La Commedia dell’arte : le théâtre de la liberté et du masque

2 novembre 2025

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Les Comédiens italiens (huile sur toile de Watteau, v. 1720. (c) Wikipédia

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La Commedia dell’arte : le théâtre de la liberté et du masque

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Née dans l’Italie du XVIᵉ siècle, la commedia dell’arte est un théâtre populaire fondé sur l’improvisation, le masque et la satire sociale. De Venise aux grandes cours d’Europe, ses personnages hauts en couleur ont incarné les travers humains avec humour et vivacité. Héritage vivant, elle a posé les bases du théâtre moderne et continue d’inspirer les artistes du monde entier.

Née en Italie au XVIᵉ siècle, la commedia dell’arte est l’une des formes de théâtre les plus vivantes et les plus influentes d’Europe. Littéralement, son nom signifie « comédie de métier », arte désignant ici l’art au sens de profession. Contrairement au théâtre savant, écrit et joué à la cour, la commedia dell’arte reposait sur l’improvisation, la création collective et la virtuosité des acteurs.

Aux origines d’un art populaire

Elle s’est développée dans l’Italie de la Renaissance, à une époque d’intense effervescence culturelle. Tandis que les humanistes redécouvraient l’Antiquité, de petites troupes itinérantes parcouraient les places publiques et les foires pour divertir le peuple. Les comédiens jouaient des scénarios simples mais pleins d’énergie, fondés sur des situations comiques universelles : l’amour, la tromperie, l’argent ou le pouvoir. Les dialogues n’étaient pas entièrement écrits : les acteurs disposaient d’un canevas, ou scenario, autour duquel ils improvisaient. Cette liberté donnait naissance à un théâtre populaire et satirique, plein de mouvement, de musique et de pantomime. Le jeu physique, les gestes et les mimiques occupaient une place essentielle, car le spectacle devait être compris de tous, même sans paroles.

Venise, berceau du théâtre moderne

Venise a joué un rôle central dans cette aventure théâtrale. Ville de fêtes et de commerce, elle offrait un cadre idéal à la commedia dell’arte. Au XVIᵉ siècle, la cité comptait déjà plusieurs théâtres permanents, dont celui de San Cassiano, premier théâtre public payant d’Europe. Venise attirait des troupes venues de toute l’Italie et d’ailleurs, qui se produisaient pendant le carnaval ou dans les cours des grands palais. Le public vénitien, curieux et cosmopolite, appréciait les spectacles vivants, mêlant danse, musique et comédie. Cette atmosphère de liberté, propre à la Sérénissime, a permis à la commedia dell’arte de se structurer, de raffiner ses masques, ses personnages et ses intrigues, avant de s’exporter dans toute l’Europe.

Les personnages : miroirs de la société

La commedia dell’arte repose sur un répertoire fixe de personnages reconnaissables à leurs costumes et à leurs masques. Chacun incarne une fonction sociale ou un trait de caractère. Arlequin, valet agile et rusé vêtu de losanges colorés, représente la malice et la débrouillardise. Pantalon, vieux marchand vénitien avare et ridicule, symbolise la cupidité. Le Docteur, savant pédant originaire de Bologne, est une caricature de l’érudition creuse. Brighella, autre valet, est plus manipulateur qu’Arlequin. Colombine, servante vive et fine d’esprit, se moque de ses maîtres et incarne l’intelligence populaire. Pulcinella, bossu et moqueur, mêle ruse et naïveté ; c’est l’ancêtre de Polichinelle. Les Innamorati, les jeunes amoureux, apportent la grâce et la sincérité, tandis qu’Il Capitano, soldat fanfaron et lâche, ridiculise la fausse bravoure.

