Plusieurs publications récentes reviennent sur la guerre qui sévit au Moyen-Orient. Analyse par notre chroniqueur Bruno Modica.
Depuis le 7 octobre 2023, avec les représailles israéliennes qui ont suivi, très largement au-delà du territoire de la bande de Gaza, le Moyen-Orient est à nouveau déstabilisé. La question palestinienne avait été largement occultée à la fin du premier mandat de l’administration Trump, avec ses accords d’Abraham qui laissaient présager une normalisation des relations de certains pays arabes avec l’État d’Israël. L’enjeu, au-delà du Maroc, du Soudan et des Émirats Arabes Unis, était celui de l’Arabie Saoudite, gardienne des lieux saints, et principale puissance régionale du monde sunnite faisant face à l’Iran chiite, avec lequel les relations semblaient en cours de normalisation.
Les trois ouvrages parus récemment sont évidemment très différents dans leur finalité. Ils s’inscrivent toutefois dans le contexte très particulier qui celui d’une reprise de la conflictualité dans la région, si tant est qu’elle n’ait jamais été suspendue.
Guerre et paix au Moyen-Orient – la documentation photographique, premier trimestre 2025, éditions du CNRS – Patrick Pétriat.
On commencera cette chronique en abordant la publication du numéro du premier trimestre 2025 de la documentation photographique, « guerre et paix au Moyen-Orient », sous la plume de Philippe Pétriat, publié aux éditions du CNRS.
« La doc photo » est une publication destinée initialement aux professeurs du second degré, permettant une mise au point scientifique sur le contenu de leurs enseignements. Une mise au point contextuelle précède un corpus documentaire organisé en courts chapitres organisés en différents thèmes comme « les formes modernes de la guerre », « une nouvelle conflictualité », ou encore « la guerre économique ».
La mise au point scientifique qui représente un volume d’une quinzaine de pages revient sur la notion « d’arc de crise » qui définit bien cette région du monde qui a connu quatre cycles de guerres et de paix au 20e et XXIe siècle. Le premier cycle commence au lendemain de la première guerre mondiale, tandis que le dernier s’achève le 7 octobre 2023. Reste à savoir si cet événement majeur ne constitue pas le point de départ d’un nouveau cycle, dans un contexte marqué par le caractère imprévisible de la nouvelle administration républicaine aux États-Unis, depuis janvier 2025. À cet égard, il manque une sorte de mise au point sur les évolutions possibles de l’Iran, pays du seuil nucléaire, mais surtout, et malgré son affaiblissement lié aux frappes contre le Hezbollah et à la bascule du pouvoir en Syrie, force de déstabilisation dans la région. Quelles seraient les conséquences par exemple d’une frappe israélienne sur les installations nucléaires de ce pays ?
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Même s’il est difficile dans le cadre de ce numéro de la doc photo de se livrer à un exercice de prospective, nous pouvons noter que l’affaiblissement de l’Iran, ne remet pas en cause, peut-être contraire, ses capacités d’action. Pendant la guerre civile au Liban, l’Iran a été largement capable de peser avec des actions terroristes téléguidées sur l’évolution des situations. De la même façon, malgré le déploiement d’une armada occidentale en mer Rouge, les capacités de nuisance du mouvement houthiste restent quand même permanentes.
Peut-être faudrait-il également s’intéresser au rôle de la Turquie qui constitue, qu’on le veuille ou non une sorte de pont entre l’Occident et cette région du monde, même si le gouvernement Erdogan entend construire son agenda néo-ottoman.
Hamas, plongée au cœur du groupe terroriste. Éditions du Rocher – août 2024 – Mohamed Sifaoui.
Le 7 octobre 2023, le Hamas a été le principal acteur de l’attaque terroriste menée à partir de la bande de Gaza contre l’État d’Israël. Le caractère terroriste de cette organisation ne laisse aucun doute, même si certaines composantes de la gauche, particulièrement en France, mais également aux États-Unis, ont pu considérer ce mouvement né dans les années 80, comme une organisation de résistance.
Le travail de l’auteur permet de remettre en perspective cette organisation, en situant d’abord son origine dans la nébuleuse des Frères musulmans, l’organisation constituée en Égypte en 1928, par Ali Hassan al Bannah, qui a été la matrice de tous les mouvements djihadistes. Le Hamas en est directement issu.
L’ouvrage présente la personnalité du Cheikh Yassine, objet d’un traitement pour le moins ambigu de la part de l’État d’Israël, qui a pu y voir une sorte d’alternative à l’OLP, avant que la décision ne soit prise de l’éliminer physiquement, le 22 mars 2004. Pour autant, l’influence du Hamas n’a jamais été aussi forte jusqu’à ce que les actions menées par l’armée Israélienne depuis deux ans ne parviennent à réduire de façon significative ses capacités militaires.
