Livre-Le casino climatique – Risques, incertitudes et solutions économiques face à un monde en réchauffement

13 mars 2020

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : ©Pixabay, 2019
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Livre-Le casino climatique – Risques, incertitudes et solutions économiques face à un monde en réchauffement

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Les dés du réchauffement sont lancés. Les aspects scientifiques, économiques et politiques sont de la partie et revus en détail par l’auteur qui nous aide à mieux comprendre la problématique majeure de notre temps.


L’attribution à William Nordhaus, professeur de science économique à l’Université Yale, titulaire du prix Nobel d’économie en 2018, a conduit l’éditeur de BOECK (Louvain-la- Neuve, Belgique) à publier, cette année 2019, un ouvrage datant de 2013 ; le lecteur doit donc conserver à l’esprit ce décalage dans le temps en parcourant cet opus car, comme nous l’avons mentionné en recensant l’ouvrage de Christian de Perthuis, le réchauffement s’est accéléré, ses effets ont redoublé d’intensité, alors que les rapports du GIEC s’accumulaient, apportant une multitude de données nouvelles, toutes préoccupantes. Pour ne citer qu’un chiffre, entre 2011 et 2019, la concentration de CO2 mesurée à l’observatoire de Mauna Loa, Hawaï, mesuré en ppm (parts par million), est passée de 390 à 408, or ces concentrations se sont situées entre 190 et 280 au cours du dernier million d’années. C’est dire qu’une hausse de 18 points en huit ans seulement signifie une accélération sans précédent du réchauffement.

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Cela dit, avec le Casino climatique, on a affaire à une somme dédiée au changement climatique, que notre auteur analyse depuis quarante ans, c’est-à-dire depuis la première conférence scientifique consacrée au climat et qui s’est tenue à Genève en 1979. On ne s’étonnera donc pas de n’y trouver aucune référence aux fameux accords de Paris, comme à la position du Président Trump sur cette question, ni sur les évolutions des politiques des principaux émetteurs, Chine, Inde, Japon, Russie, Brésil, pays du Golfe. L’auteur décrit bien la problématique du changement climatique, telle qu’elle ressort des travaux du GIEC, le groupe de l’ONU chargé de suivre cette question, créé en 1988 quatre années avant la conférence de Rio et qui a adopté la Convention des Nations-Unies sur le changement climatique (CNUCC) sous l’égide de laquelle se déroulent les COP (Conference of the Parties) dont la première s’est tenue à Berlin, sous la présidence d’Angela Merkel, alors Ministre fédérale de l’environnement. Il le fait avec un souci d’exhaustivité remarquable et une capacité de vulgarisation qui rend l’ouvrage accessible à un large public. Il le fait aussi en économiste, en estimant les coûts des dommages agrégés. Plusieurs découvertes intéressantes se dégagent de ces résultats. La première surprise est que, pour la fourchette des changements qui ont été calculés, les incidences estimées du changement climatique sont relativement faibles. Les dommages les plus considérables se situent à peu près à 5% du PIB, en cas de hausse des températures supérieures à 3,5 – 4,5°C. Le scénario le plus attentivement étudié présente un réchauffement de 2,5° C (dont on estime qu’il devrait se produire vers 2070). Pour ce réchauffement, les dommages centraux estimés s’élèvent à environ 1,5% du produit mondial. Pourtant, précise-t-il, nos modèles économiques ont énormément de mal à prendre en compte ces changements géophysiques majeurs et leurs incidences de manière fiable. Au surplus, l’auteur s’appuyait, en écrivant ces lignes, sur des modèles datant des années 2005-2010, depuis que de perfectionnements leur ont été apportés. Il pourrait être utile d’envisager comment nous pourrions assurer notre planète contre les risques que nous courons dans le Casino climatique. Afin de lutter contre le changement climatique, il convient de bien prendre en compte les sources des émissions du CO2, non pas seulement en termes de quantité d’émissions mais d’émissions par 1000 $ de combustible. Il est intéressant de voir que le pétrole émet 0,9 tonne de CO2 par 1000 $ de combustible, le gaz naturel, 2 tonnes par 1000 $ de combustible et le charbon en émet 11 tonnes de CO2 par 1000 $ de combustible. Le charbon est peu cher, on le savait, mais il émet beaucoup plus de CO2 par $ de dépense. C’est sur lui que doit porter les efforts de réduction les plus drastiques, mais on en est bien loin. Puis il propose les solutions les moins coûteuses en termes de PIB (taxe carbone ou système de plafonnement et d’échange). Sur le prix du carbone, il propose de partir d’un prix de 25 $ par tonne en 2015 (rappelons qu’il est actuellement de 120 euros en Suède). Le prix du carbone requis augmente rapidement au fil du temps, d’à peu près 5% par an en chiffres réels ou corrigés de l’inflation, pour atteindre 53 dollars par tonne de CO2 en 2030 et 93 dollars par tonne de CO2 en 2040. L’augmentation abrupte de prix est nécessaire pour étouffer la rapide croissance projetée des émissions de C02 qui est supposée dans la plupart des modèles économiques.

