La France, perpétuelle non-puissance ?

7 janvier 2015

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Le Premier ministre italien Giorgia Meloni prononce des remarques lors d'un discours de presse conjoint avec le président français Emmanuel Macron au palais de l'Élysée à Paris, mardi 20 juin 2023. (Ludovic Marin, Pool via AP)/PAR138/23171605469487/POOL PHOTO/2306201855
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Les quarante dernières années auxquelles Éric Zemmour impute le suicide français ne sont en réalité que les ferments d’une décomposition intervenue bien avant.

En ces âges sombres où le destin du pays se trouve entièrement contenu dans la question obsessionnelle – parce qu’à raison obsédante – de son déclin, il serait peut-être bon de regarder en arrière pour savoir si la nostalgie de puissance qui nous berce a un réel fondement.

Plutôt que de se demander si la France a encore une stratégie de puissance, la vraie question, essentielle, serait de savoir si la France a jamais été une puissance géopolitique. Éternelle seconde de l’Angleterre, puis de l’Allemagne, quand la France fut-elle grande ? Sous Napoléon ? Culte dérisoire, feu de paille impérial qui dura à peine quinze ans. À bien y songer et à grossir volontairement le trait, on ne retiendra que l’apogée qui s’ouvrit avec Louis XIV et à partir duquel la France forma un véritable hegemon, puissance entendue dans toutes ses dimensions : économique, militaire, diplomatique et culturelle.

Encore faut-il relativiser ce trait : notre pays, nation sédentaire dans l’âme, eut de tout temps d’immenses difficultés à se projeter dans la bataille pour la domination mondiale. L’échec systématique de sa politique maritime face à l’Angleterre en fut le plus cruel témoignage. La Compagnie des Indes orientales lancée par Colbert connut un succès d’estime avant de mourir une première fois avec le traité de Paris de 1763, laissant le champ libre à son homologue et adversaire britannique qui l’avait vaincue et bien vaincue. Brièvement relancée sous Louis XVI, l’affaire se conclut définitivement avec la Révolution française. L’entreprise coloniale française ne s’en releva jamais et fut dès lors condamnée à une politique de miettes. Après la conquête de l’Algérie, le deuxième temps de la colonisation française fut construit sur le refoulé de l’effondrement de 1870. Il ne pouvait y avoir à une telle entreprise pire fondement politique que de vouloir racheter l’humiliation par l’octroi d’une gloire contrefaite.

Sortie en vainqueur précaire de la Grande Guerre, la France ne parvint jamais à jouer son jeu pleinement. Il eût fallu pousser jusqu’à Berlin comme le voulait Foch et occuper durablement l’Allemagne, la refaçonner à notre avantage. Britanniques et Américains l’empêchèrent. La défaite de 1940, portée sur les fonts baptismaux d’un pacifisme ravageur et d’un système politique faisandé par les politicailleries, décapita définitivement son statut de puissance mondiale, largement usurpé depuis le début du XXème siècle. De cet effondrement jamais autopsié, 1954 et 1962 ne furent que les sinistres et ô combien prévisibles avatars. De Gaulle, grand thaumaturge, fut, dans cette épreuve permanente de décadence, une parenthèse magique. Ce qui reste à la France d’industrie stratégique – et qui sera bientôt liquidé – est son héritage.

On pourrait filer loin ainsi sur la route du désespoir, mais trêve de masochisme ! Une telle litanie est évidemment une lecture malhonnête, grossière, caricaturale, même si on ne peut contester que 1940 fut le coup de guillotine final et que la France ne joua plus alors que dans la cour des puissances de moyenne taille. Les quarante dernières années auxquelles Éric Zemmour impute le suicide français ne sont en réalité que les ferments d’une décomposition intervenue bien avant.

Si la France fut une puissance, avec Richelieu, avec Colbert, avec Robespierre (la Révolution française fut le seul moment de son histoire où la conduite politique de la guerre par les autorités civiles triompha), avec Clemenceau, avec De Gaulle, elle le fut toujours contre elle-même. N’était-ce pas d’ailleurs le sens tragique de la confidence du général à Foccart : « Je suis sur une scène de théâtre où je fais illusion depuis 1940 et je fais semblant d’y croire. La France est une nation avachie qui pense seulement à son confort qui ne veut pas d’histoires, qui ne veut faire de la peine à personne. C’est une illusion perpétuelle » ? Lui-même n’y croyait plus.

Crédit photo : onepointfour via Flickr (cc)

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À propos de l’auteur
Georges-Henri Bricet des Vallons

Georges-Henri Bricet des Vallons

Docteur en science politique, diplômé de Sciences Po Paris, Georges-Henri Bricet des Vallons est rédacteur en chef de la revue Sécurité Globale.
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