<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Charles de Foucauld homme de science

26 novembre 2020

Temps de lecture : 7 minutes
Photo : Charles Eugene de Foucauld (1858-1916), officier, explorateur et religieux. Ici a Tamanrasset, devant sa premiere chapelle. Tamanrasset, ALGERIE - v.1905.
Abonnement Conflits
Abonnement Conflits

Charles de Foucauld homme de science

par

Alors que la canonisation prochaine de Charles de Foucauld va être l’occasion de réfléchir à son influence religieuse dans le catholicisme contemporain, il paraît opportun de signaler la place importante qu’il a occupée dans le monde de la culture et de la science. Élève à Saint-Cyr, officier, mystique, Foucauld fut aussi un archéologue et un scientifique de renom, réalisant un dictionnaire touareg et de nombreuses expéditions scientifiques au Maroc. Son œuvre scientifique montre son apport aux découvertes de l’époque et son rôle dans la connaissance de ces tribus. Il est à situer dans la longue liste des explorateurs et découvreurs français qui ont contribué au xxe siècle à la connaissance du monde.

 

Deux témoignages, tels des « monuments » importants, restent de lui, par lesquels son nom mérite d’être conservé plus de cent ans après sa mort en 1916. D’abord, ce qu’il a appelé lui-même une « reconnaissance au Maroc » effectuée en 1883-1884, décrite et commentée dans un ouvrage célèbre, paru sous ce titre et encore exploité aujourd’hui ; puis, encore plus remarquable, une somme linguistique, toujours étudiée, sur le dialecte du Hoggar, résultat de plus de dix ans de collecte et de mise au net, avec, au fur et à mesure de la rédaction, la découverte des lois grammaticales de ce parler touareg et de cette écriture.

Avant d’y revenir plus loin, il est important de mentionner, même brièvement, quelles furent sa formation et son instruction première.

 

Une jeunesse de rencontres et de découvertes

 

Dès son enfance à Strasbourg, le jeune Charles de Foucauld se signale par son attrait pour la lecture, l’écriture, le dessin, l’art épistolaire. Alsacien, il comprend l’allemand et le parle. Son goût pour l’observation et la découverte de sites et de lieux antiques se développe auprès de son grand-père, le colonel de Morlet, polytechnicien et officier dans le génie militaire, membre de la Société pour la conservation des monuments historiques d’Alsace et de la Société impériale des antiquaires de France (antiquaire au sens d’archéologue). Adolescent à Nancy, il poursuit au lycée municipal l’étude du latin et du grec, et, grand amateur de livres, devient familier des auteurs anciens et modernes. À la fin de sa troisième, en 1872, il obtient le premier accessit d’histoire et de géographie. Son grand-père, devenu membre de la Société de géographie de Paris, l’emmène avec lui en juillet 1875 au congrès de géographie rassemblant à Paris toutes les Sociétés de géographie françaises et étrangères. À 17 ans, Charles assiste aux conférences publiques, entend Ferdinand de Lesseps exposer le projet de percement de l’isthme de Panama, et apprend que les chotts algériens et tunisiens branchés sur la Méditerranée feraient une mer intérieure susceptible d’influer sur le climat et la végétation des régions sahariennes.

Élève des jésuites à Paris pour préparer Saint-Cyr, malgré ses réticences devant la discipline et l’éloignement de son milieu familial, il profite des méthodes de travail qui lui sont proposées. Il en vantera la valeur autour de lui tout au long de sa vie. À Saint-Cyr et à l’École d’application de cavalerie de Saumur, il se perfectionne en géographie, en topographie et cartographie, dans l’art du dessin et du croquis, en équitation également, autant de pratiques et de disciplines spécialisées dont il tirera profit un jour ou l’autre. Sa culture générale et les prouesses de sa mémoire, remarquées par ses camarades, font penser à un surdoué. Son ami Fitz-James, officier avec lui chez les hussards, dit des conférences faites par le sous-lieutenant Foucauld : « Quelle intelligence ! Sans être travailleur, tout lui était facile à apprendre. Il savait écouter et lire avec une mémoire prodigieuse. Dans n’importe quel ouvrage, militaire, scientifique, littéraire, historique, géographique, etc., il savait filtrer tout ce qu’il y avait de bon à retenir. Très intéressant quand il s’y mettait. Quand c’était son tour de conférence, en une heure et quelquefois moins, il avait préparé son sujet et le développait de la façon la plus instructive. Et ce qui nous amusait, c’était de voir nos chefs lui dire : “Très bien. On voit que pour tellement posséder votre sujet, vous l’avez longuement pioché.” Tout rapport ou travail, bâclé par lui en un rien de temps, était remarquable. »

 

A lire aussi : L’islam au Maghreb : cultures et politiques

Explorations au Maroc

 

Ces qualités, que l’on retrouve tout au long de la vie de Charles de Foucauld, se montrent encore plus remarquables dans les deux cas signalés en commençant.

