<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La culture populaire de l’atome : un imaginaire au service de la paix

29 avril 2022

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La culture populaire de l’atome : un imaginaire au service de la paix

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Apanage des sociétés libres, héritière de Jules Verne et de George Wells, la culture populaire de l’atome navigue entre angoisse de l’apocalypse et fascination pour la science.

En première place figure Docteur Folamour, le film de Stanley Kubrick. Par l’humour et la satire, il peut, sur une réalisation magistrale, placer où il faut son message sur les risques de guerre nucléaire. Le film sort au lendemain de la crise des missiles de Cuba, lorsque le monde avait failli basculer. En juillet 1946, le Pentagone procède à un essai nucléaire sur l’atoll de Bikini, un site isolé du Pacifique. À Paris, Louis Réart, couturier au sens aigu du marketing, voit dans l’événement le nom tout trouvé pour sa création, un vêtement de plage qui devient symbole de liberté d’une France qui veut oublier les mauvais souvenirs. Au Japon, le phénomène manga naît du traumatisme d’Hiroshima et de Nagasaki. Depuis 1945, l’atome s’est emparé de larges espaces culturels, la musique et le cinéma ayant pour eux le pouvoir de délivrer un message immédiatement perceptible à fort pouvoir psychologique. Terrain stratégique, c’est du sérieux.

99 Luftballons, le tube de la guerre froide

À chaque guerre, son tube. La guerre froide ne fait pas exception, spécialement durant les années 1980. Course aux armements, invasion soviétique de l’Afghanistan, totalitarisme à l’Est, crise économique, les angoisses s’installent. Prompte à l’engagement politique, la scène musicale se mobilise. À l’inverse du mouvement punk et de son slogan « No future », elle adhère aux valeurs occidentales, en appelle à la paix et veut porter un espoir. Traversée de courants pacifistes, l’Europe attend, anxieuse, les missiles américains venus contrer les SS-20 soviétiques. C’est alors, fin 1983, qu’un titre pop-rock passe sur la FM : Neu-und-neuzig (99) Luftballons par le groupe Nena et sa chanteuse, Gabriele Kerner. Les paroles sont en allemand et pourtant le 45-tours se hisse au sommet des ventes. Un étrange récit : un lâcher de ballons est perçu de l’autre côté de la frontière comme une attaque d’ovnis et provoque l’envoi des escadrilles de chasse. Résultat : une guerre de quatre-vingt-dix-neuf années. Au fond, Nena exprime l’inquiétude d’une Europe en première ligne. Radioaktivität (Kraftwerk), Supernature (Cerrone), Atomic (Blondie), Vamos a la playa (Righeira), Enola Gay (OMD), la thématique explose sur la FM telle une réaction en chaîne. Le monde est divisé en Two Tribes pour Frankie Goes to Hollywood. Le quart d’heure des slows programme Russians (Sting) ou Nikita. De sa Rolls, Elton John aperçoit une jolie douanière à l’Est sur un check-point à Berlin. C’est le coup de foudre. Sorti fin 1985, le titre est un appel à la chute du mur. Gorbatchev arrive au pouvoir : un Wing of change chante le groupe Scorpion. Encore quatre ans de patience. L’atome peut s’effacer de la scène. Ces titres ajoutent de l’humain à notre regard sur la bombe. Donc, lire aussi Stratégies nucléaires du général Poirier. Pourquoi Nena ? D’abord, il y a le son. Il se reconnaît dès la première note. Ironie de l’histoire, on le saura bien plus tard, à la même date, l’OTAN avait conduit en novembre 1983 Able Archer, un exercice si réaliste que les dirigeants soviétiques prennent peur et mettent en alerte leurs forces nucléaires. On ne serait pas passé bien loin de la catastrophe. Diffusée toujours sur les radios FM, Gabriele Kerner donne des concerts pour les nostalgiques des 80’s. Arte lui a même consacré un « Karambolage », son programme court décryptant avec impertinence les faits culturels allemand et français. Le retour des tensions et de la course aux armements redonnent toute son actualité aux 99 ballons de Nena, titre hissé depuis au statut d’hymne international de la guerre froide. Peut-être de la prochaine !

