<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Editorial : Le continent de l’incompréhension

8 juillet 2020

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : Barack Obama et Raul Castro à Cuba le 21 mars 2016. SIPA, AP22191339_000002

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Editorial : Le continent de l’incompréhension

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L’Amérique latine, c’est nous : langue, histoire, religion, culture… nous partageons tant de choses avec le cône sud de l’Atlantique que c’est à juste titre que l’on peut le voir comme un Extrême-Occident. À Santiago du Chili, à Brasilia, à Buenos Aires, nous sommes dans des villes pleinement européennes, au même titre que Madrid, Naples ou Paris.

La proximité culturelle avec l’Europe

Avec les habitants de ces pays, nous partageons une vision du monde commune, donnant l’impression d’être comme chez nous. Nombre de ces habitants sont les descendants des Européens venus entre le XVIIe et le XXe siècle et qui conservent des racines sentimentales avec l’Europe. Contrairement à l’Asie et à l’Afrique, c’est le continent où la colonisation a réussi et où l’implantation humaine s’est faite avec le plus de succès. Et pourtant, il y a tant de choses qui nous échappent de l’Amérique latine qui fait que cette terre n’est pas complètement un autre nous-mêmes. Son substrat indigène, ses cultures précolombiennes, ses villes immenses qui n’en finissent pas de s’étendre, sa violence sociale, qui n’en finit pas de s’éteindre. Vues d’Europe, passé Zweig et Braudel, passé les arrivées des colons du XIXe siècle à la recherche d’une autre terre promise, ces terres extrêmes ne sont pas occidentales. Le continent semble enfermé dans une violence endémique qui ne finit jamais : cartels de la drogue, favelas, répression par les communistes, répression par les militaires. Il semble que le temps se soit suspendu, comme les centres historiques de Salvador de Bahia et de La Havane, comme un tango sans fin de Carlos Gardel. L’Amérique latine peut-elle être chose que Tintin et ses Picaros à la mode Lula, Chavez ou Bolsonaro ?

Il faut prendre cet espace pour ce qu’il est

Son identité culturelle est mêlée : hispanique, lusitanienne, et aussi française, indigène et métis. La Pachamama et les huaca cohabitent avec le Christ et les Ave Maria. Cette pluralité fonde l’identité de la région qui se traduit ensuite dans l’identité de chaque pays. Le continent est un exemple unique de formation d’identité nationale : un même substrat, un même vernis et pourtant des pays bien marqués et différenciés. Le continent est celui des cultures musicales et littéraires, des mégapoles monocéphales et d’une violence qui semble consubstantielle.

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Cela donne une région originale, fascinante et séduisante. Son poids économique et politique est faible sur la scène mondiale : aucun pays ne rivalise avec les grands, en dépit des espérances placées ici où là. Mais son influence culturelle est immense, comme laboratoire de nombreuses idées et théories (communismes et dictatures militaires hier, populisme et indigénisme aujourd’hui). De ce point de vue, il est l’inverse de l’Asie, qui est une grande puissance économique, mais une puissance culturelle plus faible. Sous cet aspect-là, l’Amérique latine façonne l’Europe et son expérience politique est scrutée par beaucoup. Le Brésil de Lula a suscité des espoirs immenses, celui de Bolsonaro des peurs hystériques ; le Cuba des Castro continue d’en faire rêver certains, les mêmes qui rêvent à l’alliance bolivarienne et au soulèvement des peuples indigènes ; l’Amazonie est la terre promise des écolo-communistes et les Indiens se trouvent congelés dans une bonté naturelle qui ressemble de plus en plus à un musée des fantasmes occidentaux. On ne rêve plus d’or du Pérou ni d’argent de la Plata et un peu moins de réforme agraire, de théologie de la libération et de révolution tropicale ; c’est désormais l’écologisme qui a remplacé tout cela, sans guère se demander ce qu’en pensent les populations directement concernées.

La question implicite posée au continent est donc de savoir si celui-ci peut quitter ses divisions sociales et culturelles pour devenir un grand continent économique et politique, ce que lui autorisent ses ressources, son positionnement mondial entre Atlantique et Pacifique et la diversité de ses territoires. Ou bien est-ce que le schéma « révolutions, dictatures, corruption, violence » est destiné à durer toujours. Entre le voisin Américain, jalousé et admiré, entre l’Europe qui projette ses propres fantasmes sur une terre qu’elle croit sienne, l’Amérique latine doit gagner sa véritable indépendance pour être ce qu’il est et non plus un miroir des autres.

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.

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