Énergie : le Caucase, un axe essentiel pour l’Europe

4 mai 2025

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Énergie : le Caucase, un axe essentiel pour l’Europe

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Le Caucase est un axe essentiel pour l’approvisionnement énergétique de l’Europe. Gaz et pétrole transitent par la mer Caspienne et la Turquie. Entretien avec Samuel Furfari pour comprendre la donne géopolitiue de l’énergie.

Conflits : De retour d’Azerbaïdjan, où s’est tenu le septième forum international consacré à la thématique « affronter le nouvel ordre mondial », quels enseignements tirez-vous de cette rencontre, tant sur la composition de ses participants que sur la teneur des débats ?

Samuel Furfari : Ce forum, organisé par l’université ADA (Azerbaijan Diplomatic Academy) et le « Center of analysis of international relations », un think tank basé à Bakou , a rassemblé quatre-vingts experts essentiellement venus d’Asie centrale, des États-Unis, du Moyen-Orient et d’Afrique. Il est à noter la faible représentation européenne, et plus particulièrement l’absence totale de participants français. Cette configuration a permis d’aborder avec une grande liberté les mutations profondes qui traversent actuellement la scène internationale, avec, il faut bien le dire, une vision différente de celle habituellement partagée au sein de l’Union européenne. S’ouvrir à la pensée des autres est toujours stimulant.

Conflits : Quels constats ont émergé des discussions concernant la situation géopolitique mondiale actuelle ?

Samuel Furfari : Les débats ont révélé la complexité et la gravité de la situation mondiale. Nous assistons à une montée des nationalismes, à la résurgence de conflits régionaux et mondiaux, ainsi qu’à une remise en cause du multilatéralisme, qui constituait le socle de la gouvernance internationale depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette crise se manifeste par un affaiblissement des organisations internationales, un recul du droit international et une tendance croissante à la primauté de la loi du plus fort sur la scène mondiale. Parallèlement, les tensions culturelles s’exacerbent, tandis que les problématiques liées à l’immigration, au protectionnisme et aux guerres commerciales viennent encore complexifier un paysage déjà fragile. Les paroles de l’ancien Premier ministre britannique Lord Palmerston deviennent de plus en plus évidentes : « Nous n’avons pas d’alliés éternels ni d’ennemis perpétuels. Nos intérêts sont éternels et perpétuels, et il est de notre devoir de les servir ». Il est temps que l’UE en tienne compte.

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Conflits : Le forum a-t-il permis d’identifier de nouveaux acteurs ou dynamiques sur la scène internationale ?

Samuel Furfari : Ce forum a effectivement souligné l’émergence de nouveaux pôles d’influence, notamment à travers le rôle croissant de pays non occidentaux, à l’instar de l’Azerbaïdjan, qui cherche à s’affirmer comme un acteur de médiation et de dialogue entre le Sud global et le Nord global. Les débats ont ainsi mis en exergue la nécessité de repenser les mécanismes de la coopération internationale, dans un contexte où la fragmentation des intérêts nationaux rend la recherche de solutions collectives de plus en plus difficile.

En effet, cette rencontre internationale a illustré l’ampleur des bouleversements en cours et la nécessité d’adopter une approche pragmatique, fondée sur l’analyse des rapports de force réels et sur la recherche de compromis adaptés aux nouvelles réalités géopolitiques, tout en respectant les intérêts de chaque pays. Face à la crise du multilatéralisme et à la multiplication des défis mondiaux, il apparaît indispensable de privilégier des solutions flexibles, capables de s’adapter à la diversité des intérêts nationaux, tout en préservant les acquis essentiels de la coopération internationale. Loin de signifier un renoncement, ce pragmatisme constitue au contraire la condition d’une gouvernance mondiale efficace dans un monde désormais multipolaire et instable.

CONFLITS : Au-delà de ses richesses énergétiques, en quoi la position géographique de l’Azerbaïdjan et ses alliances régionales renforcent-elles son rôle sur la scène internationale ?

