Qui n’a jamais entendu les noms du tennisman Rafael Nadal ou du cycliste Alberto Contador ? L’Espagne et le sport semblent être liés pour la vie et ce, malgré les crises et les bouleversements politiques. Mais qu’en sera-t-il à l’avenir quand nous connaissons l’état du Trésor public ? Quoi qu’il en soit, le sport restera une constituante majeure de l’identité ibérique et un vecteur de son prestige sur la scène internationale.
En attendant Tokyo
Dix : c’est le nombre historique de sélections nationales espagnoles, aussi bien masculines que féminines, qui ont validé leur billet pour les Jeux olympiques de Tokyo au 3 février 2020 – et il pourrait encore augmenter. Un résultat jamais vu pour le pays et qui n’est surpassé que par les États-Unis d’Amérique (1). Notre voisin ibérique peut ainsi espérer une jolie moisson de médailles, à l’image de ce qui s’était produit à Londres en 2012 (2) et Rio de Janeiro en 2016 (3).
Bien qu’il ne figure pas parmi les toutes premières puissances mondiales dans le cadre de cette compétition-reine, il n’a pas à rougir de sa position, surtout pour un pays assez peu peuplé à l’échelle mondiale (47 millions d’habitants) et arrivé tardivement dans le monde du sport professionnel au niveau planétaire.
La situation est d’autant plus remarquable qu’avec la crise économique de 2008 et l’instabilité parlementaire qui mine l’Espagne depuis 2015, les crédits alloués au sport ont beaucoup baissé outre-Pyrénées. Ainsi le Conseil supérieur des Sports (CSD) fonctionne-t-il avec la ligne budgétaire que lui avait allouée le gouvernement Rajoy en 2018, laquelle ne pouvait guère donner lieu à des dépenses inconsidérées (4).
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Une passion espagnole
Malgré une situation financière inquiétante et des lacunes en termes d’organisation (5), le sport reste une passion espagnole avec un accroissement régulier du nombre d’adhérents dans les clubs et fédérations (6), des centres de préparation (Centros de Alto Rendimiento) devenus une référence internationale (7) et une pratique encore largement ancrée chez les enfants et les adolescents (8), notamment grâce à des horaires scolaires aménagés. La télévision publique, pour sa part, consacre plus de 120 millions d’euros par an à la diffusion des compétitions (9) par le biais d’une chaîne de sport en continu (Teledeporte), qui existe depuis 1994 (10). Quelques records ont été battus par les émissions sportives sur petit écran au cours des dernières années – notamment pour la finale de la Coupe du Monde de football masculin en 2010 et pour celle du Championnat d’Europe de 2012 dans la même discipline (11).
Si les hommes politiques manquent rarement de s’afficher avec les sélections nationales avant leur départ pour un tournoi ou lorsqu’elles rentrent victorieuses (12), la famille royale elle aussi est bien souvent de la partie (13). L’actuel monarque, Philippe vi, était même le porte-drapeau de la délégation espagnole lors des Jeux olympiques d’été de 1992, qui se déroulaient à Barcelone (14).
La prépondérance du ballon rond
Bien entendu, outre-Pyrénées, le football reste le sport-roi et celui qui contribue le plus à faire connaître le pays à l’international. Outre la très belle séquence de la sélection nationale masculine (qui a remporté le Championnat d’Europe en 2008 et 2012 ainsi que la Coupe du Monde en 2010), l’équipe féminine connaît un succès croissant, aussi bien auprès du grand public que dans les compétitions mondiales et continentales. La formation des jeunes joueuses devient l’un des points forts de la Fédération espagnole royale de Football et des différents clubs professionnels, fait remarqué par les médias au moment de la Coupe du Monde de 2019 en France (15).
Plus encore, la première ligue espagnole (Liga) est l’un des facteurs fondamentaux du rayonnement sportif espagnol à l’étranger. Marqué par la rivalité entre Real Madrid et FC Barcelone (dont le point culminant sont les fameux clásicos (16)), le championnat est cependant loin de se résumer à ces deux clubs et d’autres équipes se sont invitées à la fête sur la scène européenne au cours des dernières années. L’argent généré par la Liga, notamment via les droits de retransmission, entraîne l’ensemble du sport ibérique dans son sillage. De même, l’organisation réussie de grands événements footballistiques européens ou mondiaux confère à notre voisin pyrénéen (et en particulier à la ville de Madrid) une excellente image en même temps qu’il lui attire touristes et rentrées d’argent (17).
