Castelnau : Le maréchal escamoté. Entretien de Jean-Louis Thiériot

27 février 2025

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Castelnau : Le maréchal escamoté. Entretien de Jean-Louis Thiériot

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Héros de la Grande Guerre, homme politique, artisan de la victoire de Verdun, le général de Castelnau est pourtant un officier oublié. En publiant une magistrale biographie à son sujet, Jean-Louis Thiériot remédie à l’oubli dont est victime Castelnau. Entretien avec l’auteur.

Il est de ces hommes qui, malgré une vie consacrée au service de la France, tombent dans la désuétude. Le général Edouard de Castelnau fait partie de ces derniers. Vainqueur de la trouée de Charmes, héros de la bataille de Verdun, père de la victoire de la Grande Guerre selon ses contemporains, l’homme politique se sera vu promettre le bâton de maréchal pour finalement ne jamais le recevoir après trois refus. Georges Clemenceau ira jusqu’à lui rendre un hommage en 1921 : « Il est regrettable qu’on l’ait oublié et c’est à nous, et non pas à lui, que cet oubli fait le plus grand tort ».

Jean-Louis Thiériot, ancien ministre délégué auprès du ministre des Armées et des Anciens Combattants, a remédié à cet oubli en consacrant un ouvrage au général. L’essayiste, député de Seine-et-Marne, livre là un véritable travail de mémoire. Entretien réalisé par Gabriel de Solages.

Jean-Louis Thiériot, Castelnau. Le maréchal escamoté. 1841-1944, Tallandier, 2025

Pourquoi avez-vous choisi le général de Castelnau comme sujet de votre ouvrage ?

C’est une conviction forte, dans la transmission des mémoires et des exemples inspirants, qui m’a poussé à l’écriture de ce livre sur Castelnau. Je n’étais pas un spécialiste du général. Je savais ce que tout honnête homme intéressé par l’histoire militaire sait : le rôle qu’il a eu aux frontières de l’Est en 1914. J’aimais l’idée de mettre en lumière ce nom oublié de l’histoire, qui a tant servi la France.
Mais le véritable point de départ a été une conversation que j’ai eue au camp de Mailly avec des officiers issus de la promotion de Saint-Cyr (2011-2014) qui avaient pris comme parrain Castelnau. Ils me répétaient qu’il existait des livres sur la vie de leur parrain, mais qu’il en manquait un accessible au grand public. Je me suis donc lancé dans cette aventure.

Quel est l’événement ou fait de vie du général qui vous a le plus marqué ?

Il s’agit d’un discours sur la mort prononcé quelques jours avant le déclenchement de la Grande Guerre. Il y explique que la guerre n’est pas la quête d’une vaine gloriole acquise en casoar et en gants blancs, mais que c’est la réponse à la question : où faut-il résister ? C’est pour cela qu’il pose la question à un de ses officiers : « Où voulez-vous mourir ? » À travers cette question, c’est là où nous savons où il faut s’arrêter. Cela veut dire qu’on peut accepter des replis tactiques si ça permet d’obtenir une meilleure position avec une défensive permettant de repartir à l’offensive. Il ne sert à rien d’envoyer, vainement, des hommes se faire faucher par les mitrailleuses.
Ce texte sur la mort est puissant. Il l’est encore plus lorsque l’on apprend qu’au moment où il prononce une de ses magnifiques phrases : « En avant, partout, à fond ! », lors de la bataille décisive de la trouée de Charmes, un de ses fils qui y était y trouve la mort. Ce sera le premier fils du Général à mourir pour la France, qui sera suivi par deux autres.

Dans votre ouvrage, vous parlez de Castelnau comme étant le « vrai sauveur de Verdun ». Quel rôle a-t-il joué dans ce fait d’armes français pour pouvoir le qualifier ainsi ?

Je ne mégoterai pas le rôle fondamental, qu’alors général, Pétain a joué dans la défense de Verdun. Mais la décision clé prise le 24 février, de ne pas abandonner la place et de ne pas se replier sur la rive gauche de la Meuse, est prise par Castelnau. En effet, c’est bien lui qui est appelé en urgence par le Général Joffre, alors commandant en chef, et c’est bien à lui que sont attribués les pleins pouvoirs afin de sauver Verdun. Dans la nuit du 24 au 25 février, Castelnau interrompt l’évacuation qui avait débuté et organise l’envoi de renforts massifs pour tenir Verdun. Et par cette décision phare, Verdun a été sauvée.

Si le grand public connaît le général de Castelnau, c’est par l’aspect militaire. Faut-il aussi retenir de lui une influence politique ?

