<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Guerre et paix monétaire

5 octobre 2020

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Guerre et paix monétaire

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Si l’on regarde l’histoire, force est de constater que la monnaie a été l’un des sujets régaliens à de nombreuses reprises. Elle était auparavant nationale, et de nos jours, elle tend à devenir une arme de la guerre économique que nous vivons. 

Du seigneuriage à la monnaie dématérialisée

Le droit de battre monnaie a toujours été le privilège du seigneur. On appelle seigneuriage ce droit qui enrichissait le seigneur qui s’octroyait la différence entre le coût de production des pièces et billets et leur valeur. Et il lui arrivait de rogner les pièces pour enrichir encore davantage son trésor… Les limites d’un royaume étaient d’ailleurs définies par l’espace au sein duquel circulaient les monnaies du seigneur. De Gaulle l’avait compris, lorsqu’il décida de systématiquement échanger les dollars que la France possédait contre de l’or, au temps où la convertibilité entre banques centrales était encore possible. On se souvient de sa célèbre déclaration lors d’une conférence de presse : « Les caisses sont pleines. » C’est en août 1971 que cette convertibilité prit fin.

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Le seigneuriage existe toujours mais il revêt désormais des formes différentes depuis que l’essentiel de la monnaie est dématérialisé. Si un État possède un véritable droit de seigneuriage, il va battre monnaie non seulement pour ses citoyens mais également pour les citoyens d’autres États que le sien. Ainsi, certains États reconnaissent le dollar comme monnaie officielle, d’autres introduisent une parité fixe entre leur monnaie et le dollar. De plus, beaucoup d’entités accumulent des dollars ailleurs qu’aux États-Unis. On estime à l’heure actuelle qu’environ 30 % des dollars sont détenus par des non-américains. Le pays qui a ce droit de seigneuriage bénéficie de nombreux privilèges, notamment celui de ne pas avoir de contraintes de balance de paiement : les déficits extérieurs sont financés par émission de dollars. Le droit de seigneuriage monétaire s’accompagne toujours d’un pouvoir politique et militaire : la sécurité monétaire va de pair avec la sécurité militaire. C’est la raison pour laquelle le dollar est souvent traité de « valeur refuge ».

Les rivalités des monnaies modernes

La création de l’euro a alimenté l’espoir que l’on passerait à un monde bipolaire, le dollar étant désormais concurrencé par la monnaie européenne. Pour véritablement être une monnaie mondiale, il faut réunir trois qualités indispensables : unité de compte, moyens de transaction, réserve de valeur. Quatorze ans après sa création, l’euro ne s’est pas imposé comme moyen de paiement hors de l’Europe. L’essentiel du commerce mondial continue d’être libellé en dollars. Les banques centrales détiennent des réserves en euros, mais dans ce domaine également c’est toujours le dollar qui domine. Force est de constater que le rêve bipolaire ne s’est pas réalisé. Le Royaume-Uni a refusé de rejoindre l’euro ; l’Europe n’est pas une puissance militaire ; la crise de la dette souveraine a miné la crédibilité du Vieux Continent ; les difficultés économiques et politiques ont généré des doutes sur la pérennité de la construction européenne, etc.

De plus, le projet de référendum outre-Manche inquiète. Même si des progrès récents, telle l’Union bancaire, vont dans le bon sens, à ce jour l’Europe n’est pas parvenue à acquérir un droit de seigneuriage, qui reste l’apanage des États-Unis. Rappelons pourtant que c’est l’Europe qui est le principal acteur du commerce mondial. Par ailleurs, l’histoire des sanctions américaines envers ceux qui ne respectent pas les embargos démontre la réalité du droit de seigneuriage moderne : le simple fait que la monnaie utilisée pour telle ou telle transaction internationale soit le dollar, a pour conséquence que la transaction en question est soumise au droit américain.

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Les États-Unis n’ont jamais été favorables – nolens volens – à la création de l’euro qu’ils percevaient comme une menace réelle pour leur suprématie monétaire. Ce n’est pas un hasard si le FMI est sis à Washington. Personne n’aime partager un droit de seigneuriage. Il faudrait que l’Europe devienne véritablement fédérale – collectant directement des impôts et ayant des moyens militaires propres – pour que l’euro puisse véritablement contester le dollar.

On pourra entrer dans un monde monétaire bipolaire, avec un partage du droit de seigneuriage, mais ce sera sans doute la monnaie chinoise qui viendra « contester » le dollar. Pour cela il faudra une convertibilité totale du renminbi, que la Chine accepte la pleine liberté des mouvements de capitaux, qu’elle admette un déficit de ses paiements courants et que sa part dans le commerce mondial continue de croître, sans oublier le renforcement de sa puissance militaire qui est déjà largement en œuvre. L’Histoire nous montre que les basculements des droits de seigneuriage – du franc à la livre, de la livre au dollar – se sont toujours produits dans la douleur…

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Denis Kessler

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