Journée d’études combattants étrangers UCO. Compte rendu

21 avril 2021

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Photo : Colloque combattants étrangers UCO
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Journée d’études combattants étrangers UCO. Compte rendu

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Le vendredi 26 mars 2021 s’est tenue une journée d’études sur le thème des combattants étrangers à l’Université Catholique de l’Ouest (UCO), à Angers. Co-organisé par le CREDO (Centre de Recherche en Ethique et Droit de l’Ouest) et le Centre de Recherche des Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan, avec le parrainage de l’Association Française de Droit de la Sécurité et de la Défense, ce colloque a visé à comprendre les problématiques liées aux combattants étrangers, au cœur de l’actualité.

 

Si l’accent a été mis sur les organisations terroristes transnationales contemporaines, et en particulier le groupe Etat Islamique, les différentes interventions ont été l’occasion de revenir sur bien des aspects de cette question ancienne et protéiforme.

La notion même de combattant étranger est en effet complexe. La nationalité constitue le lien juridique entre l’Etat et l’individu ; l’Etat est en principe le seul acteur pour qui l’usage de la violence est légitime, mais même cette légitimité étatique est aujourd’hui conditionnée à la charte des Nations Unies. Combattre en tant qu’« étranger » signifie à première vue rompre le lien de la nationalité, en lui substituant celui de l’allégeance à un autre acteur, étatique ou non. Aujourd’hui, ces « combattants étrangers » sont bien souvent des combattantes, ou de jeunes enfants qui, s’ils ne portent pas nécessairement les armes, peuvent être amenés à contribuer à l’effort de guerre ou à des forfaits commis par leur organisation d’allégeance.

Trois grands axes de réflexion se sont dégagés des diverses prises de parole, sur lesquels nous reviendrons dans l’ordre. Les rapports de ces combattants à la culture, celle à laquelle ils s’opposent comme celle qui prévaut à leur participation à des exactions dans les groupes terroristes islamistes, fera l’objet d’une première synthèse. Un retour historique sera ensuite effectué, afin de cerner l’ancienneté mais aussi le renouvellement de la question de la présence de combattants étrangers dans les armées françaises, du Moyen Âge à la Légion étrangère. Enfin, c’est au regard de la défense, de la géopolitique et du droit que seront abordés ces combattants, qui constituent un objet stratégique et juridique particulier.

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  1. Approche culturelle – Culture et combattants étrangers dans le Proche et Moyen-Orient contemporain

Quelles références culturelles poussent des combattants à quitter leur pays pour rejoindre des organisations djihadistes ? Si la question du patrimoine culturel au Proche et Moyen-Orient a régulièrement fait les gros titres des médias ces dernières années, chaque fois que Daesh détruisait en grande pompe des monuments et œuvres pré-islamiques, on ne saurait réduire les rapports entre djihad et culture à ce seul aspect. Chez les combattants étrangers de la région, la culture n’est pas qu’une motivation négative. Revers de la médaille, le groupe État islamique recrute en effet ses combattants étrangers aux moyens d’un discours profondément culturel sur l’islam.

D’après les interventions de Charles Personnaz, directeur de l’INP, « La protection du patrimoine culturel au Moyen-Orient en temps de guerre », et de Olivier Hanne, docteur en histoire et professeur à l’ESM Saint-Cyr, « Mythes et références culturelles chez les combattants étrangers de Daech ».

Le patrimoine menacé du Moyen-Orient : une problématique récente…

La question du patrimoine, que l’on peut simplement définir comme l’ensemble des biens mobiliers et immobiliers qu’une génération veut transmettre aux suivantes, est assez nouvelle à l’échelle historique. En Europe même, il faut attendre la Révolution française pour que le souci de la préservation de cet héritage fasse l’objet de véritables considérations politiques. Au Moyen-Orient, cette problématique n’est pas envisagée en tant que telle. La filiation s’y effectue d’abord avec le seul héritage du prophète.

Ces rapports contradictoires au passé entrent en dialectique au moment de l’expédition d’Egypte. La découverte d’un nouveau passé, d’un patrimoine enrichi, donne lieu à un intérêt renouvelé, sur les deux rives de la Méditerranée. Le moment islamique, mis en perspective, n’est, désormais, plus qu’un moment d’une histoire. Par la suite, les régimes du Proche et Moyen-Orient, comme celui du shah d’Iran, valorisent volontiers un tel patrimoine, à des fins non seulement de tourisme mais de propagande, s’inscrivant dans un passé glorieux qui fascine l’Occident autant que l’Orient. Le Krak des chevaliers en Syrie et le site antique de Babylone en Irak sont mis en avant au même titre que les mosquées.

