Le 25 juin 2024, le Centre national des sports de la Défense (CNSD), situé à Fontainebleau, organisait la première édition du Challenge Fortius, un événement à la croisée du sport, de la reconstruction des blessés et des relations internationales militaires.
François-Xavier Sanzey
Conçu comme un temps fort de la reconstruction physique et psychique des militaires blessés, cet événement constitue également un levier d’influence internationale pour les armées françaises. Loin d’être un simple lieu d’entraînement, le CNSD est devenu en quelques années un outil stratégique de rayonnement, un centre de formation reconnu et une référence mondiale en matière de réhabilitation par le sport.
Le Challenge Fortius : au service des blessés, au contact des nations
Le Challenge Fortius n’est pas une compétition mais plutôt une rencontre sportive amicale entre soldats ; il ne s’agit pas de gagner, mais de reprendre le contrôle sur son corps ou son esprit. Destiné aux militaires blessés, amputés, traumatisés psychiques, blessés par éclat ou accident, cet événement propose un cadre adapté et structuré pour se reconstruire par le sport. L’enjeu n’est donc pas la performance, mais bien la reconstruction personnelle. Ce challenge est aussi un espace de fraternité, où les blessés échangent leurs parcours, leurs progrès, leurs difficultés, au-delà des uniformes et des frontières.
Cette année, six nations étaient représentées : la France, la Belgique et l’Italie en tant que nations participantes, tandis que l’Allemagne, le Liban et l’Arménie assistaient à l’événement comme observateurs. L’Ukraine, bien que très concernée par la question des blessés de guerre, n’avait pu envoyer de délégation, mais s’est déclarée intéressée pour les éditions futures.
L’événement témoigne de la reconnaissance dont bénéficie la France dans ce domaine. Le général Paul Sanzey, commandant le CNSD explique : « Le Challenge Fortius est un marqueur de notre expertise militaire. Il montre que les armées françaises sont capables de mettre en œuvre une prise en charge large, humaine et performante de leurs blessés de guerre. Nos partenaires viennent non seulement pour participer, mais pour observer et tirer des enseignements pour leurs soldats. »
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Le CNSD : histoire, missions et rayonnement
Créé en 1852 à Fontainebleau et composé de l’Ecole interarmées des sports (EIS) et de l’Ecole militaire d’équitation (EME), le Centre national des sports de la Défense est aujourd’hui le pôle structurant du ministère des Armées dans le domaine du sport. Placé au sein de la Direction des ressources humaines de l‘armée de Terre, il remplit trois grandes fonctions complémentaires. Former les experts des trois armées et de la gendarmerie nationale : moniteurs, instructeurs, préparateurs physiques, officiers spécialistes. Cette mission est essentielle pour diffuser dans toutes les unités les principes de l’entraînement physique militaire et sportif (EPMS), pilier de la préparation opérationnelle des forces. Accompagner les militaires blessés : le CNSD accueille chaque année près de 900 stagiaires blessés, après leur prise en charge par le Service de santé des armées (SSA). L’objectif est de proposer un programme individualisé mêlant sport adapté, accompagnement psychologique et réinsertion sociale. Il s’agit de redonner confiance, redéfinir des objectifs, et préparer un retour à une vie « normale ». Enfin encadrer le sport militaire de haut niveau : au travers du Bataillon de Joinville – Armée de Champions qui participent aux compétitions internationales, Jeux olympiques, championnats du monde, etc..
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Ces trois missions répondent à des besoins concrets et à une vision stratégique plus large : le sport n’est pas une fin, mais un moyen d’agir sur la condition physique des militaires, leur moral, leur rayonnement et leur lien avec la société.
La reconstruction par le sport : une expertise française reconnue
L’accompagnement des soldats par le Département des blessés (DBMS) du CNSD est peut-être le moins connu du grand public, mais il attire comme le Bataillon de Joinville et les Equipes de France militaires déployées ponctuellement à l’étranger l’attention des armées alliées. Et pour cause. La violence des conflits armés actuels n’est pas sans impacter la santé physique comme psychique des pays comme des nations. La réinsertion des citoyens blessés au combat constitue dès lors un véritable défi à prendre en compte pour chaque société marquée par la guerre, comme la guerre d’Afghanistan a pu générer un traumatisme sur la société russe. Le durcissement des opérations observé en Afghanistan depuis les années 2000, puis les opérations dans le Sahel, en République centrafricaine et au Levant ont conduit à améliorer la prise en charge des blessés des armées.
