État de droit en Bulgarie : le niveau de corruption demeure préoccupant

7 septembre 2023

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Photo : Sofia, capitale de la Bulgarie (c) Unsplash
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État de droit en Bulgarie : le niveau de corruption demeure préoccupant

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Lors de son entrée dans l’UE en 2007, la Bulgarie a été mise sous surveillance de la Commission européenne afin de s’assurer de sa mise en conformité avec les standards de l’État de droit européen. Seize ans plus tard, il est question de lever cette surveillance. Une mesure qui est loin de faire l’unanimité en Europe compte tenu des affaires récentes ayant démontré que les problèmes de corruption demeurent en Bulgarie. Conséquence : les Pays-Bas ont annoncé vouloir s’opposer à l’intégration de Sofia dans l’espace Schengen.  

Ce Mécanisme de coopération et de vérification (MCV), auquel la Commission européenne envisage de mettre un terme, a été conçu comme mesure transitoire pour aider la Bulgarie à remédier à ses lacunes. Il s’agissait, pour Sofia, de rassurer sur sa bonne volonté à combattre la corruption et la criminalité organisée, mais aussi à œuvrer pour l’indépendance, l’efficacité et le professionnalisme du système judiciaire. Le MCV devait expirer lorsque les six critères de référence auraient été remplis de manière satisfaisante.

L’UE surveille la corruption en Bulgarie

Dès 2019, la Commission « prend note en particulier de l’engagement du gouvernement bulgare de mettre en place des procédures garantissant la responsabilisation d’un procureur général, y compris la préservation de l’indépendance de la justice conformément aux recommandations de la Commission de Venise ». Elle souligne notamment que « les progrès accomplis par la Bulgarie au titre du MCV sont suffisants ». Plus récemment, le dernier rapport de la Commission sur l’État de droit, publié le 5 juillet dernier, confirme que les six critères retenus sont en cours de validation et que des progrès ont été notés, ce qui pourrait entrainer la fin du MCV.

Si la Commission estime que Sofia a progressé dans ces domaines, l’année écoulée a démontré que la route reste longue. Seize ans après son admission dans l’UE, la Bulgarie devait intégrer l’espace Schengen, facilitant ainsi la circulation de ses ressortissants. Mais en décembre 2022, la Commission européenne a bloqué cette intégration, l’Autriche et les Pays-Bas s’opposant à l’extension de Schengen vers Sofia au regard de ses problèmes récurrents de corruption. Et pour cause : l’organisation Transparency International souligne que la Bulgarie est toujours la lanterne rouge de l’UE dans le domaine de la corruption, tandis que 48 % des Bulgares estiment que la corruption a augmenté au cours des douze derniers mois.

Les affaires « Eight Dwarves » et Nexo

L’évaluation douteuse de la Commission suscite déjà des remous en Bulgarie compte tenu des scandales récents qui ont éclaboussé les institutions du pays. L’avocat Mihail Ekimdzhiev, qui a travaillé sur le dossier « Eight Dwarves », a notamment qualifié ce rapport « dinadéquat » et y voit une tentative de « justifier l’échec de la Commission depuis seize ans à obtenir des résultats dans la lutte contre la corruption et la réforme du système judiciaire en Bulgarie.»

L’une des preuves de cet échec : le scandale « The Eight Dwarves » qui a éclaté en 2020 à la suite de la diffusion du documentaire du même nom, faisant référence à un restaurant de Sofia où les procureurs et les avocats se rencontraient régulièrement. Réalisé par le journaliste Nikolay Staikov, ce film a mis en lumière le problème persistant de la Bulgarie en matière de corruption et de crime organisé, provoquant un tollé dans la classe politique bulgare et un vif émoi dans la population.

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Plusieurs juges de la capitale sont soupçonnés d’avoir voulu escroquer l’actionnaire principal de la plus grande compagnie bulgare de fabrication d’ascenseurs. Compte tenu du nombre important d’immeubles à rénover, datant de la période soviétique, le marché des ascenseurs est particulièrement lucratif en Bulgarie, et donc propice à la corruption. Dans le documentaire, le propriétaire de l’entreprise, nommée Izamet, accuse plusieurs responsables judiciaires d’avoir fait usage de leur situation pour forcer le rachat de l’entreprise. Ils auraient notamment menacé son fils, qui souffre d’une maladie rénale, de le priver de traitement médical par hémodialyse s’il refusait de céder ses parts dans l’entreprise.

