Entretien avec le géographe Alain Musset – « On est très en-dessous de la réalité de l’épidémie au Mexique »

19 avril 2020

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : A Mexico, le 16 avril 2020, une manifestation de médecins proteste contre les conditions précaires dans lesquelles ils travaillent, Auteurs : Carlos Tischler/REX/SIPA, Numéro de reportage : Shutterstock40760493_000047.
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Entretien avec le géographe Alain Musset – « On est très en-dessous de la réalité de l’épidémie au Mexique »

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À la suite d’une période de déni, le gouvernement mexicain semble enfin prendre le coronavirus au sérieux. Mais dans un pays aux nombreux territoires perdus par l’État, les mesures décrétées sont-elles réellement applicables ? Fin connaisseur du Mexique et auteur de nombreux ouvrages sur l’Amérique latine, le géographe Alain Musset nous apporte son éclairage.

 

Alexis Brunet : Alors qu’en 2009, le Mexique avait été l’épicentre de la grippe porcine H1N1 (officiellement 75 000 personnes contaminées et 13 000 morts dans le pays), le Président AMLO (Andrés Manuel López Obrador) semble ne pas avoir pris la mesure de la crise. Le 18 mars, il brandissait des images de cœurs de Jésus, « boucliers protecteurs » selon ses mots, lors d’une conférence de presse à Mexico. Le 4 mars, il déclarait : « il nous disent de ne pas s’embrasser. Il faut s’embrasser, il n’arrive rien ». Les 14 et 15 mars, malgré les recommandations de l’OMS, le festival Vivo Latino était maintenu à Mexico, réunissant près de 70 000 Mexicains venus se déhancher au son des Gun’s Roses et des amours latinos de Carlos Vives. En déclarant l’état d’urgence sanitaire le 30 mars, le président mexicain semble enfin avoir pris la mesure du problème. Les activités dites non-essentielles ont été suspendues jusqu’au 30 avril, les rassemblements de plus de 50 personnes sont interdits, les personnes de plus de 60 ans et les personnes vulnérables sont invitées à rester chez elles. Vous qui connaissez très bien le Mexique, qu’est-ce qui a motivé selon vous ce brutal changement de cap ?

Pour expliquer le comportement irresponsable de López Obrador, il y a plusieurs choses. D’abord, comme beaucoup d’autres, il n’y croyait pas, tout simplement parce qu’il avait écouté les spécialistes. Rappelez-vous l’OMS, qui disait que finalement, ce n’était pas si grave que ça. Regardez en France également, le nombre de spécialistes qui disaient que ce n’était pas grand-chose.

 

L’OMS avait quand même dit qu’il ne fallait pas maintenir le Festival Vivo Latino…

C’était les 14 et 15 mars. Mais au début l’OMS avait dit qu’il ne fallait pas s’inquiéter, López Obrador avait retenu cela. Par ailleurs, il y a une stratégie complètement populiste, qui consistait à aller vers la foule, à être quelqu’un qui aime le contact. Mais cela est aussi lié au fait que les embrassades, les « abrazos », comme on dit au Mexique, sont profondément ancrés dans la culture mexicaine. Un des slogans de López Obrador, pour la lutte contre le narcotrafic, était justement « abrazos y no balas » (« des embrassades et pas des fusillades »). L’idée était de continuer.

Il y a alors eu de très grosses critiques, aussi bien dans la presse, que dans les autres partis ou même à l’intérieur de son propre parti. Avec le moment complètement hallucinant où il montre un trèfle à quatre feuilles et le cœur de Jésus qui dit « arrête-toi, ennemi, car le cœur de Jésus est avec moi », on est tombé dans un populisme dirigé vers les classes populaires très religieuses, pour ne pas dire superstitieuses, et qui ne correspond pas à l’ADN de son parti, qui est laïc.

 

Officiellement, il y aurait environ cent fois moins de cas de Covid-19 au Mexique, pays de 130 millions d’habitants, qu’aux États-Unis (4 300 cas recensés contre 529 000 actuellement).  Le décompte mexicain est-il fiable ?

Absolument pas ! Comme vous le savez, le Mexique est une mosaïque de territoires où l’État est plus ou moins présent. Le décompte est fiable à Mexico, où l’État est présent. Mais dans les campagnes, dans le Guerrero, dans le Chiapas, dans l’Oaxaca, pensez-vous qu’il y a des statistiques qui sont fiables ? Pas du tout. C’est le même problème dans les quartiers pauvres des grandes villes, la capitale comprise. On est donc très en-dessous de la réalité de l’épidémie au Mexique.

A lire aussi: Livre – Mexique. La guerre des cartels de Thierry Noël

Est-ce qu’on peut arriver à confiner la population de la même façon que chez nous ?

Comme les États-Unis, le Mexique est un pays fédéral. Ce que dit le président d’un côté n’est pas nécessairement vraiment appliqué de l’autre. Au niveau local, des mesures avaient été prises avant, notamment à Mexico. Claudia Sheinbaum, la première femme maire de Mexico, avait déjà pris des mesures de fermeture des cinémas, théâtres, musées, bars etc. Cela a été repris maintenant par le gouvernement fédéral, avec des interdictions de rassemblements de plus de cinquante personnes, ce qui est encore trop, et l’interdiction de sortie pour les personnes de plus de soixante ans. Mais qui est là pour se charger de faire appliquer les mesures ?

 

Comment fait-on justement ?

Personne ne sait ! Normalement, c’est le travail de la police, mais la police mexicaine, elle vaut ce qu’elle vaut. Il y aurait, le cas échéant, la nouvelle création d’Obrador, la Guarda Nacional, qui s’occupe des questions vraiment stratégiques sur le territoire mexicain, mais ils sont déjà occupés sur les frontières et normalement, leur tâche, c’est la lutte contre le narcotrafic. On parle en France des territoires perdus de la République. Au Mexique, il y a beaucoup d’endroits, dans nombre de quartiers populaires, dans les zones perdues de la campagne, où le pouvoir ne rentre pas. S’il y a une explosion de l’épidémie, ce sera à partir de ces quartiers-là. Il y a pas mal de laxisme dans les quartiers périphériques, où les policiers ne mettent pas les pieds, et qui sont contrôlés par des leaders locaux plus ou moins liés avec des narcotrafiquants.

 

Pour finir, qu’en est-il du système de soins ?

Il y a un très bon secteur hospitalier privé, mais qui coûte une fortune et qui est donc réservé aux classes supérieures. Vous avez des hôpitaux publics qui, eux, n’ont pas grand-chose. Dans les banlieues pauvres des grandes villes, dans les zones rurales, il n’y a que des petits dispensaires. Le Mexique n’a donc absolument pas les moyens de faire face à une pandémie.

 

 

  • Le Mexique, Alain Musset, Que sais-je ?
  • L’Amérique centrale et les Antilles, Alain Musset, Armand Colin
  • Géopolitiques des Amériques, Alain Musset (dir.), Nathan
  • 7 routes mythiques – Quand l’histoire se mêle à la légende, Alain Musset (dir.), Armand Colin

 

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