L’héritage en France

Parmi les héritiers les plus célèbres de la commedia dell’arte figure Scapin, personnage popularisé par Molière dans Les Fourberies de Scapin (1671). Inspiré directement des valets italiens comme Arlequin et Brighella, Scapin incarne la ruse, l’agilité et l’irrévérence. Malicieux et débrouillard, il manipule maîtres et jeunes amoureux avec une intelligence vive et un goût prononcé pour la comédie de situation. Son costume plus sobre que celui d’Arlequin, sa vivacité verbale et son sens du stratagème en font un symbole du serviteur triomphant de la hiérarchie. À travers Scapin, Molière a su adapter l’esprit libre et joyeusement subversif de la commedia dell’arte à la scène française, donnant à ce personnage une dimension universelle et intemporelle.

Personnage emblématique du théâtre populaire, Polichinelle trouve son origine dans le Pulcinella napolitain de la commedia dell’arte. Reconnaissable à sa bosse, à son long nez crochu et à sa voix nasillarde, il incarne un mélange de ruse, de malice et d’ironie. Toujours prêt à tourner les puissants en ridicule, Polichinelle se moque de tout, y compris de lui-même. Son apparente naïveté cache un esprit vif et une liberté de parole qui en font un symbole du peuple face à l’autorité. En France, il devient un héros du théâtre de marionnettes, notamment au XVIIIᵉ et au XIXᵉ siècle, où il amuse petits et grands par ses reparties piquantes et son audace. À travers Polichinelle, la commedia dell’arte a légué une figure intemporelle de la satire et de la résistance joyeuse à l’ordre établi.

Autre figure marquante héritée de la commedia dell’arte, Pierrot est un personnage à la fois tendre et mélancolique. Né sous le nom de Pedrolino dans la tradition italienne, il était d’abord un valet simple et loyal, souvent victime des ruses d’Arlequin. En France, au XVIIᵉ siècle, il devient Pierrot et acquiert une personnalité plus poétique : naïf, rêveur, vêtu d’un large costume blanc et d’un visage enfariné, il exprime la fragilité et la solitude de l’homme amoureux. Dans les pantomimes et plus tard dans le théâtre symboliste, Pierrot s’éloigne du comique pour incarner une sensibilité moderne, à la fois touchante et mélancolique. Il demeure l’un des symboles les plus durables de la commedia dell’arte, à mi-chemin entre le rire et la poésie.

Le masque : symbole et métamorphose

Les masques sont l’un des éléments essentiels de la commedia dell’arte. Fabriqués à l’origine en cuir et modelés sur le visage, ils servent à exagérer les traits du personnage et à le rendre immédiatement reconnaissable. Chaque masque porte une signification symbolique : le nez crochu de Pantalon évoque sa ruse et son avidité, les sourcils froncés de Brighella expriment la fourberie, tandis que le large sourire d’Arlequin traduit sa malice et sa vivacité. Le masque n’est pas seulement un déguisement, mais une véritable métamorphose. Il permet à l’acteur de s’effacer derrière son rôle et de libérer une gestuelle plus expressive. Le corps devient langage : le personnage n’est plus un individu, mais un type universel, miroir des vices et des passions humaines.

Un héritage vivant

Ces figures ont traversé les siècles et inspiré d’innombrables œuvres. Molière, Marivaux ou Beaumarchais ont emprunté à la commedia dell’arte ses types, ses intrigues et son art du quiproquo. En Angleterre, Shakespeare en a retenu l’esprit comique et la liberté de ton. Ses masques colorés, comme Arlequin et Colombine, sont devenus des symboles universels que l’on retrouve encore dans la danse, le cirque ou le cinéma burlesque.

Aujourd’hui, la commedia dell’arte continue de vivre dans les écoles et les compagnies de théâtre du monde entier. Elle reste un modèle de spontanéité, d’humour et de vitalité, célébrant la liberté du jeu et la joie de la scène. Par son énergie, elle rappelle que le théâtre naît avant tout du corps, du mouvement et de la rencontre directe entre les acteurs et le public.

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À propos de l’auteur
Mathilde Legris

Mathilde Legris

Journaliste. Terroirs, histoires, voyages.

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