Guinée : libertés en péril ?

11 février 2024

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Photo : Golfe de Guinée
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Guinée : libertés en péril ?

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L’histoire politique de la Guinée, depuis son accession à l’indépendance, est une alternance paradoxale et récurrente de promesses de gouvernance vertueuse, mais renvoyés aux calendes grecques par les nouvelles autorités qui restreignent l’espace des libertés aussitôt installées sur les ors du pouvoir. 

Eric Topona, journaliste au service Afrique de la Deutsche Welle

Lorsque des foules, dans les rues de Conakry, tout autant en liesse que médusées, verront Alpha Condé brandi comme un trophée de guerre par ses tombeurs dans un cortège motorisé roulant en trombe, nombre de ceux qui exultaient alors acclamaient les « sauveurs » qui étaient parvenus à déchoir de son trône l’éternel opposant et le professeur de droit public devenu chef de l’État.  En effet, les deux mandats successifs du juriste président ne s’étaient guère illustrés par de distingués égards pour l’État de droit. L’acrobatie juridique qui venait de précéder sa réélection fut perçue par une frange importante de l’opinion publique guinéenne comme la forfaiture de trop.

Son successeur, Mamady Doumbouya, avait si bien perçu ce ras-le-bol des Guinéens, avides de voir enfin advenir en Guinée un État de droit.  Le nouveau chef de l’État, en procédant à la libération des acteurs de la société civile de premier plan qui s’étaient opposés au « troisième mandat » d’Alpha Condé et revendiquaient le respect de la Constitution, sembla donner des gages dans ce sens. Bien plus, le discours d’investiture du nouveau chef de l’État, alors très attendu et vivement salué par les acteurs politiques comme ceux de la société civile, avait inscrit au cœur de son projet de société la justice sociale et l’État de droit.

Dans les pays voisins de la Guinée, ceux actuellement en période de transition militaire, nombre d’observateurs relèvent, pour le déplorer, que les médias sont entrés dans un régime de restrictions qui ne manquent pas de préoccuper les organisations de défense des droits humains et de la liberté de la presse en particulier. Si ceux de la nouvelle Alliance des États du Sahel (AES) justifient ce recul de l’État de droit au nom d’une nécessaire union sacrée dans la lutte contre le terrorisme, la Guinée n’est cependant pas en proie aux mêmes préoccupations d’ordre sécuritaire.

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Ironie de l’histoire, l’une des grandes figures de la presse guinéenne, patron d’une chaîne de télévision contrainte à la suspension de ses activités par les nouvelles autorités, s’exprimant récemment sur les ondes de Radio France internationale, relevait que, sous le précédent régime, son organe de presse n’avait jamais été bâillonné, en dépit de ses critiques acerbes du régime d’Alpha Condé. Les arrestations sans respect des procédures légales sont de retour et nombre d’opposants ont repris le chemin de l’exil. Certains dénoncent une justice à tête chercheuse qui se dissimulait derrière l’alibi fort commode des nécessités d’assainissement de la vie publique, notamment la lutte contre les atteintes à la fortune publique.

Autant il faut se garder à ce stade de mettre en doute la volonté politique des nouvelles autorités de lutter contre ce fléau, autant ces politiques de moralisation de la vie publique doivent être conduites dans le respect de l’État de droit.

À cet égard, la gestion des drames consécutifs à l’explosion récente d’un gigantesque dépôt de carburants à Conakry ne manque pas de susciter quelques perplexités. Le 1er février  2024, des femmes et des jeunes, principales victimes de cette triple catastrophe économique, sociale et environnementale, ont choisi des manifestations de rue pour exprimer leur désarroi, car, près de 90 jours plus tard, elles n’ont encore reçu aucun accompagnement de l’État et attendent toujours de faire le deuil de leurs proches disparus. Pour toute réponse à leurs revendications légitimes et légalement exprimées, elles se sont vu opposer les forces de l’ordre, y compris contre les jeunes venus prêter main-forte à leurs parentes éplorées.

Le premier défi que devra relever la transition en cours en Guinée avant son terme sera de libérer les énergies et de poser des jalons solides d’une cohésion sociale véritable et durable dans une société longtemps bloquée.

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À l’inverse du Niger, du Burkina Faso, voire du Mali, qui ont connu quelquefois, en quatre décennies, des alternances démocratiques sans heurts, les changements démocratiques en Guinée, depuis l’institutionnalisation du pluralisme politique ou lorsqu’il s’est agi de coups de force militaires, ne sont guère parvenus à bâtir une société apaisée. Cette donne politique permet a posteriori de comprendre pourquoi les changements anticonstitutionnels de régime intervenus en Guinée depuis la disparition d’Ahmed Sékou Touré n’ont guère rencontré de résistance populaire ou de tentative de restauration autoritaire par les proches des régimes déchus. Les Guinéens continuent d’attendre cette « société ouverte » du philosophe Karl Popper qui leur permettra de donner la juste mesure de leur potentiel humain et matériel.

Dans la même optique, il est important de souligner que l’échec de la transition en cours, comme de toute transition politique, porte les germes de la déstabilisation du prochain pouvoir. Le propre d’une transition politique, dans les États post-conflits comme dans ceux qui traversent une parenthèse militaire, est justement de bâtir une architecture nouvelle, de faire émerger un nouvel écosystème sociopolitique qui aura exorcisé la nation et l’État des maux qui ont rendu possibles les errements des pouvoirs précédents.

À l’horizon du 1er janvier 2025, il est crucial, pour les autorités de transition en Guinée, d’avoir à l’esprit cet horizon temporel et politique

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