Longtemps, les guerres au Moyen-Orient, quoiqu’incessantes, n’ont guère menacé ce patrimoine : celui-ci n’était pas particulièrement ciblé. Le tournant est celui de la destruction des Bouddhas de Bâmiyân, en Afghanistan, par les talibans en 2001. Désormais, le patrimoine devient un enjeu pour les mouvements islamistes, décidés à en finir avec un islam hétérodoxe et une culture idolâtre. On ne peut plus hériter que de l’islam. Dans ce contexte, les déprédations de combattants étrangers au Moyen-Orient prennent un nouveau sens : outre les quelques vols et destructions commis par des soldats américains sur le sol irakien, les exactions de Daesh contre des lieux emblématiques comme Mossoul et Palmyre se font actes de guerre. Détruire le patrimoine de l’ennemi, c’est détruire l’ennemi. Ironie du sort, parfois ce patrimoine est également touché par des frappes aériennes des militaires de la coalition, eux aussi combattants étrangers.

Le choc de telles destructions fut rude pour un Occident attaché à la sanctuarisation du patrimoine, un effet sans doute recherché par Daesh. Toutefois, au Moyen-Orient, des autorités administratives sont parvenues à assurer la conservation et parfois la restauration d’œuvres, dans des musées ou des centres d’études sur les manuscrits autour, notamment, de la culture syriaque.

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… liée à une certaine idée de l’histoire et de la religion

Daesh est passé maître dans l’utilisation de l’histoire à des fins politico-militaires, et n’hésite pas à s’en servir pour recruter des combattants étrangers.

Les combattants de longue date de l’État islamique ont des motivations claires, liées au devenir de la région, à la déchéance de l’État irakien, à l’ancrage local d’Al-Qaida, à la remise en cause des régimes Hussein et Al-Assad, et à des revendications d’ordre social. Au-delà de la région, ces raisons locales n’ont plus cours. La mobilisation de combattants étrangers, qui connaissent mal le contexte régional, sont appâtés. Alors que Daesh a une stratégie territoriale, de rétablissement d’un califat étatique, ce pseudo-État doit dépasser son propre territoire, afin de l’enraciner à l’aide de combattants venus d’ailleurs. Assez contradictoire, cette logique repose sur un lien plus ou moins fictif à une institution étatique. Cette mystique exploite la nostalgie millénariste d’un mode de fonctionnement étatique qu’aurait élaboré le prophète Mohammed. Des lieux emblématiques de cet islam sont désormais surchargés de significations et servent à faire venir des combattants étrangers.

Quoique mythifié, l’aspect étatique du califat ainsi proclamé est bien réel. Il repose sur l’écho à la khutba, sermon aux croyants,prononcée par Abû Bakr, premier calife (khalifat signifiant « successeur » de l’envoyé de Dieu), en 632. En effet, le 4 juillet 2014, le chef de Daesh, qui se fait lui-même appeler Abû Bakr al-Baghdadi, prononce à son tour une khutba, qui fait clairement référence à celle-ci, proclamant le retour du califat et appelant tous les musulmans à lui obéir. Reposant sur une rhétorique religieuse sémitique qui l’oblige à prendre le pouvoir, le calife n’est pas autoproclamé. Il s’inscrit au contraire sur la tradition et l’obéissance aux textes islamiques médiévaux. La culture religieuse permet de susciter la fascination d’étrangers déconnectés des enjeux locaux mais qui auront moins de scrupules que les locaux à s’en prendre à un patrimoine non islamique.

Refuser de considérer cette dimension religieuse est une erreur : les discours qui prévalent à la mobilisation de combattants étrangers par Daesh ne sont pas seulement idéologiques, ils ont bel et bien une dimension culturelle, historique et particulièrement religieuse. Si cela permet à coup sûr des recrutements à l’étranger (Daesh attire bien plus que les groupes djihadistes locaux comme au Mali), leur nombre croissant va progressivement à l’encontre du principe étatique.