En 1924, il crée la Fédération nationale catholique en réponse au Cartel des gauches qui voulait relancer la politique anticléricale d’avant guerre. Elle a dépassé 1 500 000 adhérents et a certainement contribué à la chute du Cartel en 1928. L’influence politique de Castelnau, elle est là. Son mouvement perdra en influence avec la montée du pacifisme autour du Front populaire, pacifisme qui se dévoile également chez les catholiques. Au contraire, justement, Castelnau prône le réarmement de la France, ce qui lui vaudra des soupçons de nationalisme et de nombreuses critiques. Une de ces critiques est restée gravée dans la postérité, celle d’Emmanuel Mounier, dans la revue Esprit, qui a eu en 1935 ces mots terribles : « Mon général, trois fils, n’est-ce pas assez ? »

Vous l’avez dit, il n’a jamais été nommé maréchal. Pourtant, il a été promis à cette distinction à trois reprises. Quels ont été les obstacles à son accès au maréchalat ?

Par l’homme profondément religieux qu’il était et qu’il assumait, le monde politique l’avait affublé de deux surnoms, le « Capucin botté » et le « général de la jésuitière ». Il y avait encore à l’époque une volonté de ne pas nommer maréchal un général qui incarnait un conservatisme lié à la droite catholique. Je précise toutefois qu’il s’agissait d’une droite catholique, qui, en ce qui concernait Castelnau, n’a jamais sombré dans l’antisémitisme. Il a toujours refusé toute compromission, notamment au moment du 6 février 1934, avec les Ligues des patriotes et l’association des Croix-de-Feu, par exemple. Mais cette foi pleinement vécue lui a certainement coûté ses sept étoiles de maréchal.

Le général, par ce qu’il représente, n’est-il pas aujourd’hui une figure un peu anachronique vis-à-vis du grand public ? Comment prendre en exemple un Castelnau en 2025 ? L’avez-vous fait ?

Il faut prendre en Castelnau un exemple de chef. Il y a des principes à sauver. Le premier peut être : la France et la patrie avant toute chose. Après, sur ce que devait être l’éthique du chef, je me suis directement inspiré de Castelnau. Il avait une singularité, lorsqu’il était adjoint de Joffre au Grand quartier général, de passer dans tous les bureaux pour échanger de manière informelle avec les membres de son état-major. C’est une de ses grandes marques de fabrique, cette proximité profondément humaine qu’il avait avec ses subordonnés. À ma manière, j’ai essayé de l’appliquer lorsque j’étais au cabinet ministériel.
Enfin, Castelnau m’a conforté dans cette conviction ancrée en moi que cela relevait d’une de nos responsabilités de chef que de profondément respecter les femmes et hommes placés sous nos ordres. C’est là une leçon donnée par le général dont peut encore s’inspirer tout chef en 2025.

En écrivant ce livre, une certaine volonté intérieure est-elle née en vous de faire nommer le général de Castelnau Maréchal de France ?

Oui et non. Répondre oui, ce serait justice. Ça aurait un sens, dans la mesure où le nommer maréchal, c’est réconcilier les mémoires. Mais est-ce réellement le bon combat à mener dans le chaos politique que l’on connaît ? Je n’en suis pas si sur… Ne menons pas des combats périphériques quand il y a des combats stratégiques. Et puis, je crois que l’humilité du général de Castelnau se résume à cette phrase qu’il a prononcée : « Quand je paraîtrai devant Dieu, il ne me demandera pas combien d’étoiles j’avais sur les manches, mais comment j’ai élevé mes enfants ». Et cela lui suffisait. Il est finalement le maréchal in pectore de ceux qui savent ce qu’il a fait.

Enfin, avez-vous des projets d’écriture à venir sur un personnage particulier ?

Je n’ai pas de projet arrêté. Ce qui a été formidable avec Castelnau, c’est que je suis tombé sur un personnage qui est vraiment entré en résonance avec ce que je cherchais. C’est une chose qui m’a frappé en écrivant ce livre : je n’ai quasiment jamais trouvé chez Castelnau de côté médiocre. Et quand vous vivez dans le monde politique, qui est souvent un monde de petits combats, le général vous sort de l’écume des choses et il vous tire vers le haut. Donc, pour le moment, je n’ai pas choisi. Je réfléchis, mais ayant dix idées, il faut que j’en élimine neuf. C’est ça le défi. Parce que choisir, c’est renoncer.

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À propos de l’auteur
Jean-Louis Thiériot

Jean-Louis Thiériot

député Les Républicains de Seine-et-Marne, vice-président de la commission défense nationale et des forces armées

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