<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Émeutes françaises et fuite des capitaux

3 juillet 2023

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Photo : Des jeunes affrontent les forces de police à Nanterre, près de Paris, le jeudi 29 juin 2023. Christophe Ena/AP/SIPA
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Émeutes françaises et fuite des capitaux

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Nous avons passé le week-end dernier à nous inquiéter de la possibilité d’une guerre civile en Russie. Ce week-end, nous avons dû contempler des scènes poignantes dans toutes les grandes villes françaises, qui avaient l’apparence d’une guerre civile. Au-delà des problèmes sociaux, cela pose aussi plusieurs questions sur le rang français à l’international. 

La police française n’a pas affaire à des « manifestations », ni même à des « émeutes », mais plutôt à des razzias et à des vols organisés. Il n’y a pas de revendications politiques, pas d’objectifs recherchés, pas de direction d’un « mouvement ». Les foules des centres commerciaux, des supermarchés et des centres-villes se rassemblent pour piller sous le couvert d’être un petit morceau d’une foule plus grande. 

Comment tant de jeunes – 80 % des arrestations concerneraient des mineurs – peuvent-ils être aussi ouvertement malhonnêtes ? En outre, des actions similaires ont été menées en Belgique, en Suisse et aux Pays-Bas. S’agit-il d’un échec cuisant des systèmes éducatifs européens ou d’autre chose ? Ces dernières années, nous avons assisté à des mouvements de foule absurdes, massifs et hystériques (on pense à la panique de Covid) et ici, une fois de plus, il semble que les foules se comportent d’une manière qui défie le bon sens. Après tout, pourquoi détruire des lignes de tramway, des trains, des bus et des complexes de piscines ?

Destructions des villes

En discutant avec des amis français qui travaillent ou ont travaillé dans l’armée ou la police, le refrain commun est que la destruction des infrastructures publiques n’est peut-être pas aussi gratuite que je l’ai supposé. En effet, dans certains quartiers de Paris, Marseille, Lyon et autres, les gangs répudient tous les symboles de la République française. Leur « approche politique » est presque tribale, un territoire donné étant considéré comme appartenant à « notre tribu » et la police française étant considérées comme appartenant à « une autre tribu » qui « empiète sur notre territoire ». Ainsi, les signes de la République française, qu’il s’agisse de bibliothèques, d’écoles ou de mairies, doivent être détruits. Il en va de même pour les voies de communication qui permettent de passer d’un territoire à l’autre.

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Il va sans dire que cette vision réductrice et alarmante est vraisemblablement celle d’une petite minorité des pillards d’aujourd’hui. Mais une petite minorité couverte par une foule peut faire des ravages. Ce week-end, les maires des villes locales ont été attaqués à leur domicile, tandis que la destruction des infrastructures publiques a même touché la piscine d’entraînement des Jeux olympiques de l’année prochaine.

La première tâche de tout gouvernement est de maintenir la loi, l’ordre et la justice. Sa deuxième mission est de maintenir la paix et l’harmonie sociale. On a dit aux contribuables français qu’ils devaient payer toujours plus d’impôts au motif que des dépenses publiques inférieures à 60 % du PIB conduiraient à l’anarchie sociale. Or, si l’on juge l’arbre à ses fruits, l’augmentation constante des dépenses publiques a été un échec. Cela soulève également la question suivante : que se passera-t-il ensuite ? L’augmentation des dépenses publiques résoudra-t-elle quoi que ce soit, et d’où viendra l’argent ? À cet égard, il convient de prendre en compte trois facteurs :

– La menace d’une « grève de l’impôt » en France, ou d’un « Atlas Shrugged » qui verrait les entrepreneurs démissionner, est désormais bien réelle. Mener des affaires dans un environnement anarchique peut devenir impossible, ou payer des impôts lorsque l’État ne parvient pas à faire régner l’ordre public peut s’avérer trop inique.

– Lorsque les magasins n’auront plus rien à piller et que les émeutes se calmeront, comment le gouvernement réagira-t-il ? Pariant sur la forme, il proposera de nouvelles aides pour les « quartiers difficiles » et de grands projets de reconstruction des infrastructures détruites. Mais ces mesures seront mal perçues par la plupart des citoyens, qui sont en colère et dégoûtés par ce qu’ils ont vu. Et tout plan de dépenses importantes pour les banlieues difficiles nous ramènera à la question d’Atlas Shrugged.

– Le gouvernement peut-il survivre à cet échec épique ? D’un point de vue constitutionnel, il n’y a aucune raison de penser qu’il est sur le point de disparaître. Mais même si les choses se calment dans les jours et les semaines à venir (ce que, inutile de le dire, j’espère de tout mon être), il sera, au mieux, « en fonction, mais pas au pouvoir ». Et comme, après les récentes élections locales, le gouvernement allemand se trouve dans une situation similaire, cela laisse un vide de pouvoir au cœur de l’Europe.

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Comme les lecteurs réguliers le savent, Charles Gave et moi avons soutenu au cours de la dernière décennie que les obligations d’État chinoises offrent aux investisseurs de portefeuille une meilleure diversification que les bons du Trésor américain ou les obligations d’État de la zone euro. Il est intéressant de noter que le refrain le plus courant à ce sujet concerne le « risque politique » en Chine. Après tout, une nouvelle révolution chinoise pourrait-elle se produire, qui verrait la population se soulever et renoncer à la dette contractée par le parti communiste chinois ? L’arc de l’histoire s’infléchit lentement, mais il s’infléchit vers la liberté et la démocratie.

C’était à l’époque. Aujourd’hui, affirmer que le risque politique est plus important en Chine qu’en Europe signifie s’accrocher au scénario à faible probabilité selon lequel la Chine est prête à envahir Taïwan ou, à défaut, s’assurer l’aide d’un chien d’aveugle. Entre-temps, les obligations chinoises ont déjà surperformé les obligations de la zone euro de plus d’un tiers au cours de la dernière décennie, et ce avant que les prévisions de croissance de la Chine ne soient revues à la baisse. Les obligations françaises n’ont rien rapporté au cours de la dernière décennie et, au vu des émeutes de cette semaine, cette performance pourrait en fait refléter leur profil de risque sous-jacent.

En définitive, alors que la France brûle, que les dépenses publiques en Europe augmentent et que la Banque centrale européenne doit à nouveau refinancer la dette des plus mauvais élèves de la zone de la monnaie unique, l’épargne européenne se tournera à nouveau vers l’étranger. Cet « étranger » sera-t-il les États-Unis (le chemin de la moindre résistance), le Japon (où un vaste marché haussier se met en place), les marchés émergents hors Chine (où un scénario à triple mérite gagne du terrain chaque jour), ou la Chine (où les titres continuent de décevoir, mais où les valorisations, du moins du côté des actions, sont peut-être les plus attrayantes) ? Quoi qu’il en soit, après la semaine écoulée, il est difficile d’éviter la conclusion que l’Europe restera une source, plutôt qu’une destination, pour les capitaux. Une maison divisée contre elle-même ne peut pas tenir.

À propos de l’auteur
Louis-Vincent Gave

Louis-Vincent Gave

Louis-Vincent Gave est cofondateur de Gavekal Resarch, il vit et travaille à Hong Kong depuis de nombreuses années. Il est l’auteur de six livres dont Clash of Empires : Currencies and Power in a Multipolar World (2019).
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