Samuel Furfari : L’Azerbaïdjan tire une part essentielle de son influence de sa position stratégique au carrefour de l’Eurasie, bien que le pays soit reconnu pour ses importantes ressources énergétiques. Pays turcique héritier des routes de la soie, il s’est imposé comme un acteur central du « corridor médian », axe logistique reliant la Chine à l’Europe en contournant la Russie. Cette configuration géographique confère à l’Azerbaïdjan un rôle de pivot dans les nouvelles dynamiques de connectivité eurasiatique, rendant le pays indispensable à la Chine dans le cadre de son initiative « la Ceinture et la Route ».

Les relations entre les États turciques, fondées sur des liens historiques, ethniques, linguistiques et culturels, s’intensifient et visent une intégration accrue. Membre actif de l’Organisation des États turciques, l’Azerbaïdjan cultive une solidarité régionale qui s’exprime tant sur le plan politique qu’économique, notamment à travers des projets d’infrastructures majeurs. Cette émergence d’un « objet turcique » s’inscrit dans la fragmentation géopolitique mondiale et pourrait faire de la région un centre d’activité internationale de premier plan.

La coopération étroite entre la Géorgie et l’Azerbaïdjan illustre parfaitement cette dynamique. Ensemble, ils ont réussi à établir des corridors énergétiques stratégiques, permettant le transport du pétrole et du gaz de la mer Caspienne vers l’Union européenne. Cette réussite a élevé le Caucase du sud au rang de région géopolitiquement stratégique, chaque pays servant de porte d’entrée à l’autre pour accéder à divers marchés et continents. La position géographique de ces deux États, entre la mer Caspienne et la mer Noire, leur confère un rôle de carrefour incontournable pour les flux énergétiques et commerciaux.

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L’avenir de cette dynamique dépendra en grande partie de la capacité de l’Azerbaïdjan à concrétiser des projets tels que le corridor de Zanguezour (dont votre revue a traité dans la dernière livraison), qui relierait directement le pays à la Turquie via le Nakhitchevan, tout en contournant l’Arménie et l’Iran. Ce corridor, s’il se concrétisait, renforcerait considérablement l’intégration régionale et la connectivité eurasiatique, tout en modifiant les équilibres de puissance dans une région historiquement instable.

En somme, la géographie de l’Azerbaïdjan, alliée à une diplomatie active et à des alliances régionales solides, lui permet de s’affirmer comme un acteur incontournable pour la sécurité énergétique européenne et pour la recomposition des routes commerciales mondiales. Si cette dynamique prometteuse se maintient, elle apportera des bénéfices non seulement à l’Azerbaïdjan et à la Géorgie, mais également à de nombreux autres acteurs régionaux et internationaux.

Conflits : Je suppose que ce n’est pas uniquement la Chine et l’Azerbaïdjan, mais l’ensemble de l’Asie centrale qui est intéressé par ce corridor médian.

Samuel Furfari : Vous avez tout à fait raison. L’intérêt pour le corridor médian ne se limite pas à la Chine ; il concerne l’ensemble des pays d’Asie centrale, comme en témoigne la forte présence des cinq républiques d’Asie centrale lors du forum. Cette mobilisation régionale s’inscrit dans une dynamique plus large de repositionnement stratégique de l’Asie centrale, longtemps considérée comme périphérique, mais qui tend aujourd’hui à devenir un véritable carrefour géopolitique et logistique entre l’Europe et l’Asie.

La semaine précédant ce forum, la présidente de la Commission européenne et le président du Conseil de l’Union européenne se sont rendus à Samarcande pour signer un accord de partenariat avec ces pays, qui affichent désormais l’ambition de s’affirmer comme des puissances régionales à part entière. Cette ambition se traduit par des investissements massifs dans les infrastructures de transport et de logistique, à l’image des ports maritimes géorgiens, du chemin de fer Bakou-Tbilissi-Kars, du port azerbaïdjanais d’Alat et du développement du transport maritime sur la mer Caspienne. Ces réalisations concrètes rendent aujourd’hui opérationnelles les nouvelles routes de la soie, facilitant ainsi la circulation des marchandises entre l’Europe, l’Asie centrale et la Chine.

J’ai été particulièrement frappé par le dynamisme économique qui y règne, dynamisme que l’on retrouve également dans les autres pays d’Asie centrale. Marqués par l’expérience traumatique du communisme, tous ces États manifestent une volonté farouche de tourner la page et de profiter des avantages de l’économie de marché. En Azerbaïdjan, par exemple, l’absence d’une gauche politique structurée ne s’explique pas uniquement par le régime présidentiel, mais aussi par le rejet profond et durable du modèle communiste, dont les effets délétères sont ancrés dans la mémoire collective.

