Kémi Séba, un visage de l’opposition à la France

22 avril 2024

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Ka Tribe leader Kemi Seba, right, gestures during an interview in Paris Wednesday, June 28, 2006. (AP Photo/Michel Euler)/FRANCE_KA_TRIBE_MEU108/0606281733
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Kémi Séba, un visage de l’opposition à la France

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Kémi Séba est l’un des militants d’opposition à la France qui, s’appuyant sur les réseaux sociaux et un imaginaire reconstruit, s’attaque à la présence française et aux soutiens de Paris en Afrique. Le gouvernement français a engagé une procédure de destitution de nationalité à son égard, réponse aux tentatives de déstabilisation dont la France est victime.

Kémi Séba aime manier le feu. En mars 2024, interdit de conférence à Fleury-Mérogis, il brûle son passeport français, témoignant de sa rupture avec le pays où il est né. Déjà, en août 2017, à Dakar, il brûlait un billet de 5 000 francs CFA pour manifester son opposition à cette monnaie. Kémi Séba aime aussi manier les réseaux sociaux et les codes contemporains. Ses interventions polémiques y sont filmées et diffusées, ses discours politiques y sont repris, pour toucher le plus grand nombre dans l’Afrique francophone et la diaspora africaine en France.

De Strasbourg à Los Angeles

Rien ne prédisposait ce natif de Strasbourg à conduire la carrière d’opposition à la France qui lui vaut aujourd’hui une procédure en destitution de nationalité. Né à Strasbourg en 1981, de parents béninois, il a passé sa jeunesse en Île-de-France. C’est lors d’un voyage devenu initiatique à Los Angeles en 1999 qu’il découvre les mouvements panafricanistes afro-américains, leur radicalité et leurs combats politiques. Radical, Kémi Séba l’est assurément. Il ne fait rien dans la demi-mesure et se donne totalement pour la cause qu’il défend. Mais loin d’être linéaire, son parcours est chaotique. Aux États-Unis, il adhère au groupe Nation of islam qui regroupe des Noirs américains musulmans dans la mouvance d’un Malcom X. Puis il fait scission avec ce groupe, crée son propre mouvement, rejette l’islam et adopte le kémitisme, religion fabriquée qui a l’ambition de restaurer les cultes égyptiens disparus. Dans le sillon d’un Cheik Anta Diop, il voit dans l’Égypte antique la quintessence de la civilisation africaine, qui aurait tout donné à l’Europe et aux Blancs. Après avoir créé sa propre structure du kémitisme, la Tribu Ka (2004) il revient à l’islam, dans un parcours intellectuel et politique fait d’à coups et de revirements.

Un panafricaniste opposé à la France

Imprégné d’un discours racialiste qui lui fait défendre la pureté de la race noire, il refuse le métissage, défend le retour des Noirs en Afrique, affirme sa haine des juifs, qui seraient responsables de l’esclavage et de la traite. Après la dissolution de la Tribu Ka (2006), il fonde le Mouvement des damnées de l’impérialisme (MDI) en 2008, résolument panafricaniste. C’est grâce à ce mouvement qu’il peut rejoindre le Sénégal en 2011, où il commence à fréquenter les plateaux de télévision, à tenir des chroniques et à se faire connaitre. Ses discours volontaristes et provocateurs trouvent un certain écho parmi la jeunesse africaine. Maniant les codes des réseaux sociaux, il sait se faire mousser et se faire connaitre. Trop radical aux yeux des gouvernements africains, il se fait expulser du Sénégal puis du Burkina Faso, avant de rejoindre le Bénin, dont il possède la nationalité, tout en insultant le président du pays, le considérant comme « un mafieux à la solde de la France. »

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Ses postures anti-françaises le font inviter par des pays qui ont intérêt à manipuler son aura et à l’utiliser pour défendre leurs intérêts. En février 2024 il est ainsi convié à Téhéran pour participer au sommet de la multipolarité, durant lequel il se livre à un discours antioccidental, accusant l’Occident de dégénérescence et de décadence. Ses vidéos sur Twitter et You Tube rencontrent une certaine audience et le font mousser auprès d’une jeunesse connectée qui regarde le monde à travers ses yeux. Européens « pions des Rothschild et de la finance apatride », Afrique soumise « à la domination occidentale et au lobby sioniste », ses discours reprennent les thèmes classiques de l’antisémitisme et du tiers-mondisme, matinées de références panafricanistes contre le franc CFA et les dirigeants africains accusés d’être trop proches de la France, donc forcément, à ses yeux, esclaves de celle-ci.

Une aura limitée

Son aura en Afrique est toutefois limitée. Il s’est certes rapproché des putschistes du Mali et du Burkina Faso, mais son audience ne prend pas au Bénin et en Côte d’Ivoire, là où le développement économique et l’instruction sont plus élevés. Kémi Seba sert, peut-être à son corps défendant, les intérêts d’États adversaires de la France. Selon Jeune Afrique, les autorités nigériennes compteraient sur l’activiste « pour continuer ce travail de déconstruction de la Françafrique et de propagation du panafricanisme ». Militant politique conscient de ses actes et de son influence, ou militant des réseaux utilisés par des États peu scrupuleux, difficile de trancher. Toujours est-il que son audience demeure limitée dans les pays les plus développés.

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.
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