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Dans un deuxième temps, l’auteur passe en revue tous les obstacles à une maîtrise mondialement homogène et coordonnée du réchauffement, en déplorant le manque de coopération internationale sur ce sujet qu’il considère pourtant comme critique. Nous sommes prisonniers du nationalisme, du présent, de l’esprit partisan, de notre intérêt économique personnel. « L’analyse indique que la meilleure approche de la prévention de « perturbations dangereuses » du climat est en fait simple d’un point de vue économique (…). Ces politiques peuvent être mises en œuvre, soit par une taxe, soit par une limite d’émissions échangeables. Bien que ces deux mécanismes ne soient pas identiques, chacun peut cependant, s’il est bien conçu, réduire les émissions afin d’atteindre les objectifs environnementaux ; cela procurerait aux Etats de précieux revenus pour financer les services publics et réduire d’autres taxes et, ce faisant, améliorerait, plutôt qu’il ne freinerait, l’efficacité économique. Une fois n’est pas coutume, la bonne solution est une solution simple » (page 254). En dehors des efforts individuels à poursuivre et des politiques nationales à mettre en œuvre, il reste le domaine encore largement inexploré des avancées technologiques afin de passer à une économie peu carbonée. Pour ne donner qu’une idée saugrenue des diverses propositions envisagées afin d ‘interrompre l’élévation du niveau de la mer, des calculs ont indiqué qu’il conviendrait de pomper 3 000 000 000 000 000 000 litres par an vers le sommet de l’Antarctique !! Quant à la géo-ingénierie, aérosols sulfatés dans la stratosphère, installation de millions de particules, sortes de petits miroirs à une trentaine de kilomètres d’altitude, on voit que nous n’en sommes qu’au stade des études de laboratoire. Toutes les découvertes fondamentales peuvent être nuancées et constamment mises à jour en raison de l’incertitude qui règne à tous les stades de la chaîne qui relie la croissance économique aux impacts et politiques, en passant par les émissions et le changement climatique. Mais ces découvertes fondamentales ont résisté à l’épreuve du temps, de la réfutation et de multiples évaluations par des centaines de spécialistes des sciences naturelles et sociales. Rien ne justifie que des parties objectives ignorent simplement les résultats fondamentaux, les qualifient de canular ou prétendent que nous avons besoin d’un demi-siècle de plus avant d’agir. Depuis que le prix Nobel d’économie a écrit ces lignes, une décennie s’est écoulée, laps de temps qui a été le témoin d’une accélération des phénomènes climatiques extrêmes. Aussi, après « toxique » en 2018, youthquake (« irruption de la jeunesse ») en 2017 et « post-truth » (post-vérité) en 2016, le fameux dictionnaire Oxford a décerné le mot de l’année 2019 à « urgence climatique ». D’après l’institution, ce terme reflète le plus « l’éthique, l’humeur ou les préoccupations » de l’année écoulée et présente un « potentiel culturel durable ».D’après ses analyses statistiques, l’utilisation du terme « urgence » en lien avec le climat a dépassé tous les autres types d’urgence, avec une fréquence trois fois plus élevée que l’urgence en santé venant en deuxième place. De manière générale, tous les mots et expressions liés au changement climatique ont vu leur usage bondir en 2019. La fréquence du terme « climate crisis » (crise climatique) a été multiplié par 26, celle de « eco-anxiety » (éco-anxiété) a été multipliée par 44, ou celle « d’extinction » (extinction) par 7,8. Le dictionnaire Oxford définit l’urgence climatique comme « une situation qui appelle à une action urgente pour réduire ou freiner le réchauffement climatique et éviter des dommages potentiellement irréversibles ». Mais à Madrid, en décembre, les représentants des 196 pays adhérant à l’Accord de Paris se sont donnés le temps de la réflexion.

À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
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