La Syrie de Bachar al Assad fut l’un des pôles mondiaux de la production et de la diffusion du captagon. La chute du régime n’a pas mis un terme aux trafics, mais a révélé l’ampleur de la collusion entre réseaux criminels et structures politiques.
La chute récente du régime de Bachar al-Assad a profondément bouleversé la structure politique et économique de la Syrie. Après des années de guerre civile et d’isolement international, le trafic de captagon, amphétamine dérivée de la fénétylline, s’est imposé comme l’une des dernières sources majeures de revenus pour des acteurs locaux. Avec l’effondrement des institutions étatiques et la fragmentation du territoire, des groupes armés dissidents, milices locales et trafiquants opportunistes contrôlent désormais une grande partie de cette production clandestine, autrefois largement exploitée par le régime.
Industrialisation de la production
La Syrie est le centre névralgique mondial de la production de captagon, soutenue par des laboratoires clandestins mobiles et décentralisés.
Synthétisée à partir des années 1960 comme psychostimulant médical pour traiter la narcolepsie et les troubles de l’attention, la fénétylline fut interdite dans les années 1980 par l’OMS en raison de son potentiel addictif élevé. Dès lors, sa fabrication illégale a prospéré, particulièrement en Syrie depuis le début de la guerre civile en 2011. L’ancien régime syrien de Bachar al-Assad était régulièrement accusé d’exploiter cette économie parallèle pour compenser le déficit de devises étrangères et financer ses réseaux internes. Parallèlement, des groupes armés et des milices affiliées ont intégré ce commerce à leurs opérations, contrôlant des zones rurales où les laboratoires se relocalisent pour échapper aux frappes aériennes et aux saisies.
Les saisies internationales record témoignent de l’ampleur de ce trafic. La saisie de 14 tonnes en 2020 à Salerne, en Italie, représente l’exemple le plus frappant, illustrant des chaînes logistiques globalisées capables de dissimuler des cargaisons massives dans le commerce légitime. Près de Damas, les 97 saisies recensées pour 1,5 tonne révèlent à la fois l’intensité de la production locale et l’incapacité des autorités à endiguer le phénomène. La dispersion des laboratoires rend leur localisation complexe. Les routes terrestres via Beyrouth et Amman et maritimes via le port du Pirée en Grèce assurent l’acheminement du produit vers les marchés du Golfe, où la demande explose.
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Le captagon, levier économique pour les factions locales
La chute du régime syrien a entraîné une redistribution du pouvoir économique, dont le captagon est une ressource centrale. Les groupes armés locaux, milices et acteurs criminels exploitent ce commerce pour assurer leur financement et consolider leurs positions dans un environnement politique fragmenté. Le coût de production extrêmement faible, estimé à 0,50 dollar par comprimé, contraste avec un prix de revente pouvant atteindre 100 dollars dans les pays du Golfe, où la demande reste élevée.
Cette économie illégale contribue à alimenter les conflits internes, tout en fragilisant les efforts de reconstruction du pays. En effet les revenus générés par le captagon ne profitent ni aux populations locales ni à la réhabilitation des infrastructures civiles. Ils servent principalement à renforcer des structures parallèles militarisées, perpétuant le cycle de violence et d’instabilité.
Défis sécuritaires dans une Syrie post-Assad
La chute du régime d’Assad a également rendu la lutte contre le trafic de captagon plus complexe. Avec l’absence d’un pouvoir central fort, les efforts pour localiser et démanteler les infrastructures de production dispersées sont moins efficaces. Les saisies massives dans de nombreux ports méditerranéens et routes terrestres révèlent l’étendue de la capacité d’adaptation des réseaux transnationaux, qui utilisent des techniques toujours plus sophistiquées pour contourner les contrôles douaniers.
La crise de santé publique dans les pays consommateurs, notamment l’Arabie saoudite, s’aggrave. Les jeunes adultes, particulièrement vulnérables aux effets addictifs et psychostimulants du captagon, constituent la principale cible de ce marché. À l’échelle internationale, la coopération renforcée entre les États, Europol et les agences des Nations Unies reste essentielle pour coordonner les actions, démanteler les réseaux et endiguer l’expansion de ce trafic.