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Lorsqu’un militaire français est blessé, un parcours de prise en charge se met en place, mêlant soins médicaux, rééducation et accompagnement psychologique. Une fois stabilisé, il peut être accueilli au CNSD dans un stage de reconstruction par le sport, qui agit sur plusieurs dimensions. Physique : récupération de mobilité, renforcement, coordination, travail sur l’appareillage. Psychique : restauration de l’image de soi, gestion des émotions, réduction du stress post-traumatique. Sociale : réapprentissage de la vie en groupe, activités collectives, réinsertion familiale et professionnelle.
Le CNSD cherche aussi à agir sur l’entourage. Le Village Adjudant Géo André, inauguré à Fontainebleau en mai dernier, permet d’accueillir conjoint ou conjointe, enfants ou parents pendant une cinquantaine de stages sur certaines durées. Comme le rappelle le commandant Erwan Lebrun : « Un militaire blessé, c’est souvent une famille entière atteinte par la blessure. Le soutien des proches est essentiel, mais eux aussi ont besoin d’aide, d’écoute et de structure pour se rétablir. »
Le sport militaire comme levier de soft power
Au-delà de sa fonction sociale et opérationnelle, le sport militaire peut être un outil stratégique. Il permet d’entretenir des liens avec d’autres armées, d’ouvrir des canaux de dialogue dans des contextes géopolitiques tendus, et de renforcer le rayonnement international de la France. En 1948, cinq pays dont la France créent le Conseil International du Sport Militaire (CISM) avec pour devise “l’amitié par le sport”. Cette organisation, parfois qualifiée d’« ONU du sport militaire », regroupe aujourd’hui 142 pays, et organise chaque année plus de 20 championnats du monde militaires, ainsi que les Jeux mondiaux militaires, où la France figure toujours parmi les nations majeures. Pour le capitaine Nicolas Milne, responsable des relations internationales sportives au CNSD, le rôle du sport militaire est stratégique : « Beaucoup de pays utilisent le sport comme vecteur d’influence. Le sport militaire permet de maintenir une interaction, même minimale, avec des pays avec lesquels le dialogue direct est difficile. Nous travaillons à long terme, parfois dans la discrétion, mais cela produit des effets réels. »
Une vitrine pour l’armée française
Le sport militaire participe aussi à renforcer le lien entre les armées et la société civile. Depuis la fin de la conscription, les armées françaises ont dû repenser leur ancrage dans la société. Le sport constitue l’un de ces nouveaux vecteurs de visibilité.
Le Bataillon de Joinville-Armée de champions comprend 200 athlètes de haut niveau dont une soixantaine de para-athlètes. Ils sont sous contrat, engagés dans les trois armées (Terre, Air, Marine) ou la gendarmerie. Lors des derniers Jeux olympiques, ces militaires qui représentaient 13% de la délégation olympique française ont remporté le tiers de nos médailles tricolores. Lors des Jeux mondiaux militaires d’hiver à Lucerne (Suisse), en février 2025, la France est arrivée première au total des médailles, devant 41 nations. La victoire de l’Équipe de France militaire, lors du Championnat du monde militaire de Rugby, organisé en 2023 par le CNSD en préambule à la Coupe du monde de rugby, s’inscrit dans la même logique. Cultiver l’excellence sportive française, pour faire connaître les armées, susciter des vocations et incarner les valeurs d’engagement et de dépassement, ADN des militaires, qui sont autant d’inspiration possible pour notre jeunesse. Le sport militaire devient ainsi un vecteur de transmission de valeurs qui sous-tendent une vie en société : courage, travail, esprit d’équipe.
Un acteur global au service de la résilience et de l’influence
Le CNSD n’est pas qu’un centre d’entraînement, c’est une institution hybride, à la croisée de l’opérationnel, du médical, du social et des relations internationales…militaires. Sa vocation première, former et entraîner, s’est progressivement élargie à des enjeux de reconstruction, de rayonnement et de coopération internationale. À travers le Challenge Fortius, les stages de réhabilitation, les compétitions du CISM ou l’encadrement de sportifs de haut niveau, le CNSD incarne une vision renouvelée du rôle des armées dans la société. Il montre que le sport, loin d’être un accessoire secondaire des armées françaises, peut être un levier indolore mais puissant au service de la paix, de la réputation de la France ou du lien armée-nation. Comme le rappelle le Général SANZEY « le CNSD contribue à la préparation au combat, et accompagne les soldats au retour de mission. Il offre l’expertise et l’humanité de ses instructeurs qui se dévouent à la reconstruction des blessés. Leur confiance est notre meilleure récompense ».