Madagascar a basculé dans une nouvelle phase de crise ce samedi. Une partie de l’armée a rejoint les manifestants, le président s’est enfui, de nombreux civils ont été tués. La confusion la plus totale règne sur l’île.
En quelques heures, la situation politique s’est profondément transformée : une unité de l’armée, le CAPSAT, a refusé d’obéir au gouvernement et s’est ralliée à la rue, escortant les manifestants jusqu’à la place du 13 Mai, symbole historique de la contestation à Antananarivo.
Cette accélération intervient après trois semaines de manifestations initiées par la jeunesse malgache, regroupée sous le nom de « Gen Z Madagascar ». Le mouvement, né pour dénoncer les coupures d’eau et d’électricité, a rapidement pris une tournure politique. Les manifestants réclament désormais la démission du président Andry Rajoelina, la dissolution du Sénat et une refonte du système électoral. Face à la colère, le chef de l’État avait tenté de calmer la situation en nommant un nouveau Premier ministre, le général Ruphin Fortunat Zafisambo, le 6 octobre, et en confiant plusieurs portefeuilles clés à des militaires. Une manière d’affirmer son autorité en s’appuyant sur les forces armées.
Les militaires prennent le pouvoir
Mais cette stratégie s’est retournée contre lui. Ce samedi, des soldats du CAPSAT, une unité d’élite qui avait soutenu Rajoelina lors du coup d’État de 2009, ont pris position aux côtés des manifestants. Leur commandant, le colonel Mikaël Randrianirina, a affirmé que l’unité « répond à l’appel du peuple » tout en rejetant l’idée d’un coup d’État. « Nous voulons protéger la population, pas prendre le pouvoir », a-t-il déclaré, selon plusieurs médias locaux.
Escortés par les militaires, des milliers de manifestants ont ensuite franchi les grilles de la place du 13 Mai, haut lieu de l’histoire politique malgache, interdit de rassemblement depuis le début de la crise. Des drapeaux nationaux ont flotté parmi les blindés, image saisissante d’une alliance inédite entre la rue et une partie de l’armée. Le général Lylison René, figure influente, est apparu sur la place pour appeler les gendarmes à cesser les tirs sur civils et soldats et a exigé la démission de leurs supérieurs afin d’éviter une escalade sanglante.
Selon des témoins rapportés par France Info La 1ère, un gendarme aurait ouvert le feu sur un membre du CAPSAT, illustrant la gravité de la fracture au sein des forces de sécurité. En réponse, le chef d’état-major, le général Jocelyn Rakotoson, a lancé un appel au dialogue, estimant qu’« il n’y a aucun intérêt à poursuivre les affrontements ». Il a invité les chefs religieux à jouer un rôle de médiation et exhorté la population à préserver les biens communs.
Le gouvernement tente, lui aussi, de reprendre la parole. Le ministre des Armées a demandé aux troupes de rester calmes et de ne pas se laisser « entraîner dans des actions contraires à la Constitution ». Les autorités affirment qu’un processus de concertation est en cours, tout en maintenant des couvre-feux partiels dans la capitale.
Le bilan humain s’alourdit. Selon les Nations unies, au moins 22 personnes ont été tuées et une centaine blessées depuis le début des mobilisations. Le gouvernement parle, lui, de 12 morts, tout en promettant une enquête sur « l’usage disproportionné de la force ». Des témoignages évoquent des tirs à balles réelles, des grenades assourdissantes et des arrestations arbitraires. Plusieurs blessés refusent d’être soignés dans les hôpitaux publics, craignant des représailles.
Fuite du président
Le président malgache n’est plus intervenu. Selon plusieurs sources, il a fui la capitale, sans que l’on sache à cette heure s’il est encore à Madagascar.
L’ambassade de France a demandé à ses ressortissants de rester chez eux, tandis que les vols d’Air France vers Antananarivo ont été suspendus. Les Nations unies et l’Union africaine appellent au calme et à un dialogue inclusif.
Dans la capitale, la tension reste extrême. Les partisans du mouvement Gen Z célèbrent ce qu’ils perçoivent comme une victoire morale, mais redoutent aussi une récupération politique. « On est fiers, mais prudents. On ne veut pas d’un autre dirigeant corrompu », confie un jeune manifestant cité par The Guardian.
À Antananarivo, la nuit s’annonce incertaine. Alors que le pouvoir vacille, le pays tout entier retient son souffle. Entre les appels à la médiation, la désobéissance militaire et la colère populaire, Madagascar se trouve à la croisée des chemins : celui d’une transition politique imprévue ou d’une déflagration dont nul ne peut encore mesurer l’ampleur.