Livre – La coopération énergétique euro-méditerranéenne : enjeux et perspectives

28 octobre 2020

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Livre – La coopération énergétique euro-méditerranéenne : enjeux et perspectives

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Les problèmes énergétiques en Méditerranée, ne se résument heureusement pas aux ambitions de la Turquie qui cherche à s’affirmer dans ce domaine (comme en bien d’autres) comme un acteur majeur, souvent au mépris des intérêts de ses voisins ou du droit international. Même si les relations entre l’Europe et le Maghreb, essentiellement avec l’Algérie, n’ont pas toujours été dénuées de tensions, elle font toujours exemple de comportements relativement équilibrés.

Ancien élève de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées de Paris, Abdenour Keramane a été l’un des acteur clef de cette coopération en Méditerranée. Directeur Général de la Sonelgaz (Société Nationale de l’Electricité et du Gaz), monopole historique en charge des services publics de l’énergie, équivalent algérien de l’ancien monopole français EDFGDF,  il est considéré alors comme le prototype des « grands commis de l’État » qui combinent l’intérêt de l’entreprise avec une vision de l’intérêt général. Nommé Ministre délégué à la Formation professionnelle, puis Ministre de l’Industrie et des Mines, il  est aussi un expert reconnu, fondateur de la revue MED énergie, publication qui a apporté des contributions majeures à la réflexion sur la coopération Sud-Sud et Sud-Nord. Dans cet ouvrage, constitué d’une douzaine de ses contributions à divers colloques et d’articles de revue, il livre une analyse fouillée de la coopération énergétique entre les deux rives de la Méditerranée.

En prenant le nécessaire recul, ses réflexions nous amènent à réfléchir sur les points forts, les obstacles et les perspectives de cette coopération. Sous sa forme actuelle et institutionnelle elle a été lancée par le sommet de Barcelone qui a réuni, en novembre 1995, 27 pays du pourtour méditerranéen, point de départ du processus Europe, avec ensuite la mise en place de l’Union pour la Méditerranée dont le secrétariat général est installé à Barcelone.  Elle inscrivait  une vision stratégique méditerranéenne dans les préoccupations de chacun des 27 pays signataires, avec une place de choix pour le secteur énergétique. La déclaration commune, « reconnaissait » le rôle structurant du secteur de l’énergie dans le partenariat économique euro-méditerranéen et décidait « de renforcer la coopération et d’approfondir le dialogue… ».  Les participants décidaient aussi de créer les conditions adéquates pour les investissements et les activités des compagnies d’énergie, en coopérant pour créer les conditions permettant à ces compagnies d’étendre les réseaux énergétiques et de promouvoir les interconnexions.»  Celles-ci ont été construites entre les systèmes gaziers et électriques du Nord et du Sud : les trois gazoducs qui amènent le gaz algérien en Europe, à l’Est en passant par la Tunisie et l’Italie, à l’Ouest par le Maroc et l’Espagne.. Ces ouvrages, impressionnants par leur haut degré technologique, l’ampleur des investissements et leur impact au plan géostratégique, n’avaient pas leur pareil dans la région depuis le percement du canal de Suez au XIXe siècle !

Commencé en 1979, le Transmed transporte le gaz naturel de Hassi R’mel (Algérie) jusqu’à Minerbio, au nord de l’Italie à travers l’Algérie, la Tunisie, le Canal de Sicile, la Sicile, le Détroit de Messine et la péninsule Italienne. La première phase s’est achevée en 1983 et le doublement au début de l’année 1995. La profondeur des fonds marins jamais atteinte alors, la morphologie accidentée des terrains avec par endroits des rochers affleurant à forte pente, la présence de forts courants marins à des profondeurs de 400 m, sont autant de conditions difficiles qui ont nécessité la mise au point de technologies nouvelles et de solutions originales, témoignant d’une grande maîtrise de la pose des canalisations en mer. Sur le côté ouest, le gazoduc Maghreb-Europe (G.M.E.) relie depuis 1997 le gisement de Hassi R’mel à Cordoba (Espagne) et à Rio Mayor au Portugal, à travers l’Algérie, le Maroc, le Détroit de Gibraltar de la côte atlantique marocaine près de Tanger à la côte espagnole à proximité de Tarifa, l’Espagne jusqu’à Cordoba.

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On ne saurait assez souligner le caractère exemplaire de ces réalisations qui créent des liens organiques et une dépendance totale entre les pays du Maghreb d’une part, entre l’Union du Maghreb arabe (UMA) et l’Europe d’autre part. Car si le tracé du Transmed devait obligatoirement emprunter la voie choisie à travers le territoire tunisien, celui du G.M.E traversant le Maroc (au lieu du tracé direct Algérie-Espagne que devait emprunter plus tard le gazoduc Medgaz) procédait d’un choix éminemment politique. Néanmoins, ces réalisations, aussi grandioses soient elles, ont-elles donné naissance à un véritable partenariat industriel lorsque l’on sait qu’au sud de la Méditerranée, il n’existait pas une seule usine de fabrication d’équipements électriques à haute tension (transformateurs, disjoncteurs, accessoires) ? Pourtant, les besoins pour l’édification de la boucle sont immenses ! Sur un autre registre, pourquoi l’interconnexion électrique sous-marine Maroc Espagne sert-elle exclusivement à des importations d’énergie électrique vers le sud alors qu’à tout le moins elle devrait privilégier des échanges équilibrés ? En outre, on est en droit de s’interroger si ces imposants ouvrages ont donné lieu à un réel transfert de technologie lorsque l’on constate qu’au terme de plusieurs décennies de travail en commun pour la construction de nombreux gazoducs sous-marins, il n’a pas été créé une seule société mixte d’ingénierie des canalisations sous-marines digne de ce nom entre les pays du Nord et du Sud. Pourtant, celle-ci aurait pu jouer le rôle de lieu d’accumulation de connaissance et de méthodes pour intervenir ensuite, ensemble, dans des pays tiers.