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La phrase est de Stanley Kubrick. Dans le sillage de Docteur Folamour (1963), la filmographie est foisonnante, qu’il s’agisse de raconter, contester ou soutenir la bombe. Le film reste un modèle pour les cinéastes. Avant lui, il faut raconter l’histoire de cette arme. Le début de la fin (1947), Le grand secret (1952), Les maîtres de l’ombre (1989) nous font revivre le projet Manhattan. La France a eu sa part de l’exploit scientifique : c’est détaillé dans La bataille de l’eau lourde, un épisode glorieux où Frédéric Joliot-Curie incarne son propre rôle. La critique inspire Hiroshima mon amour, œuvre intégrale d’Alain Resnais. L’angoisse atomique donne Les monstres attaquent la ville, Godzilla, L’arbre de Noël, L’homme qui rétrécit. Après l’apocalypse (War games, The day after), l’humanité revient à l’état sauvage, un phantasme qui s’exprime dans le genre postapocalyptique (La Planète des Singes, Mad Max, Malevil, La route, Oblivion). Mais une charge atomique a aussi ses bienfaits, car elle saurait repousser les menaces venues de l’espace : les extraterrestres (La guerre des mondes, Independance Day) ou les météores géants fonçant droit sur nous (Space cow-boys, Deep impact, Armagedon). La bombe est aussi l’ingrédient bien utile pour relever les scénarios de série B, entre autres, la franchise James Bond. Délaissant l’agent 007, l’atome revient en force dans les superproductions de sécurité nationale qui nous emmènent au cœur du pouvoir politico-militaire américain dans Octobre rouge, USS Alabama, Air Force One, Broken Arrow, La somme de toutes les peurs. Les attentats de 11 septembre 2001 invitent à une profonde remise en question. Avec le soutien des armées, Antonin Baudry réalise en 2017 Le Chant du loup, récit de crise qui mobilise les sous-marins français de la force de frappe. Pas d’espions sans nucléaire. On visionnera L’Étau d’Alfred Hitchcock, où l’on notera un regard ambigu sur la France du général. Se jouant des clichés, Georges Lautner nous lègue en 1964 Les Barbouses. Sorti en 1994, le film d’Éric Rochant Les Patriotes fait référence. Il s’en inspire plus tard dans Le Bureau des Légendes. Pour parachever cette cinémathèque, une pépite venue d’Israël : Fallafel à la sauce atomique, une comédie pimentée de Dror Shaul réalisée en 2017. Le cinéma nous propose une expérience de guerre atomique. Il faut en rester là.

Tourisme nucléaire : à la rencontre de la bombe atomique 

Hiroshima a fait le choix du mémoriel entre le cénotaphe érigé au point zéro de l’explosion et du dôme Genbaku, l’édifice qui a résisté à Little Boy ce 6 août 1945. Les États-Unis ont longtemps hésité avant d’installer le B-29 Enola Gay au Musée de l’air de Washington. L’avion de Nagasaki est conservé à Dayton au musée de l’US Air Force. La France revendique sans complexe ses exploits technologiques. À Cherbourg, la Cité de la Mer abrite Le Redoutable, seul sous-marin nucléaire lanceur d’engins au monde à avoir été aménagé pour le public. Au Bourget, le Musée de l’air vous invite à découvrir des fusées stratégiques, le poste de tir du plateau d’Albion et un Mirage IV armé de sa bombe. À Caen, le Mémorial de la paix insiste sur la course aux armements autour d’un avion MiG21 et d’une arme thermonucléaire américaine. À l’écart de la nationale 7, le Musée européen de l’aviation de chasse à Montélimar s’est enrichi d’un Mirage IV parfaitement restauré en livrée aluminium. Le touriste motivé ira dans la banlieue de Londres, à Hendon, au musée de la Royal Air Force avec comme attractions des bombardiers Valiant et Vulcan, plusieurs modèles d’armes et un missile balistique Thor. Outre-Atlantique, le programme est chargé : New York pour le sous-marin Growler puis se rendre au National Air & Space Museum à Washington pour un selfie devant le SS20 et son adversaire le missile Pershing. Albuquerque mérite le détour pour son Musée national d’histoire nucléaire. Welcome to Las Vegas : à l’entrée du National Atomic Testing Museum, vous serez accueilli par l’effigie de Lee Merlin, Miss Atomic Bomb 1957. Une attraction vous propose ensuite de revivre un essai aérien comme ceux du Nevada Test Site. Devant la reproduction de la bombe d’Hiroshima, une jeune étudiante s’interroge : « Comment une si petite bombe a-t-elle pu détruire une si grande ville ? », chose entendue à l’Imperial War Museum de Londres.

 

En fin de compte, la culture populaire de l’atome a permis aux opinions publiques de vivre avec la bombe, de la rendre aussi plus acceptable. Pour mieux saisir la diversité de son message, le Commissariat à l’énergie nucléaire (CEA) et l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem) ont publié Imaginaires nucléaires, un livre riche de 35 signatures, des universitaires, des ingénieurs, des journalistes et des artistes. « Aborder l’atome à travers le prisme culturel est une source d’enrichissement pour la réflexion stratégique » avait déclaré Vincenzo Salvetti, directeur des applications militaires du CEA au Cercle des armées en septembre 2021 lors du lancement de cet ouvrage aux éditions Odile Jacob.

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À propos de l’auteur
Philippe Wodka-Gallien

Philippe Wodka-Gallien

Institut français d’analyse stratégique. Auditeur de la 47e session nationale de l’IHEDN, Armement économie de défense. Auteur de l’ouvrage récent : La dissuasion nucléaire française en action. Dictionnaire d’un récit national, éd. Decoopman. Titulaire du prix Vauban pour son livre Essai nucléaire, la dissuasion nucléaire française au XXIe siècle, éd La Vauzelle.
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