De nouvelles expropriations en Afrique du Sud

25 janvier 2025

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Xi Jinping et Narendra Modi avc le président sud-africain Cyril Ramaphosa lors du sommet des BRICS à Brasilia en 2019 © Eraldo Peres/AP/SIPA AP22398942_000022

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De nouvelles expropriations en Afrique du Sud

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Une nouvelle loi d’expropriation a été adoptée en Afrique du Sud. Celle-ci ravive les tensions et engendre une déstabilisation politique malvenue dans un pays déjà fortement fragilisé.

Le président Cyril Ramaphosa a franchi un pas décisif en signant une loi controversée sur l’expropriation des terres, le 23 janvier 2025. Présentée comme une mesure de justice sociale visant à corriger les profondes inégalités héritées de l’apartheid, cette réforme soulève depuis quelques heures des interrogations sur son impact potentiel sur la stabilité politique et économique de l’Afrique du Sud. Les Afrikaners, descendants des colons européens, se sentent particulièrement ciblés, alimentant un climat de méfiance et de tension croissante.

Une réforme ancrée dans une histoire douloureuse

Pour comprendre l’enjeu de cette loi, il est essentiel de revenir sur l’héritage de l’apartheid (1948-1994). Le Natives Land Act de 1913, suivi du Group Areas Act (1950), a organisé la répartition des terres et des communautés. Les communautés noires vivaient au sein de Bantoustans (république autonomes ou indépendantes).

Depuis la transition démocratique de 1994, divers gouvernements sud-africains se sont engagés dans des réformes agraires, mais les résultats ont été limités et timides. Moins de 10 % des terres ont été redistribuées, bien en deçà des attentes et des promesses de campagne sans cesse distillées par le Congrès national africain (ANC), parti au pouvoir depuis la fin de l’apartheid. Cette stagnation a alimenté la colère et la frustration, notamment parmi les militants de gauche menés par Julius Malema et son parti, les Combattants pour la liberté économique (EFF). Le trublion de la politique sud-africain a maintes fois incité ses partisans à occuper illégalement ces terres détenues par les Boers, exacerbant les tensions sociales et raciales, se servant des actions en justice intentées contre lui comme d’une tribune politique.

Le spectre du Zimbabwe plane au-dessus de cette loi

Les Afrikaners, fermiers blancs descendants des premiers colons européens arrivés au XVIIIe siècle en Afrique du Sud, estiment que cette réforme représente une menace directe à leur existence. Ils redoutent un scénario similaire à celui du Zimbabwe, où une réforme agraire radicale décidée par le président Robert Mugabe, au début des années 2000, a conduit à l’effondrement du secteur agricole, à une hyperinflation et à une crise humanitaire. Ce précédent reste un exemple frappant des risques liés à une expropriation et une redistribution mal gérée et rien n’indique que l’Afrique du Sud dispose d’une masse d’agriculteurs capables de travailler des terres avec les moyens modernes que cela impose.

Ils redoutent un scénario similaire à celui du Zimbabwe, où une réforme agraire radicale décidée par le président Robert Mugabe, au début des années 2000, a conduit à l’effondrement du secteur agricole, à une hyperinflation et à une crise humanitaire.

Certains fermiers craignent une recrudescence des attaques de leurs exploitations qui se sont multipliées cette dernière décennie. Le puissant syndicat AfriForum estime que plus de 4 000 fermiers ont été assassinés en une décennie et évoque un véritable « génocide » planifié contre la communauté afrikaner. Ce que dément le gouvernement sud-africain, même si celui reconnait la violence du phénomène.

Récemment, une précédente loi signée par le gouvernement a cristallisé les passions. La loi Bela réduit considérablement l’influence de l’usage de la langue afrikaans dans les établissements scolaires. Les groupes de protection des droits afrikaners ont considéré que l’adoption de ce texte était une véritable attaque culturelle contre leur « volk » et qu’il visait à réduire leur place au sein de la nation arc-en-ciel.

