Décentralisation de la presse : France Télévisions réussit le pari du local

26 avril 2024

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Siege du service public de chaines de televisions France Televisions.//LODIFRANCK_LODI016950/Credit:LODI Franck/SIPA/1803011420
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Décentralisation de la presse : France Télévisions réussit le pari du local

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Alexis de Tocqueville disait que la presse est le miroir d’une société. C’est justement parce qu’elle est un miroir que les gens s’y intéressent. Et la presse locale, écrite ou audiovisuelle, est plébiscitée des Français parce qu’ils s’y retrouvent.

Fin 2021, l’IFOP publiait une étude avec SIRITI et Locales.tv qui prévoyait une forte croissance pour les chaînes d’audiovisuel locales. Avec un fort taux de confiance (80%) par rapport aux médias nationaux (73%), aux pure players (24%) et aux réseaux sociaux (19%), ces chaînes locales étaient considérées « proches des préoccupations des Français » et les sondés trouvaient qu’elles délivraient « une information tout aussi approfondie que les médias nationaux[1] ». L’institut de sondages montrait à quel point les programmes diversifiés étaient appréciés et combien l’actualité, qu’on pourrait penser réservée aux médias nationaux, était très suivie au niveau des chaînes locales.

Les chaînes locales ont de beaux jours devant elles

En quelques chiffres clés (3/4 des Français se disaient attachés aux chaînes locales, 7 Français sur 10 revendiquaient être attachés aux radios locales), l’étude dévoilait la forte demande de la France provinciale pour les médias audiovisuels locaux. Surtout, 8 Français sur 10 pensaient que les pouvoirs publics devaient s’engager plus avant pour les soutenir. Deux ans après, la tendance montre qu’ils ont été entendus et que la presse cherche à y répondre.

La décentralisation va porter les chaînes locales

La mission du député Renaissance Éric Woerth confiée par le président de la République est de proposer un plan de décentralisation pour la France. Dans la gouvernance du pays au XXIe siècle, le défi est de déployer une vision horizontale dans une Ve République verticale par nature. Autrement dit, M. Woerth doit réfléchir à un meilleur partage du pouvoir entre l’État et les collectivités territoriales. Et puisqu’elle est le miroir de la société, la presse doit accompagner ce mouvement.

Le pari gagnant de France Télévisions

C’est le cas de France Télévisions qui, ayant identifié la demande des Français et compris les conséquences politiques futures de la mission Woerth, travaille notamment à territorialiser ses chaînes audiovisuelles. Delphine Ernotte, patronne du groupe, expliquait récemment chez Causeur qu’elle voulait un service public « à l’image des Français ». Le projet « Tempo » qu’elle a présenté il y a un an a concrétisé cette vision début septembre. Sur France 3, le groupe a supprimé les émissions nationales 12/13 et 19/20, qui existaient depuis 1990 et 1986. Elles ont été remplacées par ICI 12/13 et ICI 19/20, qui diffèrent selon chaque région. Les deux éditions nationales de France 3 se sont ainsi transformées en 48 éditions régionales. Le groupe utilise aussi habilement le sport pour s’implanter localement, en couvrant par exemple les courses de vélo Liège-Bastogne-Liège, le tour des Flandres, Paris-Tours, Classic Lorient, mais aussi les courses à pied, le ski, etc. France Télévisions s’impose partout sur le local, son pari est une pleine réussite.

Le carton des émissions tournées en province

La tendance de la télévision française est aussi au tournage des séries et émissions en province, ce qui plaît beaucoup aux téléspectateurs et dynamise considérablement les économies locales. Quand TF1 tourne « Plus belle la vie » à Allauch, près de Marseille, France 2 a choisi Montpellier pour « Un si grand soleil », France 3 s’installe dans une ville et une région différente pour chaque tournage de « Meurtres à … » et près d’Annecy pour la série « Cassandre », dernièrement en tête des audiences. La Tribune soulignait très récemment combien les Français étaient friands de ces émissions tournées chez eux[2].

Un rééquilibrage des subventions pour la presse écrite régionale ?

La presse audiovisuelle n’est pas seule sur le créneau du local, la presse écrite régionale domine toujours sa catégorie : parmi les 10 médias subventionnés les plus lus, 6 d’entre eux sont un titre de presse régional (Ouest-France, Sud-Ouest, Le Parisien, La Voix du Nord, Le Dauphiné, Le Télégramme). L’aide à la presse octroyée par le ministère de la Culture soutient ces parutions, mais insuffisamment par rapport à leur popularité. Par exemple, Ouest-France, journal le plus diffusé de France, a reçu 2 millions d’euros de subventions en 2022, alors que Libération (5,3 millions), La Croix (5,6 millions) ou L’Humanité (3,8 millions) ne se placent même pas dans le top 10 des médias les plus diffusés[3]. Alors que le gouvernement ambitionne de territorialiser la gouvernance, on pourrait donc s’attendre à un rééquilibrage des subventions en faveur des médias locaux.

[1] IFOP avec SIRITI et Locales.tv, « L’attachement des Français aux médias audiovisuels locaux », déc. 2021.

[2] Pascale Paoli Lebailly, « Films et séries TV : les régions rivalisent d’initiatives pour attirer les productions à succès », La Tribune, 1er février 2024.

[3] https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Presse-ecrite/Tableaux-des-titres-de-presse-aides2

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.
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