Ainsi, en s’appuyant sur le corridor médian, l’Asie centrale cherche à s’émanciper des anciennes dépendances, à diversifier ses partenaires et à s’intégrer pleinement dans les nouvelles dynamiques de la mondialisation multipolaire. Cette stratégie, soutenue par l’Union européenne et d’autres acteurs internationaux, vise à faire de la région un acteur structurant de la connectivité eurasiatique et du commerce global, et non plus un simple espace de transit.

Conflits : Nous, Européens, sommes surtout intéressés par l’énergie de ce pays. Pouvez-vous nous dresser la situation actuelle en la matière ?

Samuel Furfari : J’ai eu l’honneur de m’entretenir en tête-à-tête avec de hauts dirigeants politiques et administratifs du secteur de l’énergie. Ces échanges ont renforcé et validé les analyses que je partage depuis des années avec mes étudiants en géopolitique de l’énergie à propos de cet acteur énergétique de premier plan.

L’Azerbaïdjan occupe une place singulière dans l’histoire de l’énergie mondiale. C’est en effet à Bakou, et non aux États-Unis, que le premier puits de pétrole a été foré en 1846, durant l’empire russe. Cette découverte a ouvert la voie à une industrie pétrolière florissante, notamment sous l’impulsion des frères Nobel installés à Saint-Pétersbourg. Cette prospérité fut toutefois brutalement interrompue par la période soviétique, durant laquelle le pétrole azéri fut exploité au profit de Moscou, privant le pays de ses bénéfices. Avec la fin de l’URSS, l’Azerbaïdjan a pu renouer avec son destin énergétique, relançant une épopée pétrolière et gazière qui façonne aujourd’hui sa géopolitique.

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La production d’hydrocarbures reste le pilier de l’économie azérie : en 2022, le pays a produit 32,7 millions de tonnes de pétrole et 35 milliards de mètres cubes de gaz naturel, qu’il a respectivement exporté à hauteur de 26,6 millions de tonnes de pétrole et 22,6 milliards de mètres cubes de gaz. L’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) permet d’acheminer le pétrole de la mer Caspienne jusqu’à la Méditerranée, tandis que le Southern Gas Corridor (SGC), via les gazoducs TANAP et TAP, assure l’exportation du gaz azéri jusqu’au sud de l’Italie, desservant aujourd’hui douze pays européens.

Suite à la guerre en Ukraine, l’Azerbaïdjan a contribué à soulager la crise énergétique européenne en augmentant ses livraisons de gaz à l’Union européenne de près de 60 % entre 2021 et 2024, passant de 8 à près de 13 milliards de mètres cubes. Cette hausse a permis à de nouveaux pays, comme la Croatie ou la Slovaquie, de devenir clients du gaz azéri. Consciente de sa dépendance, l’Union européenne demande désormais à Bakou de doubler ses livraisons d’ici 2027. Toutefois, cette ambition se heurte à des contraintes d’infrastructures : le SGC fonctionne déjà au maximum de sa capacité, et tout accroissement nécessiterait des investissements de l’ordre de 20 milliards de dollars, répartis entre la mise en exploitation de nouveaux gisements en mer et le transport. Or, l’incertitude politique européenne, marquée par les déclarations de la présidente de la Commission européenne sur l’obsolescence des énergies fossiles et par celles de Mario Draghi dans son rapport sur la perte de compétitivité, qui estime qu’en 2030, le gaz ne sera plus utilisé dans l’Union européenne, freine la prise de risque des investisseurs azéris.

Cette situation nourrit un certain ressentiment à Bakou, où l’on dénonce l’ostracisme financier européen envers les projets fossiles et l’hypocrisie d’une Union européenne qui réclame plus de gaz tout en affichant des objectifs de décarbonation irréalistes. Lors de l’ouverture de la COP 29, le président Ilham Aliyev a d’ailleurs qualifié le pétrole et le gaz de « cadeau de Dieu », provoquant la stupeur des activistes présents.