L’explorateur au Maroc prépare son voyage, l’accomplit, et en rend compte (1881 à 1887).

Ayant ressenti l’attrait vers la prestigieuse vocation du scientifique polyvalent, il en côtoie quelques-uns avec qui il entretient des relations d’amitié et de confiance : ce sera, entre autres, Oscar Mac Carthy, géographe-explorateur avant d’être conservateur de la bibliothèque municipale d’Alger, et à Paris, Henri Duveyrier, spécialiste des Touareg du nord et membre éminent de la Société de géographie.

En vue de ce voyage au Maroc et dans d’autres pays d’Orient, il apprend l’arabe et le berbère, langue de base au Maroc depuis l’Antiquité. Il se documente sur l’islam et les débuts de cette religion. Ayant le juif Mardochée comme compagnon de route, il se met à l’hébreu pour connaître les coutumes des mellahs. Il n’oublie pas, pour lui et pour les autres, l’utilisation des remèdes de base pour les premiers secours, ce qui, sans être médecin, lui servira désormais partout où il passera.

On connaît les appréciations de Duveyrier avant que l’explorateur de Foucauld ne reçoive en 1885 la médaille d’or de la Société de géographie : « En onze mois, un seul homme, M. le vicomte de Foucauld, a doublé pour le moins la longueur des itinéraires levés au Maroc… C’est vraiment une ère nouvelle qui s’ouvre, grâce à M. de Foucauld, de la connaissance géographique du Maroc. » En 1887 paraît Reconnaissance au Maroc, en deux volumes Voyage et Atlas. Un journaliste anglais, Budgett Meakin, fasciné par le Maroc, écrira à ce sujet : « C’est une réelle satisfaction que d’avoir entre les mains ces magnifiques volumes, qui relatent le plus important et le plus remarquable voyage qu’un Européen ait entrepris au Maroc depuis un siècle ou plus… Les tentatives des autres voyageurs n’ont été que des jeux d’enfants. »

 Des moments significatifs des activités scientifiques du père de Foucauld, désormais prêtre au Sahara, à partir de 1904.

Organisant une colonne vers le sud en 1904, Laperrine écrit : « Malgré le but purement administratif et politique de cette tournée, il eût été déplorable de ne pas profiter de la traversée d’une région inconnue pour rapporter des documents géographiques et scientifiques sérieux ; aussi je n’hésitai pas à autoriser M. Villatte, de l’observatoire d’Alger, et le père de Foucauld, l’explorateur connu du Maroc, à m’accompagner. M. Villatte relevait astronomiquement les positions géographiques, enregistrait les observations météorologiques et faisait une série d’expériences sur le magnétisme terrestre au Sahara. Le père de Foucauld, tout en continuant ses études de langue tamachek, recueillait le plus possible d’itinéraires par renseignements et se chargeait du service médical tant de l’escorte que des populations. »À son ami Foucauld, Laperrine a confié aussi le soin de réaliser les croquis des massifs et des oueds. Cette tournée et les deux suivantes auxquelles il participera lui fourniront l’occasion de rencontres avec d’autres savants, ou avec des universitaires, dont l’explorateur-géographe Émile-Félix Gautier et le géologue René Chudeau qui reconnaîtront unanimement les grandes qualités intellectuelles et relationnelles de leur compagnon de piste.

À Tamanrasset, il verra pendant quelques semaines le voyageur Félix Dubois, journaliste photographe qui, avec son stéréoscope, a beaucoup de succès dans les tentes, ce qui donne au père de Foucauld des idées pour intéresser simplement mais efficacement la population qui l’entoure. En août 1905, il a choisi Tamanrasset, au cœur du Hoggar, pour vivre près des Touareg. Un ami spécialiste du berbère, Motylinski, passera quelques mois avec lui en 1906 pour étudier les dialectes locaux et établir, sous le contrôle de René Basset, directeur de l’École des lettres d’Alger, des instruments destinés aux militaires pour leur dialogue avec les gens du pays : vocabulaire, lexique, grammaire. La méthode de Motylinski consiste à récolter des chants, des poésies et des textes variés, pour en tirer les racines du parler local et les règles grammaticales propres à la langue touareg.

