<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’hymne national : un discours sur le pays

13 décembre 2019

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Rouget de Lisle chantant l'hymne national. Auteurs : LODI FRANCK/SIPA. Numéro de reportage : 00773855_000004.
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L’hymne national : un discours sur le pays

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Pour aborder un pays, les géopoliticiens commencent par sa géographie, ce qui est la moindre des choses, et par son histoire. Négligés, les symboles qu’il s’est attribué ne sont pas moins parlant, drapeau, blason, devises et hymnes nationaux. Par eux, il se présente et se représente. Ébauche d’une géopolitique de ces hymnes nationaux.

« Que votre règne
Dure une et huit mille générations
Jusqu’à ce que les pierres
Deviennent rochers
Et se couvrent de mousse. » 

Le kimi ga yo est devenu officiellement hymne national du Japon en 1979, mais ses paroles datent du xiie, xiiie ou xive siècle, ce qui en fait le plus ancien de tous, et aussi l’un des plus courts. D’autres ont été rédigés dans un passé lointain, comme le Guillaume d’Orange néerlandais. Ils ne deviennent des hymnes nationaux qu’au xixe ou au xxe siècle, au moment où les États-nations se consolident et se dotent de tout le rituel d’un culte laïc, l’hymne national se substituant aux cantiques religieux. C’est alors que les pays se reconnaissent dans un chant unique qui s’impose à tous les autres, même s’il peut être remplacé par un autre en fonction des évolutions historiques et politiques : La Marseillaise des Travailleurs, premier hymne soviétique, est ainsi remplacée par L’Internationale puis par l’Hymne de l’URSS qui sera abandonné en 1990 avant d’être rétabli avec des paroles différentes. C’est cet hymne que les élèves apprennent à l’école, que les supporters et la plupart des joueurs entonnent avant les matchs sportifs et lors de la remise des médailles, c’est lui qui est joué lors des cérémonies officielles [simple_tooltip content=’Quelques esprits chagrins protestent contre cette omniprésence, certains pays comme la Suède se réclament même du pacifisme pour refuser de proclamer officiellement un hymne national, mais ils ne peuvent empêcher l’existence d’un hymne officieux.’](1)[/simple_tooltip]… En une époque où notre enseignement déprécie le « par cœur », qui ignore « Allons enfants de la patrie » ? La Marseillaise contribue à forger une certaine idée de la France et à faire communier ses habitants en une identité commune. L’hymne témoigne d’une « certaine idée » de la patrie dont il est à la fois cause et conséquence.

 

1. Mondialisation et nations

 

Que nous apprend une lecture rapide des différents hymnes nationaux ?

Elle nous rappelle d’abord que l’Occident a unifié la planète autour de ses idées et de ses mélodies. La plupart des airs s’inspirent de la musique lyrique du xixe siècle européen (avec quelques restrictions évoquées plus loin), les termes les plus fréquents sont « patrie », « liberté » ou « libération » parfois remplacées par « indépendance » (en particulier dans les pays décolonisés) ; le mot « unité » est fréquent dans les pays… qui ne sont guère unis (comme la Belgique ou beaucoup de nations africaines). Cette uniformisation du monde s’arrête aux frontières du Moyen-Orient et, dans une moindre mesure, du Maghreb et de l’Asie orientale. Les musiques de ces trois régions empruntent généralement des tonalités locales. La première utilise aussi des symboles originaux (le ciel, les étoiles) et fait preuve d’un certain dolorisme en parlant de ses « martyrs » (il en est de même en Albanie musulmane) ; l’Irak proclame même « Nous boirons de la mort ». On distinguera ici les pays qui évoquent l’islam ou le Prophète (la plupart) et ceux dont l’hymne est laïc.

La coupure entre hymnes religieux et laïcs se retrouve ailleurs de façon parfois surprenante. Presque systématique dans les pays musulmans, la référence à Dieu est fréquente en Europe orientale, mais pas en Pologne, en Amérique latine, même au Mexique dont les gouvernements révolutionnaires ont été anticléricaux, dans les pays anglo-saxons y compris en Afrique du Sud, mais pas en Australie, en Italie, mais pas en Espagne, en Norvège, mais pas en Suède.

Plus significatifs dès lors les hymnes que nous qualifierons d’« agressifs ». Les mots « ennemis », « tyrans », « oppresseurs », « despotes » ou, plus modernes, « impérialistes » voire « traîtres » les caractérisent, l’appel au combat étant la règle. « Marchons, marchons » chante La Marseillaise qui proclame « impur » le sang des tyrans menaçant la République. Il est extrêmement rare que l’ennemi soit nommément désigné. C’est ce que fait l’Algérie : « Ô France ! Le temps des palabres est révolu/Nous l’avons clos comme on ferme un livre/Ô France ! Voici venir le jour où il te faut rendre des comptes. » Les Algériens qui répètent ces paroles s’imprègnent ainsi de l’idée que la France doit les dédommager pour le passé. Voilà qui ne risque pas de rapprocher les peuples.