Il convient de rappeler que l’Azerbaïdjan n’a pas la puissance de feu du Qatar ou de l’Arabie saoudite, mais qu’il n’existe pas de « petit » pays dans la géopolitique des hydrocarbures. Pays musulman, mais non islamiste, l’Azerbaïdjan exporte par exemple 60 % de son pétrole vers Israël, qui dépend à 40 % du brut azéri grâce à l’oléoduc BTC. Cette capacité à diversifier ses débouchés et à s’imposer comme un partenaire fiable fait de l’Azerbaïdjan un acteur incontournable de la nouvelle géopolitique de l’énergie, caractérisée par l’abondance des ressources et un marché désormais favorable aux acheteurs.

En somme, l’Azerbaïdjan a parfaitement compris les nouvelles règles du jeu énergétique mondial et sait en tirer parti, tout en exigeant de ses partenaires européens une cohérence entre discours et engagements financiers.

Conflits : Quelles autres questions internationales ont été abordées lors de ce forum ?

Samuel Furfari : Plusieurs enseignements majeurs se dégagent de ce forum, au premier rang duquel l’importance des relations diplomatiques croisées et du rôle de médiateur que l’Azerbaïdjan cherche à jouer dans la région. Par exemple, la Turquie et Israël, deux partenaires stratégiques de Bakou, illustrent parfaitement cette dynamique. La déclaration de Shusha, signée en 2021, a officialisé l’alliance entre la Turquie et l’Azerbaïdjan, scellant une coopération approfondie dans les domaines militaire, énergétique, économique et culturel. Israël, pour sa part, entretient depuis de nombreuses années une amitié solide avec l’Azerbaïdjan, fondée sur des intérêts communs et une confiance mutuelle éprouvée dans les moments difficiles. Dans ce contexte, Bakou s’emploie activement à rapprocher Ankara et Jérusalem, jouant un rôle discret, mais déterminant dans la normalisation de leurs relations, comme en témoignent les récentes rencontres de haut niveau organisées à Bakou pour apaiser les tensions, notamment sur le dossier syrien.

Ce rôle de médiateur confère à l’Azerbaïdjan une nouvelle stature diplomatique, lui permettant d’influer sur les équilibres régionaux et de favoriser la stabilité, tout en consolidant ses propres alliances. Cette capacité à fédérer des partenaires parfois antagonistes sans rechercher la reconnaissance témoigne d’une diplomatie pragmatique et constructive, qui s’inscrit dans la logique d’un monde multipolaire où les alliances sont mouvantes et les intérêts convergents.

Un autre point important du forum concerne l’évolution des relations avec les États-Unis. Sous l’administration Biden-Blinken, l’Azerbaïdjan a perçu une politique ouvertement défavorable, marquée par un soutien unilatéral à l’Arménie. Cette attitude a profondément entamé la confiance de Bakou envers Washington, provoquant une crise diplomatique sans précédent. En réponse, l’Azerbaïdjan a renforcé ses liens avec d’autres partenaires. Le retour d’une administration Trump a déjà modifié la donne, comme en témoigne l’arrêt des campagnes médiatiques hostiles et la reprise de contacts de haut niveau.

L’animosité de l’administration Biden s’est également manifestée à travers l’action de l’agence américaine USAID, accusée par Bakou de promouvoir des réseaux d’influence contraires aux intérêts nationaux et de porter atteinte aux valeurs traditionnelles du pays. Cette hostilité a conduit le procureur général de l’Azerbaïdjan à ouvrir une enquête sur les activités illégales de l’USAID. L’enquête en cours permet de mesurer l’ampleur de l’activité anti-azerbaïdjanaise de cette agence. En réaction, des appels à l’expulsion de l’USAID ont émergé, accompagnés d’une demande adressée directement à l’administration Trump pour qu’elle prenne des mesures contre cette organisation.

Conflits : Qu’en est-il du conflit avec l’Arménie ?

Samuel Furfari : Cette question demeure centrale dans tous les esprits, tant elle conditionne la stabilité du Caucase et l’avenir des relations régionales. Pour l’Azerbaïdjan, la guerre de 44 jours en 2020 a mis fin à trois décennies d’occupation du Haut-Karabakh, aboutissant à la signature, le 10 novembre 2020, d’un acte de capitulation par l’Arménie. Depuis lors, la dynamique a profondément changé : l’Azerbaïdjan a repris le contrôle de la quasi-totalité des territoires contestés, et l’exode de la population arménienne du Karabakh en 2023 a rendu la question du statut de la région non négociable pour Bakou.