L’ouvrage est solidement documenté, très largement enrichi de notes permettant de situer les personnages et événements. L’examen attentif par l’auteur de la charte du Hamas fera certainement référence, notamment pour le caractère central du Jihad dans son idéologie. Au-delà de l’examen de ce que l’on peut qualifier de « programme d’anéantissement de l’État d’Israël », l’ouvrage montre comment le Hamas a pu s’imposer sur la bande de Gaza, en utilisant l’action sociale à partir de son réseau de mosquées, et comment il a pu mettre en place le dispositif qui lui a permis de mener l’action du 7 octobre 2023. Dans le dernier chapitre l’auteur semble tordre le cou à cette hypothèse d’une « transformation » du Hamas, avec une scission entre la branche militaire et la branche politique. Quelque part en posant la question sur « Nétanyahou meilleur allié du Hamas ? », l’auteur apporte une réponse.
La thèse de l’auteur se trouve résumée dans sa conclusion, lorsqu’il présente le Hamas comme système tentaculaire, au fonctionnement mafieux, lorsque l’on étudie ces sources de financement, mais également ces conflits internes. La dimension religieuse, promettant l’éternité aux adeptes, reste fondamentale, car elle permet d’associer autour du même objectif des « docteurs de l’islam », des jeunes désespérés, et de véritables truands détournant les aides qui ont pu se déverser sur le territoire de Gaza. Il ne faut évidemment jamais oublier que les premières victimes de représailles israéliennes sont les populations civiles de ce territoire qui subissent depuis deux décennies l’emprise d’un système totalitaire qui n’a rien à envier aux pires régimes de l’histoire.
Hezbollah, de Beyrouth à Paris la milice prépare son retour. Éditions du Rocher – avril 2025 – Mohamed Sifaoui.
Le dernier ouvrage de l’auteur présente, de la même façon que le précédent consacré au Hamas l’organisation qui s’est constituée dans le contexte de la guerre civile libanaise. Ce livre constitue une sorte de « suite » du précédent, tant les liens organisationnels, politiques et militaires, entre le Hamas et le Hezbollah semblent évident. Pour autant, il ne faut jamais oublier qu’il s’agit dans le premier cas d’un mouvement d’obédience sunnite, tandis que le Hezbollah est très souvent présenté comme un proxy de l’Iran des ayatollahs chiites.
Pourtant, en remontant l’histoire, on voit bien que des liens ont pu se développer entre certaines personnalités égyptiennes du mouvement des Frères musulmans et le clergé chiite. S’il existe quelques liens entre la Turquie et le Qatar sunnites, et l’Iran chiite, malgré des intérêts divergents entre états, c’est bien parce que les Frères musulmans ont pu constituer une sorte de lien politico-religieux. L’Iran de Khomeiny a tout de même réalisé le premier le projet d’État islamique contenu explicitement dans les textes fondateurs de la confrérie des Frères musulmans.
Toujours avec beaucoup de détails, comme dans le précédent ouvrage, l’auteur permet de décrypter le fonctionnement de ce mouvement terroriste, en partant de son idéologie, après avoir examiné sa genèse historique et les liens avec la Syrie de Hafez al-Assad, pour en étudier la charte politique mais également son mode de fonctionnement. On lira avec beaucoup d’attention le chapitre intitulé « une machine à cash » qui montre comment la milice associe un financement directement venu de l’Iran, mais également les actions économiques, très clairement du blanchiment, mais également le trafic de drogue, de diamants, aussi bien en Afrique qu’en Amérique du Sud. Le rôle de la diaspora libanaise est évidemment à prendre en compte dans ce type d’explication.
L’auteur – également le signal d’alarme à propos de l’action souterraine du Hezbollah en France, et en Europe, par le biais d’influenceurs divers, qui ont été capables, dès 2004, au moment des polémiques sur la loi sur les signes religieux l’école, de peser de façon souterraine dans ce débat.
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Plus peut-être encore que le Hamas, le Hezbollah qui a mené une véritable guerre permettant d’obtenir le retrait des forces israéliennes du Liban-sud en 2000, a pu être présenté dans certains milieux favorables à la cause palestinienne comme une organisation de résistance. Ce point de vue est farouchement rejeté par l’auteur qui ramène le Hezbollah à une organisation mafieuse, avec des capacités d’action internationale plus étendues que le Hamas, en raison de l’importance de la diaspora libanaise. On sait par exemple que certaines sources de financement de l’organisation se trouvent dans la région des trois frontières, entre le Brésil, l’Argentine et le Paraguay. Le trafic de drogue a pu très largement prospérer dans cette région carrefour.
Encore une fois, comme pour le Hamas, l’auteur se refuse à différencier la branche politique de la branche militaire de l’organisation. La branche militaire a été fortement affaiblie, jusqu’à l’élimination de son leader Hassan Nasrallah, mais cela ne semble pas remettre en cause l’emprise de l’organisation sur le Liban-sud. Naïm Kassem, secrétaire général du Hezbollah a d’ailleurs annoncé que « la résistance se poursuivra de génération en génération ». On lira avec beaucoup d’intérêt l’analyse sous forme de fiches biographiques des « figures » de l’organisation, qui ont survécu aux frappes israéliennes, et qui incontestablement reprennent le flambeau de la lutte contre Israël, mais également de leur volonté farouche de contrôler l’État libanais. Le système politique confessionnel de ce pays, l’incurie de son personnel politique, la faiblesse de son armée régulière, rendent particulièrement pessimiste sur la possibilité pour le Liban de secouer le joug que cette milice et son appareil politique font peser sur le pays du cèdre.