Électrification : Haïti à l’heure des grandes manœuvres

22 juillet 2020

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Manufacture à Haïti durant la crise du COVID-19 (c) AP Photo/Dieu Nalio Chery/OTKDC117/20112688979123//200421211

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Électrification : Haïti à l’heure des grandes manœuvres

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En plus de ses carences structurelles, le secteur de l’électricité a longtemps fait l’objet de détournements de la part de producteurs privés, dont le pays subit toujours les effets. Une situation à laquelle le président Jovenel Moïse a décidé de remédier.

Quelques heures de courant par jour pour les trois millions d’habitants de la métropole de Port-au-Prince, un réseau national peu développé, une production insuffisante à laquelle s’ajoutent des équipements vétustes non réparés… voilà en résumé l’état de l’électrification en Haïti. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : à peine 30% des foyers ont accès au réseau électrique, souvent de façon intermittente et à des tarifs prohibitifs, dont la moitié de façon illégale. Pour les 11 millions de Haïtiens, le réseau électrique est doté d’une puissance installée d’à peine plus de 300 MW – dix fois moins qu’en République dominicaine voisine – alors que les besoins pour tout le pays seraient de 800 MW. L’écart est « terrible entre la puissance disponible et la demande », concède le directeur de l’Autorité nationale de régulation du secteur de l’énergie (ANARSE), Evenson Calixte.

Depuis la création il y a un demi-siècle d’Électricité d’Haïti (EDH), la société d’État qui fournit l’essentiel de l’électricité aux particuliers et aux entreprises, les progrès de l’électrification ont été modestes, son taux étant passé d’un peu plus de 20% à tout juste 30% dans l’intervalle. Une situation qui a été aggravée par la privatisation partielle de la production d’électricité, intervenue en 2005. Depuis, le prix de l’électricité s’est envolé, obligeant EDH à débourser chaque mois plus de 10 millions de dollars pour acheter de l’électricité à des producteurs privés, alors que ses revenus mensuels atteignent difficilement la moitié, la contraignant à vivre aux crochets de l’État.

 

Situation ubuesque

La pénurie d’électricité et les pannes de courant à répétition figurent parmi les fléaux qui minent Haïti, freinent son développement et alimentent les émeutes qui secouent régulièrement le pays. Si elles renvoient à l’incapacité du pouvoir à offrir les services essentiels, elles sont aussi un symbole de la crise politique qui oppose aujourd’hui l’État à certains acteurs privés ayant contribué à dégrader la situation énergétique du pays. La sous-traitance de la production d’électricité à des opérateurs privés, au premier rang desquels la Sogener, principal fournisseur d’EDH via ses centrales de Varreux, qui alimentent la métropole de Port-au-Prince, en est une illustration parfaite. Très vite après la signature de contrats d’achat d’énergie en mars 2005, le coût de l’électricité a explosé, entraînant une situation ubuesque : aujourd’hui, l’État débourse chaque mois 7 millions de dollars pour acheter l’électricité produite par la principale centrale du pays.

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Il aura fallu attendre 2015 et la mise en place de la Commission présidentielle de pilotage de la réforme du secteur de l’énergie pour que soient pointées les failles majeures de ce contrat, mis à jour un vaste système de surfacturation et révélé le nom des oligarques soupçonnés de corruption et d’enrichissement illicite. Le rapport accuse ainsi la Sogener d’avoir surfacturé l’État haïtien pour un montant de 123 millions de dollars. « Le contrat a été amendé à plusieurs reprises afin de modifier son objet en augmentant sa portée et entraînant du coup la hausse de son prix à des proportions supérieures à celles autorisées par la loi », indique notamment le document, qui souligne aussi que « l’investissement total de la Sogener dans ces centrales est d’environ 30 millions de dollars américains pour un chiffre d’affaires sur quinze ans de 1,12 milliard de dollars » et appelle à une remise à plat du contrat. Plus que tout autre, ce conflit est devenu le symbole de la crise énergétique entre l’État et les acteurs privés.

Clauses non respectées

En plus d’avoir surfacturé l’État, la Sogener n’aurait pas respecté certains termes de son contrat, qui précisait que la centrale de Varreux 1 et certains moteurs de Varreux 2 devaient fonctionner au mazout, privilégiant le diesel, un combustible plus onéreux. À la suite de la publication de ce rapport, la commission a exigé que les différents producteurs privés signent de nouveaux contrats, ce qu’ils ont refusé, estimant qu’elle n’était pas légitime pour cette requête.

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Dès son arrivée au pouvoir en janvier 2017, le président Jovenel Moïse a érigé l’indépendance énergétique en priorité de développement, allant jusqu’à promettre un service électrique « 24 heures par jour » dans les deux ans. Malgré quelques initiatives notables – lancement avec la Banque mondiale d’un fonds de 17 millions de dollars pour améliorer l’accès des Haïtiens à l’énergie, première centrale hybride solaire-diesel à Marchand-Dessalines, au nord de Port-au-Prince, construction du barrage hydraulique de la rivière Marion -, les résultats ne sont pas encore au rendez-vous, faute aussi d’avoir pu faire ratifier par le Parlement depuis mai 2019 l’accord de prêt taïwanais de 150 millions de dollars destiné à étendre les réseaux électriques sur le territoire.

Bras de fer

En juillet 2018, l’État a entamé un bras de fer avec la Sogener et porté plainte pour le préjudice subi sur le site de Varreux. Il a annoncé la cessation de paiement de tous les contrats et réclamé au producteur privé 194,5 millions de dollars pour consommation de carburant non payée. Lors du Conseil des ministres du 23 octobre 2019, l’administration Moïse a décidé de surseoir à l’exécution des contrats des trois fournisseurs privés puis fait appel à des avocats pour poursuivre les hauts fonctionnaires signataires de ces contrats. Point d’orgue de cette escalade : la nationalisation en novembre 2019 des centrales de Varreux, faute de réponse de la direction pour renégocier les contrats ou les suspendre. Aujourd’hui, la Sogener et son directeur général Dimitri Vorbe doivent répondre à des accusations d’enrichissement illicite, surfacturation et abus de confiance. L’entreprise a décliné à deux reprises une convocation du Parquet de Port-au-Prince, ce qui a valu à son dirigeant – en exil depuis décembre 2019 – un mandat d’amener.

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Cet acte fort suffira-t-il à infléchir la tendance ? Le Président a récemment multiplié les signaux en ce sens. Le 6 juillet, il s’est entretenu avec son homologue turc Recep Tayyip Erdogan et les deux chefs d’État auraient convenu de développer leurs relations bilatérales, notamment dans l’énergie et les infrastructures. Le même jour, le Premier ministre haïtien Joseph Jouthe annonçait que de nouvelles modalités d’obtention du prêt taïwanais de 150 millions de dollars (via Exim Bank) avaient été trouvées, celui-ci étant finalement versé au ministère des Finances via la Banque centrale d’Haïti (BRH). Le 8 juillet, Michel Présumé, qui fut secrétaire d’État au Plan sous Martelly en 2014, était nommé directeur général d’EDH, avec la lourde tâche de rentabiliser l’institution et d’offrir le courant 24/24 conformément aux ambitieux objectifs du Président.

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À propos de l’auteur
Etienne de Floirac

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Étienne de Floirac est journaliste
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