Désinformation, arme de guerre

28 novembre 2019

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Photo : Vladimir Volkoff, écrivain français d'origine Russe, ayant rédigé de nombreux essais sur la désinformation. 00503832_000005 SEL AHMET/SIPA
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Désinformation, arme de guerre

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Arme de division massive, la désinformation pose déjà le problème de sa définition avant même d’être abordée dans ses mises en pratique. Depuis l’Antiquité, ses victimes en ont senti ses effets dévastateurs. Polymorphe, l’hydre sévit aujourd’hui plus que jamais.

La notion même de désinformation faisant l’objet de débats, le périmètre de cet article se limite au point de vue de l’écrivain franco-russe Vladimir Volkoff : il s’agit d’« une manipulation de l’opinion publique, à des fins politiques, avec une information traitée par des moyens détournés ». Mais la désinformation ne serait rien si elle n’était pas accompagnée d’une ferme intention de nuire comme a pu l’incarner et l’écrire l’anarchiste russe Sergueï Nechaïev dans son Catéchisme du révolutionnaire (1868) : « Contre les corps, la violence ; contre les âmes, le mensonge ». Sa finalité lui permet de se distinguer de l’intoxication, qui ne vise qu’un groupe de décideurs, tandis que la propagande, si elle cherche à influencer l’opinion publique (peu importe la véracité de son contenu), ne s’exerce que dans un but politique avoué.

Cheval de Troie de la pensée

La plus ancienne opération de désinformation connue fut le cheval de Troie, considéré comme une offrande faite par les assiégeants grecs aux dieux avant de prendre la mer. Pour à leur tour attirer leurs faveurs, un prêtre incita les Troyens à le vénérer en l’amenant dans leur cité. Le cheval constituait le support de désinformation, le thème était la protection des dieux, le relais était fourni par l’agent d’influence constitué par le prêtre, « l’idiot utile » qui vient accréditer le thème. Les « caisses de résonance » furent fournies par les jeunes générations qui chantèrent des hymnes sacrés lors de la procession de la sculpture dans la cité, de sorte que, de désinformés, ils devinrent eux-mêmes agents de désinformation. Ainsi périt la fière cité qui résista dix ans aux Achéens.

Les exemples historiques sont légion. En pleine Guerre froide, durant la crise des Euromissiles, le KGB soutenait les mouvements pacifistes en Europe de l’Ouest pour discréditer le déploiement de missiles par l’OTAN, en réaction à ceux déjà déployés par l’URSS. Puis les cibles d’hier devinrent les prédateurs. Ainsi, le 24 mars 1999, l’OTAN choisit d’attaquer un État qui n’avait menacé aucun de ses membres. Elle prétexta un motif humanitaire, agit sans mandat des Nations unies et commença les bombardements. Le bal de la désinformation s’engagea alors. Les Serbes ont tué « de 100 000 à 500 000 personnes », énumère TF1 le 20 avril 1999, incinéré leurs victimes dans des « fourneaux, du genre de ceux utilisés à Auschwitz », compare le Daily Mirror le 7 juillet. Ces fausses informations seront heureusement mises à nues grâce à l’enquête du journaliste américain Daniel Pearl du Wall Street Journal le 31 décembre 1999, mais une fois le conflit terminé. Comment s’étonner ensuite que la Russie emboîte le pas de l’OTAN, en se fondant sur l’exemple de l’indépendance du Kosovo en février 2008, lorsqu’elle reconnut celles de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud en août 2008, puis en mars 2014 quand elle annexait la Crimée ? Le même genre de désinformation fut renouvelé en 2003 avec l’invasion de l’Irak par les États-Unis. L’image du général Colin Powell affirmant haut et fort devant le Conseil de Sécurité des Nations unies l’existence d’armes de destruction massive est restée dans les esprits.

