La lutte contre la délinquance itinérante

13 avril 2020

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : L'antenne Raid de Montpellier. de Toulouse et de Marseille participe a une intervention de la Brigade des Stupefiants de Montpellier. 2018 (c) 00859562_000010
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La lutte contre la délinquance itinérante

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Le 27 février 2020, quatre hommes issus de la communauté des gens du voyage ont été interpellés en flagrant délit de cambriolage. Ces derniers sont suspectés d’avoir commis 97 cambriolages en moins d’un mois, pour un préjudice évalué à 135 000 euros [simple_tooltip content=’https://www.rtl.fr/actu/justice-faits-divers/rennes-quatre-hommes-suspectes-de-97-cambriolages-en-moins-d-un-mois-7800202257′](1)[/simple_tooltip]. Cet exemple fait partie des innombrables faits divers similaires, dont la matrice commune est ce que l’on nomme la délinquance itinérante.

 

Criminalité peu développée dans les médias (hors presse quotidienne régionale), il s’avère pour autant que « le premier adversaire du gendarme dans sa zone de compétence est malheureusement bien souvent le délinquant itinérant [simple_tooltip content=’PRADEL (J.) et DALLEST (J.) (dir.), La criminalité organisée, LexisNexis, Paris, 2012, p. 129.’](2)[/simple_tooltip] ». Il revient à l’Office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI) de combattre cette menace criminelle qui sévit en permanence sur tout le territoire métropolitain.

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Quels sont les acteurs de la délinquance itinérante ?

On entend, en premier lieu, par délinquance itinérante, les malfaiteurs issus de la communauté des « gens du voyage ». L’Office central de lutte contre la délinquance itinérante a d’ailleurs constaté que ces malfaiteurs sédentarisés ou non se sont spécialisés dans certains domaines de criminalité.

Il y a les voleurs de fret par arraisonnement du véhicule ou vol du véhicule dans l’entrepôt (les « freteux »), les casseurs de coffres, les arracheurs de distributeurs de billets (DAB), les cambrioleurs, les « saucissonneurs » (qui ficellent les victimes avant de les dévaliser), les voleurs par ruse ou usage de fausse qualité (ou « ruseurs »), ou encore les escrocs aux faux jades, faux ivoires, faux tapis… (appelés quant à eux « jadistes ») [simple_tooltip content=’Ibid., p. 78.’](3)[/simple_tooltip].

Pour exemple, les casses se sont multipliés à l’automne 2003. Une cinquantaine de magasins de téléphone, de parfumeries et de bureaux de tabac ont été cambriolés de nuit. Il a fallu neuf mois d’enquête, et la création de la cellule « Carpates 12 » en mai 2004, pour que les gendarmes arrêtent une trentaine de suspects à Paris et sa banlieue. Ces casseurs opéraient par équipes de trois ou quatre, et faisaient des trajets de nuit entre la région parisienne et les lieux des casses, situés à plus de 500 kilomètres [simple_tooltip content=’PIERRAT (J.), Mafias, gangs et cartels. La criminalité internationale en France, Ed. Denoël, Paris, 2008, p. 168-169.’](4)[/simple_tooltip].

Seconde illustration, cette fois-ci dans le sud-est de la France en 2010. Une trentaine d’individus ont été interpellés par la Gendarmerie. Ils étaient directement liés à un vaste trafic de métaux volés aux chantiers de BTP, à la SNCF ou aux déchetteries. Les diverses enquêtes ont pu démontrer que 3 400 tonnes de métaux ont été revendues pour un total de 700 000 €. En plus du vol, le travail dissimulé et les fraudes aux prestations sociales ont aussi été mis au jour [simple_tooltip content=’PRADEL (J.) et DALLEST (J.) (dir.), op. cit., 2012, p. 129.’](5)[/simple_tooltip].

Dans tous les cas, on peut retrouver un point commun à toutes ces équipes : professionnalisme, audace et détermination, solidarité et secret.