 

Bilan : La question des combattants étrangers dans les rangs de Daesh est éminemment culturelle. Le groupe État islamique est indifférent à la nationalité de ceux qui combattent pour lui, se référant à une mystique religieuse qui, à une heure où le Moyen-Orient n’envisage plus le moment islamique que comme une part de son passé, prétend suivre les préceptes originels de l’islam. Le rapport à la culture est central pour ces combattants, tant dans l’adversité que dans l’identité.

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  1. Approche historique – brève histoire des combattants étrangers dans les armées françaises, de la guerre de Cent Ans à la Légion étrangère

Les armées françaises emploient depuis bien des siècles des combattants étrangers dans leurs rangs. Derrière un tel constat se lit une réalité complexe et plurielle : les combattants étrangers ont évolué avec les armées dans lesquelles ils ont servi. La considération du temps long, depuis le Moyen Âge tardif, permet de remettre en perspective cette présence étrangère dans les formes armées françaises, du mercenariat à la Légion étrangère.

D’après les interventions de Guillaume Bergerot, enseignant-chercheur à l’UCO, « Le pouvoir royal et le mercenariat durant la Guerre de Cent ans (1337-1453) » et du lieutenant-colonel Michaël Hamann, État-major du commandement de la Légion étrangère, « La Légion étrangère, une exception française ».

De la terreur dans le royaume : le mercenariat pendant la guerre de Cent Ans (1337-1453)…

La guerre de Cent Ans oppose les deux plus grandes monarchies de la chrétienté, le royaume d’Angleterre et le royaume de France, mais ces puissances ne sont alors pas en mesure de confier la guerre à des armées permanentes et nationales (rappelons que l’acception actuelle du terme de nation est bien plus tardive). La seconde, en particulier, voit son ost féodal, armée constituée du ban et de l’arrière-ban seigneuriaux réunis sur appel du roi, rapidement dépassé par le conflit. De Crécy (1346) à Azincourt (1415), la flamboyante chevalerie française est à plusieurs reprises mise en échec par une armée anglaise aguerrie, qui compte notamment sur d’excellents archers. L’art de la guerre est appelé à se modifier, et l’heure est donc à la mobilisation de nouvelles troupes, étrangères.

L’« armée royale » française est désormais cosmopolite, faisant appel à des groupes de mercenaires, les grandes compagnies. Ces troupes, dont les combattants sont appelés « routiers », sont largement levées à l’étranger par bandes de 50 à 200 hommes. En 1341, l’ost royal de Philippe VI compte 30% d’étrangers sur 5000 combattants.

Les routiers se révèlent motivés avant tout par l’appât du gain. Licenciés ou impayés, ils ne déposent pas les armes mais ravagent les terres du pays pour se nourrir et s’enrichir. Ils ne combattent dès lors plus pour une autorité royale légitime mais « sans cause et contre raison » d’après les mots du roi Jean II le Bon. Le petit peuple est victime de leurs exactions, écrivent les chroniqueurs. Le pape Urbain V les décrit, en 1367, comme « prenant les armes, mus par la fureur de l’avarice ».

Il en est ainsi tout au long de la guerre. Au XVe siècle, si les grandes compagnies ont laissé la place à des « Ecorcheurs » de toutes nations, ceux-ci se révèlent aussi dissidents que leurs prédécesseurs dans le service du roi Charles VII. Après la paix d’Arras de 1435, ils continuent de ravager la Bourgogne, causant « beaucoup plus de dommages » que pendant les années les plus fortes de la guerre, pillant notamment le Languedoc. Ils sont, de la sorte, si étrangers qu’on en vient à les comparer aux Sarrazins.

A partir de 1362, le pouvoir royal, qui promeut l’éthique chevaleresque de la guerre dans les ordonnances, tente de lutter contre ces violations de la paix du royaume et d’assurer son office protecteur et justicier. Bertrand du Guesclin, connétable du royaume et fidèle serviteur de Charles V, déconseille à ce dernier de lutter contre les grandes compagnies et propose plutôt de s’en débarrasser dans une prétendue croisade en Espagne. Les succès mitigés de cette politique sont anéantis à la suite de la mort du roi et du connétable.