Plus récemment, l’affaire Nexo a démontré l’ampleur de la corruption au sein du système judiciaire bulgare. Une star mondiale de la fintech, Nexo, ainsi que ses trois dirigeants, ont été ciblés en janvier dernier par une enquête menée par l’ancien procureur général Ivan Geshev, ce dernier étant depuis longtemps associé à la corruption judiciaire. Toby Cadman, avocat membre de Guernica 37, éminent groupement d’avocats, par ailleurs fin connaisseur de la Bulgarie, a dénoncé cette perquisition comme « une attaque coordonnée […] basée sur des allégations fabriquées et politiquement motivées », compte tenu des liens proches entre son client et l’opposition pro-européenne et anti-corruption de cette période, ainsi que de l’ouverture de l’enquête au moment précis où un gouvernement réformiste était sur le point de prendre le pouvoir.

Si sa révocation en tant que procureur général en juin a offert une lueur d’espoir pour la lutte contre la corruption en Bulgarie, le remplacement de Geshev par une autre personnalité trouble a malheureusement atténué l’impact de cette évolution positive.

Une nomination qui en dit long

La récente nomination polémique de Borislav Sarafov, personnage central des scandales susmentionnés, en tant que procureur général par intérim, montre bien la persistance du problème. Selon Mihail Ekimdzhiev, le rôle présumé de Sarafov dans les affaires « Eight Dwarves » et Nexo peut être déduit de sa proximité avec Petar Petrov, ancien enquêteur connu sous le surnom d’Euroto ayant, le premier, tenté de mettre la main sur l’entreprise d’ascenseurs Izamet. Ekimdzhiev précise que « dans l’affaire des Eight Dwarves en particulier, l’une des victimes faisant l’objet d’un chantage de la part des procureurs chargés de l’affaire – Iliya Zlatanov – affirme avoir vu Sarafov attendre son tour pour rencontrer Petar Petrov dans le restaurant des Eight Dwarves ».

Ekimdzhiev explique également que  « dans l’affaire Nexo, Sarafov a participé à la conférence de presse du procureur général, au cours de laquelle, en violation de la présomption d’innocence, des données non vérifiées et fausses sur les activités de l’entreprise ont été présentées, dans le but évident de la diaboliser publiquement ».

Reste qu’après trois années durant lesquelles l’ancien procureur général Ivan Geshev a ouvertement négligé l’affaire révélée par le Fonds anti-corruption, Borislav Sarafov semble décidé, face à l’ampleur du scandale, à reconnaitre enfin l’existence d’un complot et celle de victimes. Le nouveau procureur général voit même dans le traitement de cette affaire par ses services un « test pour l’avenir du parquet ». Une façon, surtout, de redorer son image ?

Toujours est-il que le ministre de la Justice, Atanas Slavov, a jugé la nomination de Sarafov « trop rapide » et « sans audition, sans que d’autres candidats participent à la procédure, sans évaluation de ses qualités professionnelles et morales » comme l’exige la loi.

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L’Union des juges, la plus grande association professionnelle de magistrats en Bulgarie, a également protesté contre la nomination de Sarafov, la qualifiant de « nouvelle décision honteuse, portant gravement atteinte au prestige de la justice », en rappelant que Sarafov aurait dû être révoqué en raison de son rôle de « protagoniste dans les mécanismes et les cas d’influence irrégulière exercés sur de hauts magistrats ».

Un avenir incertain pour Sofia

Pour Mihail Ekimdzhiev, les affaires Nexo et Eight Dwarves « sont emblématiques de l’utilisation abusive du bureau du procureur bulgare pour saisir des affaires et ruiner la réputation de sociétés commerciales pour des intérêts privés et politiques. »

En cela, il suit un modèle proche de ce qui se fait en Russie. Ekimdzhiev rappelle également qu’en 2016, l’ancien ambassadeur de France en Bulgarie, Xavier Lapeyre de Cabanes, violant le protocole diplomatique, s’est indigné dans une affaire similaire de perquisition contre une entreprise française, assistée d’un juge bulgare. Il a ensuite été le premier parmi les ambassadeurs européens en Bulgarie, à commencer à parler des « pommes pourries » dans le système judiciaire bulgare.

Depuis seize ans que la Commission a mis en place le MCV pour veiller à la lutte contre la corruption et à l’amélioration du système judiciaire en Bulgarie, ces évènements montrent que tous les problèmes n’ont pas été résolus. L’avenir dira si la Commission décide de lever le Mécanisme ou si d’autres mesures sont attendues de la part de Sofia avant d’achever, enfin, son intégration européenne.

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.
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