Le Kosovo, exemple récent

Au sujet du Kosovo, Vladimir Volkoff ne manqua pas de dénoncer la désinformation massive dont la Serbie fut la victime (Désinformation : flagrant délit, 1999). Il peut même être considéré comme un lanceur d’alerte en faisant connaître au public français les techniques de désinformation avec l’aide du chef des services secrets français de l’époque, Alexandre de Marenches, lors de la parution du roman Le Montage en 1982. Mais les temps ont changé. La traque au « Fake News » est lancée par ceux-là mêmes qui, hier, s’en accommodaient fort bien. Lors de la guerre du Kosovo, la rédaction du Monde (dirigée par Edwy Plenel à l’époque) a ainsi décidé de faire « le choix de l’intervention » et l’édition du 8 avril 1999 annonçait la couleur : « Ce plan “Fer à cheval” qui programmait la déportation des Kosovars ». Ce plan était un faux, mais évidemment cela ne s’est su qu’après les événements. Désormais, ayant retenu la leçon, les Décodeurs du Monde (rubrique créée en 2014) veillent avec vigilance sur la sphère médiatique.

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Alors ? Faut-il si facilement tomber dans les théories du complot pour expliquer ce phénomène endémique ? Ni l’attitude controversée d’un quotidien sur telle affaire pose question sur sa crédibilité, ni le politiquement correct favorisant l’autocensure et l’étouffement des idées ne peuvent le faire. Le dissident soviétique Alexandre Soljenitsyne affirmait que « La croyance superstitieuse en la force historique des complots laisse complètement de côté la cause principale des échecs subis aussi bien par les individus que par les États : les faiblesses humaines ». Cela nous amène à l’éthique journalistique qui, en somme, met en lumière la faible proportion de gens se forgeant un avis personnel face à un courant dominant. Et cela concerne précisément le journaliste, serviteur de l’information devant toujours « savoir raison garder » face à toutes informations se présentant à lui. Et c’est là que les « faiblesses humaines » se repèrent : manque de courage et d’esprit critique pour vérifier chaque nouvelle au jour le jour (C’est vrai puisque mon collègue ou internet le dit), tentation de politiser l’information (C’est pour la bonne cause après tout), observer le silence pour tel fait ou le minimiser, mais surligner à l’inverse tel autre fait comparable (« parts égales et inégales »).

Journalisme : objectivité ou honnêteté ?

L’exemple des « parts inégales » peut d’ailleurs être illustré avec deux affaires semblables au même moment. Le 7 juin 2019, le journaliste d’investigation Golounov du journal Medusa (journal russe basé en Lettonie) est arrêté à Moscou pour détention de drogue (ce qui s’avérera être faux). Battu par la police pendant sa garde à vue, il est relâché par la suite à cause du tollé médiatique russe et des accusations fabriquées de toutes pièces. Le Monde et d’autres journaux français relaient l’affaire au nom de la liberté de la presse. Le 3 juin 2019, une vingtaine de musulmans ont voulu empêcher un journaliste de France 3 Normandie d’effectuer son travail alors qu’il prenait des images près d’une mosquée. S’en est suivie une altercation violente pendant laquelle sa caméra a été détériorée. Il a ensuite été gardé contre son gré dans l’enceinte de la mosquée avant que la police n’intervienne et qu’on ne lui prescrive cinq jours d’ITT. Aucune réaction du Monde et le nombre de journaux relayant l’affaire étaient singulièrement moins nombreux. La technique des parts égales aurait consisté à parler de nouvelles d’importance différente avec la même « résonance ».

Le suivisme des événements est l’une des raisons qui explique le divorce de la presse avec la société. Une autre pourrait être l’illusion de croire que l’objectivité existe, d’où une certaine méfiance à adopter face à des médias se prétendant tels. Un journal engagé (qui privilégiera certains thèmes et, partants, certaines informations) aura peut-être l’honnêteté de refuser la diffusion d’une « fausse nouvelle » à son avantage. Les nombreux exemples cités précédemment abordaient surtout les événements internationaux et force est de constater que, dans chaque cas, l’unanimité des médias était de mise avec le suivisme le plus éclatant. Mais qu’est-ce que Vladimir Volkoff aurait pensé de l’affaire Skripal et du crash du MH17 ? Nul doute qu’il aurait commencé par étudier leur traitement médiatique pour tenter d’y déceler quelque diable caché dans les détails.

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Louis-Maxence d’Halluin

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