Depuis 2016, 75 candidats ont été assassinés en Colombie. Se présenter à une élection, c’est risquer sa vie, dans un pays où la mort politique est une réalité ancrée de longue date.
Des assassinats présidentiels aux assassinats de candidats locaux
Gravement blessé le 7 juin lors d’un meeting à Bogota, Miguel Uribe Turbay, candidat à l’élection présidentielle, est décédé le 11 août.
Cet assassinat a ravivé un souvenir collectif que l’on croyait enfoui : celui d’une démocratie contrainte de faire campagne sous la menace des armes. Sa mort intervient à neuf mois des élections de 2026 et rappelle la vulnérabilité persistante des candidats dans le pays.
Une histoire marquée par les assassinats de candidats de premier plan
La Colombie a connu, entre 1989 et 1990, une séquence d’horreur : trois candidats à la présidence sont tués en pleine campagne — Luis Carlos Galán (1989), Bernardo Jaramillo Ossa (1990) et Carlos Pizarro Leongómez (1990). Le premier, favori des sondages, est abattu à Soacha ; les deux autres sont assassinés à Bogota à quelques semaines d’intervalle. Ces crimes, liés au narcotrafic et à la collusion d’agents de l’État, ont fracturé l’espace public colombien.
Bien avant, l’exécution du leader libéral Jorge Eliécer Gaitán, le 9 avril 1948, avait déclenché le « Bogotazo », journée d’émeutes fondatrice de plusieurs décennies de violence politique.
Du sommet de l’État aux communes rurales
Si les « magnicides » présidentiels ont marqué les esprits, la violence électorale actuelle touche surtout les échelons locaux : maires, conseillers municipaux, gouverneurs et leurs équipes. À l’approche des élections territoriales d’octobre 2023, la Mission d’observation électorale (MOE) a documenté une intensification des agressions : 436 actes de violence contre des « chef » politiques au 29 septembre 2023, dont 179 visant directement des candidatures officiellement inscrites. La MOE souligne en outre que plus de 70 % des assassinats se concentrent dans des zones rurales priorisées par les programmes de paix (CITREP).
Au-delà des courbes, des vies. Le 26 août 2023, Claudia Ordóñez, militante locale et candidate au conseil municipal de Jamundí (Valle del Cauca), est abattue à l’aube devant son commerce. Son meurtre illustre la porosité entre violences du conflit armé, criminalité organisée et compétition électorale dans des municipalités où l’État reste fragile.
2025 : l’alarme reste au rouge
La Defensoría del Pueblo (Médiateur) a émis une alerte précoce nationale avant les régionales de 2023, citant explicitement les candidats comme population à risque. Deux ans plus tard, la tendance ne s’est pas inversée : de janvier à avril 2025, la MOE a recensé 128 actes de violence contre des leaders politiques, sociaux et communautaires, dont 34 homicides et 20 attentats. L’attaque mortelle contre Miguel Uribe Turbay a fait basculer ce climat anxiogène, avec un impact symbolique national.
Qui tue les candidats ? Des logiques multiples, un même résultat
Les responsabilités varient selon les territoires : dissidences des FARC, trafiquants, ELN, bandes locales et réseaux politico-criminels utilisent les menaces, les attentats ciblés et les assassinats pour influencer la compétition électorale, protéger des rentes illicites ou imposer des agendas. La présence de groupes armés corrèle fortement avec les pics d’attaques, notamment dans les zones rurales où l’autorité publique est disputée. Les observatoires indépendants et la presse soulignent un « effet calendrier » : à mesure que l’on se rapproche du scrutin, les agressions se densifient et ciblent davantage les candidatures visibles.
De Gaitán (1948) à Galán, Jaramillo et Pizarro (1989-1990), et désormais Miguel Uribe Turbay (2025), la Colombie ne cesse d’apprendre, à un coût humain exorbitant, que la compétition politique ne peut survivre au feu croisé des armes et des mafias. La statistique raconte une tendance, mais ce sont des candidatures, des projets de territoire et des voix qu’on éteint. Rendre les campagnes électorales véritablement « libres de violence » n’est pas un slogan : c’est la condition de possibilité d’un vote qui compte.