 

Des pays d’Europe de l’Est

En second lieu, la délinquance itinérante concerne aussi les malfaiteurs issus des pays d’Europe de l’Est. Le plus grand nombre de ces malfaiteurs provient de Roumanie. Cette criminalité s’explique par une facilité de déplacement accrue depuis la suppression de l’obligation de visa en 2002, et l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne en 2007. Dès 2009, 1 856 ressortissants roumains furent interpellés par la Gendarmerie nationale, avec même une augmentation de 70% de la délinquance en trois années (2009 à 2011) [simple_tooltip content=’https://www.rtl.fr/actu/la-delinquance-roumaine-a-bondi-de-pres-de-70-depuis-trois-ans-en-france-7751837224′](6)[/simple_tooltip].

Ici, les équipes sont composées de membres sur deux critères différents : soit un critère géographique (village par exemple), ou clanique. Pour ce dernier critère, « le département du Maramures, par exemple, fournit les plus importants contingents de malfaiteurs impliqués dans des vols de fret [simple_tooltip content=’PRADEL (J.) et DALLEST (J.) (dir.), op. cit., 2012, p. 79.’](7)[/simple_tooltip] ».

En Roumanie, ce milieu criminel est divisé en deux communautés : les Roms et les non-Roms, qui fonctionnent de la même manière. Pour ce qui concerne les Roms, il y a pour chaque clan un caïd, aussi appelé « Buli Basha », dont l’image est assez caricaturale : « Il est entouré de gardes du corps, roule en Porsche, et possède plusieurs villas [simple_tooltip content=’PIERRAT (J.), op. cit., 2008, p. 173.’](8)[/simple_tooltip] ». Aussi, quand vous voyez des Roms quémander de la monnaie dans la rue ou les transports en commun, une partie de cet argent va automatiquement et directement enrichir le « Buli Basha ».

En juillet 2004, les policiers et gendarmes ont dû intervenir dans un camp de Saint-Denis. Le Buli Basha n’était pas présent, mais donnait ses directives depuis la Roumanie. Une quinzaine d’hommes travaillait sous les ordres du Buli Basha (resté en Roumanie). Ces derniers opéraient par équipes de nuit, à des cambriolages, dans un rayon de 300 kilomètres autour de Paris. Ces voleurs auraient cambriolé plus d’une centaine de maisons et de commerces en Île-de-France, dans la région avoisinant Rouen, et la Sarthe. Tout ce qui était volé (vêtement, matériel hi-fi et vidéo, portable et bijoux) était revendu ; les sommes d’argent prenant ensuite la route de la Roumanie [simple_tooltip content=’Ibid., p. 174.’](9)[/simple_tooltip].

Toujours dans le même camp de Saint-Denis, mais cette fois-ci en mai 2005, une autre équipe fut interpellée. Après travail d’enquête, les gendarmes se rendirent compte de l’explosion des cambriolages sur la ligne SNCF Persan, et cela autour des différentes gares.

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Qui participe à la lutte contre la délinquance itinérante ?

La lutte contre cette menace criminelle est menée par l’Office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI), depuis le décret du 24 juin 2004 [simple_tooltip content=’D. n°2004-611 du 24 juin 2004 portant création d’un Office central de lutte contre la délinquance itinérante, JORF, n°148, 27 juin 2004, p. 11 711, texte n°12.’](10)[/simple_tooltip]. Il remplace la Cellule interministérielle de lutte de lutte contre la délinquance itinérante (CILDI).

Spécialisé dans ce champ de lutte contre la criminalité organisée, cet Office est rattaché à la Sous-direction de la police judiciaire de la Gendarmerie nationale. Il a pour mission :

  • de renforcer l’efficacité de la lutte contre cette forme de criminalité en favorisant une meilleure circulation de l’information entre les différentes administrations concernées ;
  • d’observer et d’étudier les comportements les plus caractéristiques des auteurs, coauteurs et complices des infractions entrant dans le domaine de compétence de la délinquance itinérante ;
  • d’animer et de coordonner, à l’échelon national et au plan opérationnel, les investigations relatives à ces infractions ;
  • et enfin, d’assister les unités de la Gendarmerie nationale et les services de police, ainsi que ceux de tous les autres ministères intéressés en cas d’infractions liées à la délinquance itinérante, à leurs auteurs et à leurs complices [simple_tooltip content=’Ibid., art. 4.’](11)[/simple_tooltip].

