarque par son image de démocratie raciale ; le pays latino-américain « pourrait donner des leçons de liberté et de justice à la société américaine », dit un auteur américain de l’époque. Depuis une décennie, les universités fédérales réservent la moitié de leurs postes aux minorités raciales. Cependant, les quotas seuls ne sont pas en mesure de changer la réalité de l’exclusion. Selon l’ONG britannique Oxfam, si la diminution des inégalités entre Noirs et Blancs au Brésil continue à la même vitesse, le Brésil sera un pays égalitaire seulement en 2089 – plus de deux siècles après l’abolition de l’esclavage. Quelques groupes organisés souhaitent cependant prendre les choses en main. Un collectif de Rio de Janeiro a fondé le parti Frente Favela Brasil (le Front brésilien de la favela), une famille politique avec un parti pris : représenter les pauvres noirs des bidonvilles. Le parti ne pourra pas être officialisé à temps pour l’élection de 2018, mais ses leaders sont déterminés à bouleverser l’échiquier politique d’ici deux ans.

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Gustavo Ribeiro

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