En France, un référendum est devenu impossible

9 décembre 2023

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En France, un référendum est devenu impossible

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C’est ce qu’affirme Ghislain Benhessa dans son nouvel ouvrage paru en novembre. Après avoir détricoté le triomphe de la légalité sur la légitimité dans son Totem de l’État de droit, l’avocat, philosophe et docteur en droit strasbourgeois signe un essai saillant déplorant l’évacuation progressive du demos dans les prises de décisions publiques de ces cinquante dernières années.

Ghislain Benhessa, Le référendum impossible, éd. L’artilleur, Paris, 2023, 270 pages

Le référendum impossible de Ghislain Benhessa est avant tout une histoire et une réflexion sur la Ve République au regard de l’implication du peuple dans le jeu politique. De manière inévitable, l’auteur remonte donc jusqu’à la partition Sieyès / Rousseau qui structure le paysage politique français depuis le XVIIIe siècle :

« D’un côté, la souveraineté de la nation, qui délègue à ses représentants l’exercice de la volonté générale. […] De l’autre, la souveraineté du peuple, et avec elle le suffrage universel, le référendum, le mandat impératif ou le droit de révocation des élus. »

« Un officier d’état civil un peu spécial »

Benhessa ne s’en cache pas un seul instant, son travail se place dans le logiciel du général de Gaulle, qui a su en 1958 opérer à un mariage de raison entre souveraineté populaire et souveraineté nationale.

Contre la IVe République et le « système des partis », de Gaulle veut rendre la parole au peuple et ne conçoit pas l’exercice de son pouvoir sans être en contact direct avec lui, et fait du référendum, emblème de la démocratie directe, « le bras brionique de la Constitution de 1958. » Selon Benhessa, « à compter du 4 octobre 1958, le référendum est libéré de ses chaînes. »

Et pour cause, de 1958 à 1969, de Gaulle va utiliser quatre fois son arme de prédilection, « soit pour sortir de la crise et remettre au peuple les clefs de son destin — c’est le sens des consultations sur l’Algérie —, soit pour associer les Français aux métamorphoses institutionnelles qu’il appelle de ses vœux — de l’élection du Président au suffrage universel direct jusqu’à la régionalisation et la rénovation du Sénat. » C’est d’ailleurs sur ce dernier sujet qu’il tombera, laissant derrière lui un chantier inachevé, celui de la participation, destiné à faire entrer les forces vives de la nation dans les plus hautes sphères de l’État.

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Contre la rue de Montpensier et les juges

Cet ouvrage vient compléter celui sur l’État de droit paru en 2021. Il permet de tirer une loi d’airain de la Ve République. Plus le pouvoir des juges, par exemple celui des juges du Conseil constitutionnel, les Sages de la rue de Montpensier, gagne en importance, moins le peuple est associé aux décisions par la voie du référendum.

Sur les neuf référendums s’étant tenus depuis 1958, quatre l’ont été sous le général de Gaulle. Cinq seulement ont été voulus par le chef de l’État. « Le général en a été le chef d’orchestre à chaque fois, lui s’en est remis au peuple jusqu’à subir la triste loi du désamour. » Pompidou suit les traces de son prédécesseur (référendum sur l’entrée du Royaume-Uni dans l’UE), mais ensuite le fil se rompt, et tous les autres présidents « référenderont » sous la contrainte, sans être convaincus de l’outil démocratique qu’ils utilisent.

De 1971 à la Question prioritaire de constitutionnalité voulue par Nicolas Sarkozy, en passant par l’ouverture de la saisine aux parlementaires sous Giscard, les Sages se sont imposés comme des acteurs incontournables de la vie politique française. À tel point que Benhessa se demande s’il serait encore possible de tenir un référendum sans que ce Conseil, ô combien politisé, ne vienne s’interposer. Pour juguler le dérapage populiste.

Fin de la souveraineté populaire ?

Tout un symbole : c’est le centriste et pro-européen Alain Poher qui, au cours de ses quelques dizaines de jours de présidence par intérim, accomplit un acte décisif le 5 mai 1974 faisant entrer en vigueur la Convention européenne des droits de l’Homme. Les juges de Strasbourg et leur kyrielle de droits en tout genre auront désormais l’ascendant sur le juge français. De Gaulle se retourne dans sa tombe.

À cela s’ajoutent le mépris, et la peur qu’ont les dirigeants de l’onction populaire. En 1992, sur Maastricht, cela est pour la première affiché de manière tout à fait ouverte. Le soutien au non est le signe d’un quasi-retard mental. Et ne parlons même pas de 2005, dont le résultat sera trahi deux ans plus tard par ce passage en force du mini-traité de Sarkozy, pire que la Constitution européenne de Giscard, car procédant d’une logique encore plus sournoise.

Depuis près de vingt ans, la France n’a plus connu de référendum. Ce n’est pas un hasard. Il faudrait pour qu’un nouveau scrutin de ce type se tienne que le pouvoir des juges et la logique du politiquement correct soient cassés. Pour s’en convaincre, on lira avec une grande attention le très bel ouvrage de Ghislain Benhessa.

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À propos de l’auteur
Yann Caspar

Yann Caspar

Yann Caspar est journaliste et chercheur au Centre d'études européennes du Mathias Corvinus Collegium à Budapest.
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