Ce succès se traduit par un appétit redoublé venu de l’étranger pour les clubs ibériques (18). Par ailleurs, qu’ils soient chinois (19), indiens (20) ou britanniques (21), les supporters, sportifs et dirigeants du monde entier sont de plus en plus attirés par le modèle footballistique de notre voisin ibérique. Le monde entier se retrouve d’ailleurs chaque année à Madrid à l’occasion du World Football Summit, sorte de « Davos » du ballon rond, qui s’exporte désormais en Afrique (22). Il n’est donc pas étonnant que la Liga rapporte en moyenne 5 milliards d’euros au pays chaque année (23).
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Les autres disciplines ne sont pas en reste
Mais le succès croissant du ballon rond espagnol ne doit pas masquer les très beaux résultats dans de nombreuses autres disciplines que l’on ne pourrait toutes citer dans cet article. Contentons-nous de rappeler les éléments suivants :
- la longue domination ibérique en grand prix de moto, notamment grâce à Marc Márquez (mais pas seulement) ;
- les excellents résultats aux championnats du monde de cyclisme sur route, sous l’égide de coureurs comme Óscar Freire et Alejandro Valverde ;
- le patinage artistique, qui a bénéficié de la vitrine offerte par un pionnier, Javier Fernández (deux fois champion du monde et sept fois champion d’Europe) ;
- le handball masculin, deux fois champion d’Europe et deux fois champion du monde dans les dernières années, grand pourvoyeur d’entraîneurs au niveau mondial (24);
- le basketball, avec de très bons résultats, voire des triomphes continentaux et mondiaux pour les sélections nationales ainsi que des sélectionneurs que l’on s’arrache sur toute la planète ;
- le waterpolo, très compétitif outre-Pyrénées ;
- le tennis, porté par Rafael Nadal et par l’équipe nationale de Coupe Davis ;
- et, enfin, plusieurs grands succès féminins, que ce soit en natation (Mireia Belmonte, Ona Carbonell), en badminton (Carolina Marín), en haltérophilie (Lydia Valentín) ou en boxe anglaise (Joana Pastrana).
Les limites d’une influence ?
Pourtant, malgré ces victoires qui font rayonner l’Espagne sur toute la planète, plusieurs ombres subsistent au tableau. La révélation de l’affaire Puerto, vaste scandale de dopage qui ne concerne pas que notre voisin ibérique (25), entache sa réputation et celle de plusieurs de ses champions (26).
Ces derniers ne seront d’ailleurs pas éternels. La génération en or qui enchante encore les spectateurs à l’heure actuelle touche à sa fin dans un certain nombre de sports. Poursuivre sur cette lancée exigerait des investissements publics et privés massifs dans la formation et le soutien aux athlètes professionnels… mais les pouvoirs publics y sont-ils disposés ?
Un bon moyen de relancer la machine financière dans le domaine du sport serait l’organisation d’une grande compétition internationale à retentissement majeur. Certes, chaque année, la Vuelta parcourt les routes espagnoles, offrant une visibilité enviable au pays (27). De même, la tenue de la Coupe Davis à Madrid dans sa nouvelle formule, en 2019 et 2020, est un bon moyen pour la capitale de faire connaître ses atouts et infrastructures, à l’instar de la Caja Mágica (28).
Toutefois, les échecs répétés des candidatures olympiques madrilènes (pour la compétition de 1972, celle de 2012, celle de 2016 et celle de 2020) ont durablement démotivé les dirigeants sportifs, tout comme le refus de la FIFA d’organiser la Coupe du Monde de football outre-Pyrénées en 2018 et 2022.
C’est sans doute la plus grosse limite au rayonnement sportif espagnol mais aussi à la reconnaissance des capacités logistiques, financières et politiques du pays. Les autorités de notre voisin pyrénéen seront-elles à la hauteur de ce défi ?