Après le décès subit de Motylinski en mars 1907, Foucauld décida de poursuivre et d’achever le travail de cet ami, de prendre sa relève pour collecter d’autres pièces en vers et en prose, et il contactera René Basset pour éditer tout ce matériau typique du « dialecte de l’Ahaggar » (Hoggar). Ce sera le début d’une véritable carrière linguistique menée jusqu’au dernier jour de sa vie. Quand il meurt le 1er décembre 1916, il a, sur « sa planche » comme il dit, d’un côté un lexique abrégé touareg-français joint à un dictionnaire complet touareg-français et un dictionnaire des noms propres, des notes pour servir à un essai de grammaire. Était prévu aussi un dictionnaire abrégé français-touareg. D’un autre côté, et toujours en vue de l’édition, il a un autre lot de manuscrits : des poésies touareg, dont la traduction est achevée, rassemblées d’abord par Motylinski, mais avec des suppléments, plus importants encore, collectés par lui-même, et la traduction, à peine commencée, des textes touareg en prose, venant de Motylinski et de ses enquêtes personnelles.

Devant l’ampleur des travaux à effectuer et des recherches à poursuivre pour sauver le passé et la langue de ces tribus, Charles de Foucauld n’hésite pas à tracer des plans pour les spécialistes acceptant de s’y investir pour des années. En accord avec René Basset d’Alger, il écrit, entre autres noms, à Louis Mercier, rencontré naguère, maintenant au Maroc, et qui connaît le berbère. Ces appels concernent les documents à traduire, mais aussi tout un programme de recherches archéologiques, sociologiques et historiques. En plus des chantiers à ouvrir au point de vue littéraire et linguistique, lui écrit-il le 30 mai 1908, « un autre travail s’imposerait. Tout le pays touareg, non seulement l’Ahaggar, mais l’Ajjer et l’Ahnet, l’Adrar, l’Aïr, sont couverts de sépultures et parfois de monuments antéislamiques. Il faudrait les fouiller en très grand nombre et recueillir les inscriptions et dessins rupestres nombreux. Il est certain que ces fouilles donneraient des résultats très intéressants et jetteraient du jour sur l’histoire antéislamique du pays ; en certains lieux, tels que les environs de Tit (Ahaggar) et certaines parties de l’Adrar, on est confondu de la grandeur et du nombre de ces sépultures et monuments. »

 

Un homme de science et d’archéologie

 

Charles de Foucauld, homme de science, est reconnu comme tel lors de son passage en France en 1913. Il est par exemple invité à monter à la tribune officielle lors du congrès à la Sorbonne des Sociétés de géographie ; il rencontre à trois reprises le directeur de La Revue indigène Paul Bourdarie, qui souhaite pour lui la Légion d’honneur ; il rédige une Note sur l’esclavage dans l’Ahaggar pour Myre de Vilers, président de la Société anti-esclavagiste de France ; il répond à des questions d’histoire et de sociologie posées par l’Institut ethnographique international de Paris. Les passages suivants, de teneur encyclopédique, de cette réponse du 24 juillet 1913 à Louis de Malibran y Santibanez, secrétaire général de cette Société ethnologique, serviront de conclusion :

« Je suis persuadé que les Touareg appartiennent à la race berbère. Ils sont frères des Berbères de Tripolitaine, d’Algérie et du Maroc. Le nom de Touareg, qu’ils ne se donnent pas à eux-mêmes, est un mot arabe signifiant habitant de Targa, c’est-à-dire habitant du Fezzan, Targa étant le nom ancien et berbère du Fezzan (Fezzan est un mot arabe). Il semble indiquer qu’autrefois les Berbères appelés Touareg par les Arabes habitaient le Fezzan, dont ils ont sans doute été chassés vers le sud par des invasions arabes. […] La langue des Touareg est un dialecte berbère très pur ; ce dialecte présente des différences de détail selon les diverses régions du pays, plusieurs fois grand comme la France, habité par les Touareg. Dans l’Ahaggar, où la langue semble plus parfaite qu’ailleurs, il y a très peu de mots d’origine étrangère, quelques-uns d’origine arabe, un très petit nombre d’origine soudanaise, cinq d’origine latine trahissant d’antiques relations avec les Romains qui, aux premiers siècles du christianisme, occupèrent Ghadamès et Ghât. Je vous autorise bien volontiers à vous servir de ces renseignements pour faire telles communications qu’il vous plaira. »

 

 

À propos de l’auteur
Pierre Sourisseau

Pierre Sourisseau

Archiviste de la postulation de la cause de canonisation de Charles de Foucauld, auteur de Charles de Foucauld, 1858-1916, Biographie, Salvator, 2016.
La Lettre Conflits
3 fois par semaine

La newsletter de Conflits

Voir aussi

Pin It on Pinterest