L’accord de Washington ne se limite pas à une tentative de désescalade entre Kinshasa et Kigali. Il marque une inflexion profonde de la politique américaine dans les Grands Lacs. En mettant fin à vingt années de tolérance stratégique envers le Rwanda, Washington a repositionné la République démocratique du Congo au centre du jeu régional. Un tournant discret, mais décisif, qui consacre la stratégie de Félix Tshisekedi.
Pendant près de deux décennies, le Rwanda a bénéficié d’un statut singulier auprès des États-Unis : celui d’un partenaire sécuritaire jugé efficace, rationnel et incontournable dans une région instable. Cette lecture, longtemps dominante à Washington, reposait sur une forme de pragmatisme stratégique, quitte à tolérer des zones grises sur le terrain congolais. Cette période est désormais révolue.
Washington ferme la parenthèse rwandaise
Pour l’administration américaine, l’enjeu n’était plus seulement de contenir des groupes armés, mais d’éviter une régionalisation incontrôlée des conflits, incompatible avec ses intérêts sécuritaires, économiques et miniers. Dans ce nouveau contexte, la RDC est apparue comme un interlocuteur plus central, plus structurant et politiquement incontournable. Kinshasa n’était plus le problème à gérer, mais la clé de la solution.
L’accord de Washington a acté ce basculement. Il a réduit les marges de manœuvre de Kigali et renforcé la légitimité internationale du président Félix Tshisekedi. La réaction rwandaise — alternant communication triomphaliste et escalade militaire indirecte — trahit surtout une difficulté d’adaptation à ce nouveau cadre. Le temps du blanc-seing est clos, celui de la responsabilisation étatique a commencé.
Tshisekedi, le choix du droit et du temps long
Face à cette recomposition, la RDC a adopté une posture résolument classique de puissance souveraine. Invocation du droit international, production méthodique de preuves, recours aux mécanismes multilatéraux : Kinshasa a choisi la normalisation diplomatique plutôt que la surenchère. Ce choix, longtemps jugé risqué, s’avère aujourd’hui payant.
Dans son discours à la Nation, le 8 décembre dernier, Félix Tshisekedi a résumé cette ligne avec clarté : « Nous ne sommes ni face à un simple conflit communautaire, ni devant une rébellion interne. Il s’agit d’une guerre d’agression par procuration visant à contester notre souveraineté. » En posant les termes du débat, le chef de l’État congolais a déplacé le conflit du registre émotionnel vers celui de la responsabilité internationale.
Cette stratégie a trouvé un écho croissant. Le Conseil de sécurité des Nations unies a condamné explicitement l’agression rwandaise, tandis que l’Union africaine a exigé le retrait de toute force étrangère non autorisée du territoire congolais. « La voix de la République démocratique du Congo compte à nouveau dans le concert des nations », a souligné Tshisekedi, rappelant l’élection du pays au Conseil de sécurité et sa présidence de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs.
En définitive, l’accord de Washington n’a pas seulement déplacé un curseur diplomatique. Il a changé le centre de gravité régional. Washington en est l’arbitre assumé, mais Kinshasa en est désormais le pivot. Dans ce nouvel équilibre, le Rwanda ne dicte plus le tempo. Et c’est là, sans doute, la victoire la plus durable de Félix Tshisekedi.