A la fin de la guerre, Charles VII parvient mieux à ses fins, garantissant entre autres une lettre de rémission à toute personne s’opposant par la force aux criminels issus des armées royales : le temps de la clémence envers ces « coupables de négligences » est révolu. En 1432, aux États généraux, il apparaît comme chef unique de l’armée, comme la seule autorité pour lever des compagnies : enfin, l’armée devient un monopole royal, financée par un impôt permanent lui-même exclusif au roi, la taille. L’ordonnance de 1445, motivée par l’office de protection du roi, fonde, avec les compagnies d’ordonnance, la première armée permanente du royaume. Les excès des mercenaires apparaissent dès lors comme la conséquence de l’affaiblissement de la royauté, qui ne serait plus d’actualité. De fait, si le royaume a toujours recours à des mercenaires pendant les siècles suivants (notamment pendant la guerre de Trente Ans au XVIIe siècle), l’armée a désormais un noyau dur permanent et obéissant au roi.

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… au service de la France : la Légion étrangère, une exception française

Signe de la permanence d’un besoin de troupes étrangères dans les armées françaises à travers les siècles, la Légion étrangère est créée en 1831 par Louis-Philippe, roi des Français sous la monarchie de Juillet. Au lendemain de la conquête de l’Algérie, ce corps d’armée incorpore des troupes étrangères qui ont vocation à servir en-dehors du territoire métropolitain, avant que le retour sur ce sol leur soit finalement permis en 1870.

Rassemblant de nombreuses nationalités (150 aujourd’hui), les légionnaires sont amalgamés, c’est-à-dire fondus dans des bataillons, où l’usage veut qu’aucune nationalité ne représente plus de 12% de l’effectif. L’esprit d’amalgame est essentiel à ce corps.

Faisant ses premières armes au Maroc en 1844, sous le Second Empire, la Légion étrangère participe à de nombreuses campagnes menées par l’État français. 40 000 légionnaires sont morts pour la France, notamment pendant la guerre d’Indochine. Depuis bientôt deux siècles, c’est une troupe professionnelle dont le seul but est l’excellence opérationnelle, sous un commandement à 90% français. En effet, les légionnaires n’ont pas d’autorité opérationnelle, étant imbriqués dans les armées.

Cela s’illustre à travers les deux devises de la Légion. « Honneur et fidélité » rappelle en effet l’« honneur et patrie » des autres régiments, mais s’en distingue par l’accent mis sur le respect dû à la France et à la parole donnée par ces combattants étrangers. « Legio patria nostra », quant à elle, met en avant les légionnaires comme non apatrides : en permission, ils peuvent aller voir leur famille, sous réserve que leurs pays d’origine ne s’opposent pas à leur engagement dans une armée étrangère.

Cette situation de service d’un pays lorsqu’on est ressortissant d’un autre nécessite en effet un statut particulier, exceptionnel au cas français. Au contraire des autres militaires, ces combattants étrangers sont contractuels, de sorte que la confiance entre la France et celui qui la sert soit renouvelable périodiquement. De même, un légionnaire peut s’engager sans limite d’âge, au contraire des 45 ans qui sont la règle du reste de l’armée. Engagé auprès de la légion et non d’un régiment, un légionnaire peut l’être sous « identité déclarée », une identité d’emprunt qui n’est pas forcément la vraie, ceci ayant pour but de garantir l’anonymat et donc de donner une seconde chance à ceux qui souhaiteraient y servir après d’éventuels déboires.

Exception juridique garantie par un décret de 2008, exception culturelle du fait de la rencontre de 150 nationalités en son sein, exception sociale en ce qui concerne la seconde chance permise aux engagés, la Légion étrangère est une exception française (aucun autre pays n’a de force équivalente aujourd’hui), hors du cadre normatif ambiant, qui représente 9000 hommes, soit 10% de l’armée de terre.

 

Bilan : La présence de combattants étrangers dans les armées françaises est une réalité ancienne mais renouvelée. La France a fait appel à des compagnies de mercenaires étrangers au Moyen Âge, faute d’armée permanente et au fait des changements dans l’art de la guerre. Une armée permanente et nationale ayant entretemps remplacé ces troupes, la France n’a plus une armée de mercenaires mais fait néanmoins encore appel à des volontaires étrangers dans le cadre de la Légion étrangère, corps pleinement intégré aux forces armées françaises et exceptionnel à plusieurs titres mais qui, désormais, est au service de la France plutôt qu’un danger pour elle.

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  1. Approche juridique et politique – Faire face aux combattants étrangers aujourd’hui : force, justice, politique

On estime que 40 000 combattants étrangers ont rejoint la Syrie, et en particulier Daesh. Environ 2000 en seraient revenus. Comment les États, en principe souverains et détenteurs du monopole de la violence légitime, peuvent-ils faire face à cette réalité nouvelle, à ces ressortissants qui ont prêté allégeance à des organisations non étatiques ?

