<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Un choix de société

25 juillet 2020

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : Titre de voyage pour réfugié avec visa © ALLILI MOURAD/SIPA Numéro de reportage : 00894685_000002
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Un choix de société

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L’histoire est ponctuée de lents mouvements de respiration puis d’expiration : des peuples se répandent dans les territoires occupés par d’autres, ils les abandonnent ensuite, avant que le mouvement reparte en sens inverse.

Du début de l’ère chrétienne jusque vers l’an 1000 des populations venues d’Asie, d’Europe orientale ou de la péninsule arabique ont chassé devant elles les peuples déjà installés. À partir de la Renaissance, le mouvement s’est inversé et des vagues d’aventuriers puis de colons sont partis d’Europe vers le reste de la planète, modifiant radicalement la population du continent américain et de l’Océanie en ce qu’il faut bien appeler un « grand remplacement ». Au xxe siècle, les flux s’inversent de nouveau et ce sont les populations des anciens territoires colonisés qui affluent vers les pays peuplés d’Européens : depuis les années 1930 la population de l’Europe progresse moins vite que celle des autres continents (1).

Le choix de la facilité

Ce serait pourtant une erreur d’expliquer l’ensemble des migrations par le seul différentiel de croissance démographique. Comme le souligne François Lenglet, la principale cause de la mondialisation est le degré d’acceptation de l’ouverture au reste du monde bien plus que l’amélioration des transports ou la baisse des contrôles aux frontières. L’ouverture aux migrants est un choix de société qui nous arrange… dans un premier temps.

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L’immigration nous fournit d’abord des travailleurs doublement bon marché : nous ne les avons pas élevés et nous pouvons les payer moins que nous ne devrions le faire pour des nationaux. Ceux qui profitent de ce système sont les chefs d’entreprise et les actionnaires, mais aussi l’ensemble des consommateurs qui achètent moins cher les biens et services dont ils ont besoin. Le système peut être à deux vitesses : depuis la chute du communisme, quatre millions de Roumains auraient quitté le pays pour travailler en Europe occidentale, dès lors le pays s’efforce d’attirer un million d’Asiatiques qui seront peut-être remplacés là-bas par d’autres travailleurs encore moins exigeants. Une véritable course à l’échalote, ou à l’immigrant, se met en place.

 

La venue de travailleurs immigrés permet de réduire les coûts du travail et les coûts de production. C’est un moyen de gagner en compétitivité, bien plus aisément qu’en augmentant la productivité ou en améliorant la qualité des produits. Mais ce moyen facile alimente une politique de facilité qui évite de nombreuses dépenses à court terme (formation, achat de machines) mais ne bâtit pas grand-chose à long terme.

Sans doute dispense-t-il de faire des enfants et de les élever, ce qui est coûteux et fastidieux. Grâce aux migrants, finis les nuits écourtées par les biberons, les week-ends gâchés à emmener la marmaille au musée et les économies englouties dans les vacances sur des plages familiales. Les migrants nous apportent des enfants tout faits, futurs soutiers de nos économies, ce qui permet le recul de la fécondité. Ou bien, grâce au regroupement familial, ces enfants seront fabriqués sur place, sans que les autochtones aient à s’en occuper.

En grandissant ils deviendront autant de travailleurs qui contribueront doublement à assurer nos retraites, du moins l’espérons nous. Ils cotiseront pour elles en même temps qu’ils accepteront les humbles tâches ancillaires qui font fonctionner nos EPHAD. Mieux, les plus aisés d’entre nous pourront même émigrer à leur tour vers les pays qu’auront quittés les immigrés où ils bénéficieront d’un coût de la vie modeste et d’impôts faibles.

Sommes-nous intelligents ?

Comme notre société est intelligente ! Elle réduit ses dépenses au minimum en mettant en place un circuit complexe qui repose sur la venue de migrants majoritairement pauvres. « Il est temps d’affronter la vérité. Nous ne pouvons pas et ne pourrons jamais arrêter l’immigration. L’immigration est profondément liée à nos politiques en matière d’économie, de commerce, d’éducation et d’emploi. » Ne faut-il pas donner raison à Dimitris Avramopoulos, commissaire européen chargé de l’immigration (2) ?

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Sauf que, à regarder les performances de l’Union, on peut se demander si ce choix a été le bon : les pays européens régressent dans le classement PISA dominé par les nations asiatiques (3), ils connaissent un taux de chômage élevé et une croissance molle. Dimitris Avramopoulos a raison, nous avons choisi l’immigration, notre économie comme notre société se sont réorganisées en fonction d’elle : mais est-ce pour le meilleur ?

 

On aura en tout cas du mal à présenter cette solution comme généreuse. Inviter les étrangers chez nous pour équilibrer notre système de retraite, quelle grandeur d’âme et quelle hauteur de vue ! En réalité, les arguments en faveur du renforcement des flux migratoires relèvent de deux formes de libéralisme difficile à concilier. Le libéralisme politique, celui des droits de l’homme, qui affirme le droit de chaque individu de se déplacer, de s’installer où il le veut, de s’affranchir des contraintes nationales. Et le libéralisme économique, celui des gains que procurera une autre répartition des travailleurs à travers le monde. Ces deux libéralismes prônent l’abaissement des frontières, et pas seulement en ce qui concerne l’immigration. Mais pour les uns le migrant est un facteur de production, pour ne pas dire une marchandise, tandis que pour les autres il est un être humain doté de droits. D’où la surprise de certains : « Nous attendions des bras et des hommes sont venus » (Max Frisch). Bonne ou mauvaise nouvelle ?

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Avec les hommes sont venus leurs mœurs, leurs croyances, leurs modes de vie, leur conception du monde. Les fondements des vieilles nations européennes en ont été ébranlés, elles sont devenues des « archipels » pour reprendre la formule de Jérôme Fourquet où des communautés diverses coexistent sans définir un projet commun. Du moins jusqu’à aujourd’hui, penseront les optimistes espérant que demain l’intégration, sinon l’assimilation, fera de ces éléments divers un peuple. Cela n’est pas impossible à une condition : que l’immigration ralentisse fortement ou qu’elle cesse le temps de permettre au processus d’intégration de fonctionner ; cependant la formule de Dimitris Avramopoulos (relisez-la) nous apprend que nous ne pourrons jamais arrêter l’immigration car il s’agit d’un circuit qu’il faut sans cesse réalimenter avec de nouveaux venus. Qui paiera les futures retraites des immigrés, sinon de nouveaux immigrés ?

La rupture avec le choix de société que représente l’immigration risque d’être douloureuse. Sa prolongation le serait peut-être encore plus.

 


  1. L’ensemble Europe-Amérique du Nord (avec la Russie) représentait un peu plus de 20 % de la population mondiale en 1800 et près d’un tiers en 1900. À la fin de notre siècle, ils ne compteraient que 10 % du total mondial.
  2. Politico, 18.12.2017.
  3. Enquête menée tous les trois ans par l’OCDE pour apprécier le niveau scolaire des élèves de 15 ans. On notera que la Finlande, le mieux classé des pays européens, 1re ou 2e au niveau mondial en 2003, est passée à la 4e, 5eet même 12e place en 2015-2016, selon les épreuves.
  4. Bryan Ward-Perkins, La Chute de Rome. Fin d’une civilisation, Alma éditeur, 2014.
À propos de l’auteur
Pascal Gauchon

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