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2. Géographie et histoire

 

« La terre et les morts » L’identité s’incarne dans le temps et dans l’espace ; elle prend la forme des héritages laissés par les générations passées comme celle du territoire national. Deux façons différentes de se représenter, en associant la nation à ses grandes heures passées ou à ses paysages. Peu d’hymnes s’appuient sur ces deux fondements : il est vrai que leur brièveté rend difficile de tout évoquer.

Généralement, des éléments du relief ou de la végétation sont mis en avant : pays de fleuves (Pologne, Croatie, Bulgarie), de montagnes (Slovaquie, Autriche), de forêts (Moldavie), de steppes (Asie centrale), de champs, ce qui autorise le lien avec la terre nourricière (République tchèque, Autriche, Croatie, Russie). On parle aussi de milieu et de mode de vie même (le Nord dans les hymnes scandinaves ou dans la version anglaise de l’hymne canadien). Ces éléments du relief et du climat sont associés à l’idée de beauté, de prospérité (l’allusion aux champs est révélatrice) et, dans les plus grands pays, d’étendue et de force : le Brésil est comparé à un géant, la Russie « des mers du Sud au cercle polaire » offre « ses espaces étendus pour les rêves et pour la vie [qui] nous ouvrent l’avenir ».

 

Parfois l’hymne fournit des noms propres (Pologne, Allemagne), ce qui est une façon de poser les limites du territoire national. L’hymne de l’Inde, qui reprend un poème de Rabindranath Tagore rédigé au début du xxe siècle, énumère les provinces qui se trouvent aux frontières du pays et définissent le « pré carré indien », parmi elles le Bengale et le Penjab, partagés avec le Pakistan lors de la rupture de 1947, et même le Sind qui lui fut totalement incorporé. Chanter cet hymne, c’est de facto remettre en question la division du pays, comme le font les nationalistes hindous.

 

La communauté de sang est invoquée dans quelques pays d’Europe centrale. En Serbie, on parle de « lignée » et de « frères », en Slovaquie et en Russie de « frères », en Scandinavie de « pères », en Croatie de « tombeaux », en Grèce d’« ossements », en Roumanie de « sang romain » en se plaçant sous la protection de Trajan. Le passé glorieux du pays est exalté (le mot « gloire » est l’un des plus fréquents), son héritage est convoqué. Parfois, les paroles sont consacrées à un événement fondateur – la révolte de 1903 dans le cas de la Macédoine, les combats de 1812 à Baltimore dans celui des États-Unis, la guerre d’indépendance algérienne, la constitution de la légion polonaise. L’hymne irlandais évoque une veillée de nationalistes avant le combat.

3. Pleurs de joie et de douleur

 

Deux hymnes se distinguent. Celui d’Israël qui reprend le terme de la prière « L’An prochain à Jérusalem », un « espoir de deux mille ans » finalement réalisé. Le temps des prophéties et du messianisme se réconcilie avec l’histoire. Une continuité comparable caractérise l’hymne russe qui parle d’« héritages », d’« ancêtres », d’« alliance éternelle » et se conclut sur ces vers : « Ce fut ainsi, c’est ainsi et ce sera toujours ainsi. »

Il est des hymnes heureux qui évoquent la joie de la libération ou la douceur de la vie au pays. Il est des hymnes graves qui rappellent les malheurs du passé comme celui de l’Arménie. L’Europe centrale et orientale en fournit des exemples accomplis. Ces nations ont été annexées, divisées, soumises pendant des siècles, elles savent qu’elles sont mortelles à l’inverse des grandes puissances qui ne s’inquiètent pas de leur survie, à tort sans doute. « Bénis le Hongrois Seigneur/Donne à qui fut longtemps broyé/Des jours paisibles et sans peines/Ce peuple a largement payé/Pour les jours passés et qui viennent. » La Serbie qui parle de « déchéance » fournit un sens comparable du tragique que les démocraties de l’Ouest ont oublié.

Nul doute que les dirigeants de l’Ouest ne se sont jamais intéressés à ces textes, sinon ils comprendraient mieux ces pays et leur nationalisme ombrageux que les hymnes perpétuent jusqu’à aujourd’hui.

À propos de l’auteur
Pascal Gauchon

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