L’Ingonyama Trust, futur sujet de discorde de ce texte ?

Le texte signé par Cyril Ramaphosa vise à élargir la notion « d’intérêt public » pour inclure la redistribution des terres et un accès plus équitable aux ressources naturelles. La réforme, qui se substitue à une loi datant de 1975, prévoit dans la plupart des cas une compensation « juste et équitable », mais autorise des exceptions pour des terres jugées non utilisées ou abandonnées. Le Congrès national africain (ANC), au pouvoir, a naturellement qualifié cette réforme de « transformation progressiste », en ligne avec la Charte de la liberté adoptée par le parti en 1955. Celle-ci proclamant que « la terre sera partagée entre ceux qui la travaillent ».

Un autre point de friction concerne le statut de l’Ingonyama Trust, qui contrôle près de 30 % des terres du KwaZulu-Natal. Il pourrait provoquer de fortes tensions ethnico-politiques dans cette province. Créée peu avant les premières élections multiraciales de 1994, cette fondation visait à protéger les terres zouloues contre toute tentative de redistribution des terres. Actuellement entre les mains du roi zoulou Misuzulu kaZwelithini, le trust génère des revenus considérables. Le roi, refusant toute cession, s’oppose à l’ANC qui fait pression sur lui afin qu’il mette fin à ce deal secret passé entre la monarchie et le Parti National (NP) à l’origine du système racial. Irrité par cette intrusion dans ses regalia, le souverain s’est rapproché de groupes afrikaners d’extrême droite qui se sont félicités de cette alliance renouvelée entre ces deux groupes autrefois ennemis durant la colonisation. Ce qui alimente davantage les tensions politiques et ethniques.

Une opposition soudée

La réforme suscite une vive contestation parmi tous les partis d’opposition. La DA (Alliance démocratique), principal parti d’opposition et membre actuel du gouvernement d’union nationale (GUN), comme AfriForum, prévoit de contester la loi devant les tribunaux, arguant qu’elle est anticonstitutionnelle. Ils ont été rejoints par le Freedom Front, autre parti politique membre du GUN et représentant les intérêts de la nation afrikaner. Sur les réseaux sociaux, le débat fait rage. La page Facebook d’Orania, une enclave afrikaner pointée du doigt pour cultiver un séparatisme blanc, a été l’objet d’une discussion violente entre « blancs » et « noirs ». Chacun campant sur ses positions, signe que la réconciliation entre les peuples reste un échec. Le compte X du Cape Indépendance Party, a appelé à dire « au revoir à l’Afrique du Sud », et promeut l’idée de faire sécession en séparant la province du Cap du reste du pays.

Fait surprenant, même l’EFF de Julius Malema a critiqué cette réforme, estimant qu’elle reste… insuffisante. Selon eux, seules des terres de faible valeur ou à rendement limité risquent d’être seulement redistribuées, trahissant ainsi les attentes des Sud-Africains noirs. L’EFF note également qu’il serait facile pour les propriétaires de prendre des actions en justice pour contester des expropriations contraignant les candidats à cette redistribution à renoncer à leur volonté de les acquérir. Le uMkhonto weSizwe Party (MK Party) de l’ancien Président Jacob Zuma, surprise des dernières élections législatives (2024), a également dénoncé cette loi qui « protège les intérêts de ceux qui continuent de bénéficier du pillage de l’époque coloniale et de l’apartheid »

Pour Julius Malema, cette réforme est insuffisante

Si la signature de cette loi représente un tournant décisif dans le débat sur la réforme agraire en Afrique du Sud, elle illustre une nouvelle fois les tensions persistantes entre justice sociale et stabilité économique. Menée avec prudence, transparence et accompagnement, elle pourrait pourtant ouvrir la voie à une société plus équitable. Cependant, un manque de préparation ou une mauvaise gestion pourrait au contraire exacerber les divisions ethniques et économiques, menaçant la paix sociale et l’avenir d’un pays qui n’a toujours pas fait le deuil de son histoire raciale.

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Frédéric de Natal

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