L’OCLDI est donc à la fois une unité de coordination et une unité opérationnelle composée d’un état-major, d’une division appuis et d’une division investigations.

L’aspect opérationnel a pu être observé dans la pratique par la mise en place, fin 2009, de la cellule d’enquête OCLDI-RAIDS-EST : une œuvre de collaboration entre l’OCLDI et les gendarmes de la section de recherches, ainsi que les groupements de gendarmes locaux à la suite de raids nocturnes visant des établissements bancaires.

Les cellules d’enquête sont nécessaires afin d’investiguer puis interpeller les malfaiteurs, puisque ceux-ci sont très mobiles, avec des équipes opérant parfois dans plusieurs pays. La cellule d’enquête est dirigée par un officier, et comprend des enquêteurs détachés des unités territoriales et de recherche qui travaillent sur le phénomène de la délinquance itinérante. La cellule se concentre exclusivement sur l’enquête du début jusqu’à la fin, aidée financièrement par la Sous-direction de la police judiciaire de la Direction générale de la Gendarmerie nationale (DGGN).

Dès que les enquêteurs ont une idée précise de la composition de l’équipe de malfaiteurs, la cellule se focalise alors sur la réitération des faits, pour procéder aux interpellations à la suite d’un raid organisé par les voleurs. « Ce mode de fonctionnement est à la fois un gage d’efficacité, mais aussi un engagement concret vis-à-vis du magistrat qui a fait le choix de prendre en compte un tel dossier [simple_tooltip content=’PRADEL (J.) et DALLEST (J.), op. cit., 2012, p. 83.’](12)[/simple_tooltip] ».

 

Une menace criminelle passée sous silence en raison des signaux faibles

Toute la difficulté dans la lutte contre la délinquance itinérante consiste à repérer les réseaux criminels quand les faits sont découverts isolément, ce que l’on peut mettre sous le vocable de théorie des signaux faibles. Comme le résume un officier de la Gendarmerie nationale, « cette délinquance n’est pas grave en soi et donc ne mobilise pas beaucoup. Pris isolément, les actes sont insignifiants. C’est la théorie des signaux faibles… qui dissimulent des réseaux organisés [simple_tooltip content=’PIERRAT (J.), op. cit., 2008, p.171.’](13)[/simple_tooltip] ».

Et parce que les faits sont pris isolément, les infractions ne constituent que des délits mineurs. La conséquence : des peines de prison sont légères, voire des individus relâchés immédiatement (d’autant plus parce que ces réseaux se servent de mineurs, notamment pour les vols à l’arraché).

C’est donc un travail long et fastidieux qui est mené par les enquêteurs, dont le but est de démontrer l’existence de réseaux criminels très organisés. Il n’y a qu’en constatant la matérialité de ces réseaux de grande envergure que les malfaiteurs peuvent être mis hors d’état de continuer leurs méfaits, tout au moins pendant un certain temps, quand bien même une autre équipe prend le relais immédiatement, et lançant une autre longue enquête…

 

Il appartient donc à l’État de prendre ce problème à bras le corps, afin d’endiguer cette vague de criminalité qui touche toute la France, qui se renouvelle avec une étonnante facilité dès qu’une équipe de voleurs a été mise hors d’état de nuire temporairement.

 

Nota Bene : un rapport de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) spécifique à la délinquance itinérante paraîtra dans l’année 2020.

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À propos de l’auteur
Alexis Deprau

Alexis Deprau

Docteur en droit de la sécurité et de la défense.
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