<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Des chercheurs qui trouvent, on en cherche

30 mai 2021

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Photo : « Des chercheurs qui trouvent, on en cherche ». Le Penseur de Rodin. Crédit photo : Pixabay
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Des chercheurs qui trouvent, on en cherche

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« Des chercheurs qui trouvent, on en cherche »

 

La formule, amusante en soi, l’est encore plus quand elle suit une première affirmation, avec laquelle elle forme un chiasme : « Des chercheurs qui cherchent, on en trouve. » Elle est bien connue et régulièrement utilisée sur internet, notamment en ces temps de pandémie où elle illustre cruellement l’échec français en matière de vaccin contre la Covid-19, Pasteur et Sanofi n’ayant abouti à aucune proposition fiable en la matière. Comme beaucoup de « mots historiques », son attribution résulte plus du souci de réfuter toute contestation que de celui de retracer rigoureusement une source ; puisque, en cette matière comme en bien d’autres, on ne prête qu’aux riches, c’est à un auteur patenté de bons mots qu’en est imputée la paternité : Charles de Gaulle. Un sexagénaire du nord affirme l’avoir entendue en conférence de presse télévisée – il était alors, au mieux, adolescent – sans se rappeler la date, alors que Pierre-Carl Langlais, pour L’Obs, la pense apocryphe et enrichie d’éléments de crédibilité par ses utilisateurs successifs. Sa notoriété est peut-être plus liée à Coluche qu’à son inventeur originel.

Cette formule contient une attaque implicite contre les acteurs publics de la recherche, supposés affranchis de l’obligation de résultat. Comparativement, elle valorise le modèle de la recherche « appliquée », aussi appelée R&D (pour Recherche et Développement), financée par les entreprises privées pour développer de nouveaux produits ou nouvelles méthodes de production, dont le succès permet de profitables retours sur investissement. Pourtant, le monde de la recherche en France défend plutôt le modèle d’une science « libre », dégagée de toute contingence matérielle autre que celles des instruments et conditions de son développement, contre une science « esclave » des impératifs industriels et financiers, que certains ne sont pas loin de considérer comme pervertie, pour ne pas dire prostituée aux vils intérêts mercantiles. Cette opposition est exacerbée par la réduction des budgets publics, quand les crédits alloués par certains grands acteurs privés paraissent presque inépuisables.

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De fait, de Gaulle était soucieux de développer la recherche publique. Dès le début de son septennat, le budget du CNRS augmente de 75 % sur deux ans et le nombre de ses chercheurs progresse de 27 %[1]. Il avait bien conscience que la recherche fondamentale était une activité incertaine, où tout dépend finalement « de l’éclair imprévu et imprévisible qui jaillit d’un cerveau[2] ». Et en 1965, l’année même avancée comme date de la phrase qui nous occupe, il confirme la nécessité de financer cette recherche, tout aléatoire et onéreuse qu’elle soit. L’histoire des sciences confirme en effet que la plupart des grandes découvertes n’ont pas été faites sur commande mais par hasard, voire par erreur, ce qui a conduit les Anglo-Saxons à formuler le concept de sérendipité, pour qualifier la capacité à tirer parti intelligemment d’un événement fortuit. De Gaulle ne connaissait pas ce mot, mais il est une des traductions de « l’éclair » jaillissant du cerveau d’un chercheur, l’autre étant d’explorer une piste de recherche inattendue ou décalée.

Mais il ne faudrait pas croire pour autant que de Gaulle était partisan d’une recherche totalement affranchie de toute tutelle ou de tout impératif de résultat. En 1968, commentant la loi Faure sur la réorganisation de l’Université après les événements du printemps, il critique la garantie d’emploi accordée aux enseignants-chercheurs trouvant dangereux qu’un titulaire puisse « rester chercheur même s’il ne trouve rien et surtout à partir du moment où il ne sera plus d’âge à rien trouver ». Et même au début de son mandat, s’il reconnaît la nécessité de laisser une large autonomie aux chercheurs, il rappelle quand même que « c’est à l’État qu’il appartient de déterminer, dans le domaine de la recherche, ce qui est le plus utile à l’intérêt public ». Pas de tutelle mercantile, donc, mais il n’est pas sûr que la détermination des priorités par l’État, qui a toutes les chances de se muer en surveillance administrative et bureaucratique, soit plus efficace.

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[1] Chiffres tirés de Denis Guthleben, Histoire du CNRS de 1939 à nos jours, Armand Colin, 2013.

[2] Discours du 14 février 1959 à Toulouse.

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À propos de l’auteur
Pierre Royer

Pierre Royer

Agrégé d’histoire et diplômé de Sciences-Po Paris, Pierre Royer, 53 ans, enseigne au lycée Claude Monet et en classes préparatoires privées dans le groupe Ipesup-Prepasup à Paris. Ses centres d’intérêt sont l’histoire des conflits, en particulier au xxe siècle, et la géopolitique des océans. Dernier ouvrage paru : Dicoatlas de la Grande Guerre, Belin, 2013.
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