L’Union Européenne dépendait jusqu’au début des années 2000 des pays producteurs méditerranéens pour 36% de ses importations en gaz naturel et pour 20% de ses importations en pétrole. Vue du côté de ces derniers, la dépendance est encore plus forte : leurs exportations sont dirigées dans la proportion de 86% pour le gaz naturel et de 49% pour le pétrole vers les pays de l’Europe et de l’Europe méditerranéenne. Il faut rappeler que des facteurs structurels, de nature historique et/ou géostratégique, ont contribué tout naturellement à créer une telle situation et concourent à la renforcer : plus précisément, il se trouve que, autour de la Méditerranée, les ressources énergétiques sont concentrées dans la partie méridionale alors que les pays de la partie septentrionale qui ont de grands besoins et la plus forte consommation disposent, pour leur part, des compétences humaines, de la technologie, de l’expérience du développement et des moyens financiers.

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Néanmoins, l’intensité des échanges de produits énergétiques ne saurait être une fin en soi. On ne peut s’empêcher de s’interroger sur leur contenu et surtout sur leur finalité : l’accroissement constant des échanges s’accompagne t-il d’une réelle coopération et d’un véritable « partage de la prospérité » ? « Contribue t-il à constituer un espace économique solidaire, plus équilibré, plus juste, plus humain alors qu’aujourd’hui le P.I.B. par habitant est 14 fois supérieur en Espagne qu’au Maroc et en Italie qu’en Tunisie ? En d’autres termes, les chiffres ne doivent pas nous leurrer. Force est de constater qu’« ils traduisent une conjonction d’intérêts plutôt qu’une véritable vision stratégique et répondent à deux préoccupations convergentes: d’une part, celle de l’Europe, d’assurer la couverture de ses besoins en énergie au moindre coût ; d’autre part, celle des pays producteurs, de valoriser leurs ressources pour financer leur développement. » Pour l’instant, c’est donc la recherche de l’intérêt mutuel qui a prévalu. D’ailleurs, l’absence d’une politique méditerranéenne globale et coordonnée explique, en grande partie, le manque d’engagement de l’Europe dans les pays méditerranéens et au Maghreb en particulier qui s’est manifesté par l’insuffisance des investissements dont le montant est ridicule par rapport à ceux effectués en Europe de l’Est.

Pourtant il reste fort à faire : le fonctionnement d’une boucle électrique qui entoure la Méditerranée (MedRing), l’intégration des marchés électriques et gaziers du Nord et du Sud, l’harmonisation des systèmes de régulation. Le contexte économique et politique a malheureusement dramatiquement changé. Les obstacles les plus divers se sont accumulés : printemps arabes, déstabilisation de la Libye et du Moyen-Orient, souffrance des populations du fait de la mondialisation, montée de la corruption, drame des flux migratoires vers l’Europe, soudaine réorientation des politiques européennes vers l’Afrique subsaharienne, prise de conscience progressive de la gravité du réchauffement climatique et de l’urgence à agir, « tempêtes » énergétiques qui font entrer le gaz de schiste américain dans l’espace européen et qui atteignent un comble avec la pandémie du coronavirus en 2020. En dépit de cette conjoncture bien défavorable, de nombreuses initiatives de coopération ont été lancées. Dans la lignée d’Euromed : une coopération active s’est développée entre les entreprises d’électricité (Medelec) et la coopération entre les TSO (Transmission Systems Operators) du Nord, du Sud et de l’Est, un dialogue étroit se développe entre les autorités de régulation (MedReg), les nombreux échanges dans le domaine de la formation et de la recherche, la création de l’Observatoire Méditerranéen de l’Energie (OME). Mais dorénavant, c’est le réchauffement climatique qui est devenu le véritable impératif et il doit remodeler l’ensemble du secteur énergétique. L’une de ces questions, particulièrement grave et omniprésente, c’est celle de la gouvernance : gouvernance des réseaux et des systèmes énergétiques mais surtout gouvernance des États pour que soit affirmée la prévalence de l’intérêt général et du bien public. On le voit, la coopération énergétique méditerranéenne n‘en est qu’à ses balbutiements tant les besoins d’électrification, d’éoliennes offshore, de mise en valeur du potentiel solaire du Sahara (projet Desertec) pour ne nommer que ces éléments sont énormes.

À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
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