En mars 2025, un pas décisif a été franchi : les deux pays ont annoncé avoir finalisé le texte d’un accord de paix censé mettre un terme à près de quarante ans de conflit. Toutefois, la signature de ce traité reste suspendue, car l’Azerbaïdjan exige que l’Arménie modifie sa constitution pour supprimer toute référence à des revendications territoriales sur le Karabakh, condition sine qua non à la normalisation des relations. Cette exigence, qui nécessiterait un référendum en Arménie, est politiquement sensible pour le gouvernement de Nikol Pashinyan, d’autant qu’il se prépare à organiser des élections législatives en 2026.

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Par ailleurs, la question du corridor de Zangezur, qui relie l’Azerbaïdjan à son exclave du Nakhitchevan, demeure un sujet de discorde majeur. Bakou réclame un accès terrestre garanti, tandis qu’Erevan craint une remise en cause de sa souveraineté sur cette bande stratégique. Ces enjeux frontaliers, hérités des manipulations impériales russes au XIXe siècle et des redécoupages soviétiques du XXe siècle, continuent d’empoisonner les relations bilatérales et d’alimenter les tensions régionales. La République islamique d’Iran, qui observe avec inquiétude le renforcement de l’Azerbaïdjan à sa frontière nord, apporte son soutien à l’Arménie chrétienne. Cette posture illustre un paradoxe supplémentaire dans la région : un régime théocratique chiite s’aligne, pour des raisons géopolitiques, avec un État chrétien contre un voisin musulman chiite, révélant ainsi la primauté des intérêts stratégiques sur les affinités religieuses.

Conflits. Une dernière question, quelle est la situation aujourd’hui du Karabakh ?

Samuel Furfari : Le forum a également eu lieu à Khankendi, anciennement Stepanakert, durant les 30 années de contrôle arménien. Après le rétablissement du contrôle azerbaïdjanais lors de l’opération militaire de septembre 2023, la quasi-totalité de la population arménienne a fui la région, laissant Khankendi et les autres localités quasiment désertes. Dès lors, l’Azerbaïdjan a affirmé sa souveraineté sur l’ensemble du territoire, effaçant les symboles de l’administration séparatiste et lançant un vaste programme de reconstruction et de réintégration. Je souligne qu’au hasard, j’ai vu des églises chrétiennes.

Le nom Khankendi, qui signifie « village du Khan », rappelle l’origine azerbaïdjanaise de la ville, fondée au XVIIIe siècle par le khanat du Karabakh, avant que l’empire russe puis l’Union soviétique ne modifient la composition démographique et l’organisation territoriale de la région. Aujourd’hui, l’Azerbaïdjan s’emploie à restaurer l’infrastructure urbaine et à réaffirmer l’identité historique de la ville. Un aéroport a été ouvert à Fuzuli et une autoroute est en voie d’achèvement pour relier la région. J’ai pu observer que la création de l’université du Karabakh à Khankendi attire déjà des étudiants, ce qui devrait être de nature à favoriser la renaissance de la vie locale, notamment en encourageant la population à investir les lieux et à participer à la vie universitaire.

La normalisation régionale dépend désormais de la signature d’un accord de paix entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Si un tel accord est conclu, il n’existera plus d’obstacle majeur à la coopération régionale et à l’intégration du Caucase du sud dans les nouvelles routes de la soie, ce qui profiterait à l’ensemble des pays de la région. La perspective d’une région pacifiée, connectée et prospère, disposant d’une énergie abondante et bon marché, et capable de jouer un rôle de carrefour entre l’Europe et l’Asie, est désormais à portée de main, à condition que les rancœurs du passé soient surmontées et que la stabilité soit durablement assurée.

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À propos de l’auteur
Samuele Furfari

Samuele Furfari

Samuel Furfari est professeur en politique et géopolitique de l’énergie à l’école Supérieure de Commerce de Paris (campus de Londres), il a enseigné cette matière à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) durant 18 années. Ingénieur et docteur en Sciences appliquées (ULB), il a été haut fonctionnaire à la Direction générale énergie de la Commission européenne durant 36 années.

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