D’après Hélène Terrom, enseignant-chercheur à l’UCO, « Le recours à la force contre les combattants terroristes étrangers », Paul Cazalbou, université de La Rochelle, « Le langage pénal au défi des « combattants étrangers » et des « revenants » », Nicolas Bauer, doctorant en droit à l’université de Strasbourg, « Juger les djihadistes européens et réagir à leur retour : les questions juridiques et politiques posées au Conseil de l’Europe », Bertrand Pauvert, MCF HDR, université de Mulhouse, « La sanction des combattants partis à l’étranger – retrait et déchéance de la nationalité », Basile Mérand, enseignant-chercheur UCO, « Les mesures administratives applicables aux combattants étrangers ».

 

En 2014 est proclamé le califat sur le territoire contrôlé par Daesh. Cette entité non étatique pose problème au droit international, ses combattants s’étant exclus de leur propre nationalité par l’allégeance à ce groupe. Le jus ad bellum prévoit la légitime défense d’un État comme cause légitime du recours à la force, mais, en principe, elle n’est concevable que contre un autre État, non contre une organisation non étatique rejetant elle-même l’État contemporain. Ainsi, en septembre 2015, la France invoque la « légitime défense collective » et « préventive » pour l’Irak comme justification pour ses bombardements contre Daesh, notion malvenue et inopérante car étendant la légitime défense en violation de la territorialité d’un État souverain. Comme pour prendre acte, l’ONU adopte la résolution 13-73, qui oblige les États à lutter contre le terrorisme international, puis la résolution 22-49 qui envisage un recours à la force sans faire de référence au chapitre 7 de la Charte de l’ONU, en principe obligatoire pour le permettre. En septembre 2014, le Conseil de Sécurité crée le statut de « combattant terroriste étranger », associant une notion de droit humanitaire, indifférente à la nationalité, au qualificatif de « terroriste », qui délégitime l’ennemi et le place hors du système international.

Ces enjeux de dénomination se lisent aussi dans le droit pénal français : le vocabulaire du terrorisme et le terme de « combattants étrangers », alors qu’il est question de Français, et non d’étrangers, qui ont quitté le territoire, sont inconnus au lexique du droit pénal. Le langage spontané n’est pas forcément celui de la justice. Un délit fréquemment commis par lesdits combattants est celui d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, pour le jugement duquel la France jouit de l’extraterritorialité, sans oublier celui d’intelligence avec les puissances étrangères, qui vaut également pour les puissances non étatiques. La justice française peut juger des actes de terrorisme commis à l’étranger. Les crimes de génocide, contre l’humanité ou de guerre sont parfois jugés, mais ils sont plus difficiles à prouver, parce qu’il faut relier les actes commis à un tel contexte, prouver tant les comportements que l’intention. Pour le reste, des crimes, délits et infractions comme des actes de torture, de violences volontaires, de viol ou d’agression sexuelle peuvent être qualifiés de la circonstance aggravante de terrorisme, au contraire par exemple des infractions spécifiques envisagées par le droit belge. C’est ainsi que naît en 1996 la notion d’association de malfaiteurs criminelle terroriste. Pour ce genre de faits, il n’est pas forcément nécessaire que l’infraction ait déjà eu lieu ou que l’individu y ait déjà participé : il est arrivé que des individus soient arrêtés en Serbie, sur la route de la Syrie qu’ils voulaient rejoindre, sur la seule base de SMS où leur intention de s’y rendre apparaissait, donc seulement sur des bases matérielles. On peut ici douter de la légalité criminelle. Les actes liés au terrorisme sont souvent punis des peines maximales, ce qui est rarement le cas des autres faits.

Le Conseil de l’Europe, quant à lui, veille à l’établissement de chefs d’accusation pertinents contre les djihadistes à leur retour, et au choix de la juridiction compétente, au niveau étatique ou des juridictions pénales internationales en vue d’éventuelles condamnations judiciaires. Toutefois, la problématique du retour des djihadistes ne s’arrête pas là : ceux-ci sont amenés à recouvrer un jour leur liberté, ce qui nécessite de prendre en considération la menace qu’ils pourraient représenter par la suite. Ces « revenants » peuvent faire l’objet d’une privation de leur nationalité ou d’une expulsion. La privation de la nationalité a, en effet, fait l’objet de discussions et de revirements au sein de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui, longtemps, ne garantissait pas de droit à la nationalité, mais regarde désormais la privation de celle-ci comme un impact potentiel aux droits de l’homme.

De fait, en France, l’exclusion de la communauté nationale, par laquelle l’État cesse de reconnaître un individu comme un de ses ressortissants et décide de le châtier, fait l’objet de règles différenciées selon le moyen d’acquisition de la nationalité. Pour une personne devenue française, on parle de déchéance de nationalité. Apparue en 1915 et étendue en 1927, la déchéance de nationalité suppose des faits graves, comme le terrorisme et l’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, pour lesquelles l’individu a déjà fait l’objet d’une condamnation pénale. Ce geste de légitime défense de la nation est toutefois très rare, ayant été utilisée à cinq reprises seulement en 2020 : de fait, elle n’est possible que si l’individu a une double nationalité. La perte de la nationalité native, en revanche, est nommée retrait de nationalité. Elle est prononcée lorsqu’un individu adopte un comportement l’assimilant à un étranger en droit, lorsqu’il agit « en fait » comme un national d’un pays étranger, par exemple en s’engageant dans une armée étrangère, acte d’allégeance incompatible avec la nationalité française. On constate alors la perte de la nationalité, on ne la déclare pas. Il n’est pas nécessaire, pour cela, que l’individu ait une autre nationalité. La nationalité est le loyalisme, la survivance de l’allégeance : la fin de ce loyalisme est la fin de la nationalité, on sanctionne la déloyauté d’un Français. Une fois la nationalité perdue, l’individu peut faire l’objet d’une forme de bannissement, d’une interdiction de présence sur le territoire, si celle-ci est contraire à la concorde de l’État. Toutefois, une telle mesure qui vise à écarter un ennemi intérieur, implique en principe que l’individu gagne un autre État, et il n’est pas simple de trouver un État qui accepte d’accueillir une personne convaincue de terrorisme. La CEDH peut juger que de telles mesures portent atteinte à la vie familiale, mais juge généralement que le non-respect du pacte social importe davantage. Le droit interne des États n’interdit pas l’apatridie, aussi la faible utilisation de ce genre de mesure est-elle un choix des États.

L’État dispose également d’un large éventail de mesures administratives applicables aux combattants étrangers, y compris aux combattants étrangers potentiels, qui ne sont pas encore passés à l’acte. Empêcher le retour de ces individus sur le territoire national, ou leur sortie de celui-ci, relève par essence du préventif : c’est une interdiction administrative et non judiciaire. C’est ainsi que, dans le cadre de la loi antiterroriste de 2014, le législateur a remis au goût du jour l’autorisation de sortie du territoire pour les mineurs, abandonnée en 2010-2012 : il ne s’agit plus tant de protéger l’enfant contre lui-même mais l’ordre public. Tout Français peut dès lors faire l’objet d’une interdiction de sortie du territoire lorsqu’il y a de sérieuses raisons de penser qu’il puisse « porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour ». 450 interdictions de ce genre ont été émises au mois de février 2017. D’autres mesures sont possibles si on estime que le voyage d’un individu puisse l’amener à porter atteinte à la sécurité en France, comme l’obligation de résider dans un certain périmètre, de pointer au poste de police, de déclarer son domicile… mais elles ne sont que rarement appliquées. Dans tous les cas, il s’agit de préjuger la capacité future d’un individu de porter atteinte à la sécurité.

 

Bilan : Au cœur de l’actualité, les combattants étrangers sont, par leur allégeance et leurs comportements, des individus flous sur le plan militaire, politique et judiciaire. La définition de leurs fautes, de leurs peines et de leurs droits est encore à géométrie variable, d’un État à l’autre ou même, au sein d’un État, entre le droit et le fait. La manière de faire face à ces combattants étrangers, du point de vue de la défense, de la sécurité et de la justice, est l’une des grandes problématiques de l’État contemporain.

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À propos de l’auteur
Alban Wilfert

Alban Wilfert

Etudiant en Histoire et en Expertise des conflits armés, Alban Wilfert est l’auteur d’un mémoire de recherche intitulé « Le soldat et la chair. Réalités et représentations des sexualités militaires au long XVIIe siècle (1598-1715), entre viol et séduction ».
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