<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La NATO Response force. Entretien avec le GCA Pierre Gillet

18 septembre 2021

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Photo : La NATO Response force dans l’OTAN. Crédit photo : Unsplash
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La NATO Response force. Entretien avec le GCA Pierre Gillet

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La NATO Response Force (NRF) est la principale alerte de l’OTAN. Le corps prendra la fonction de commandement de composante Terre (Land Component Command) sous les ordres d’un commandement opératif en 2022. Cela implique d’être prêt individuellement et collectivement, certifié, et entraîné.

Le général de corps d’armée Pierre Gillet, saint-cyrien, est chef d’état-major du Corps de réaction rapide-France (CRR-Fr) depuis 2019. Il a servi au Tchad, en Arabie Saoudite et en Irak, à Djibouti, à Sarajevo, en République Centrafricaine et en Côte d’Ivoire. Entretien réalisé par Olivier Entraygues.

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Dans le cadre de la préparation opérationnelle du CRR-Fr liée à la prise d’alerte NRF, quels sont vos axes d’effort ?

La NATO Response Force (NRF) est la principale alerte de l’OTAN. Le corps prendra la fonction de commandement de composante Terre (Land Component Command) sous les ordres d’un commandement opératif en 2022. Cela implique d’être prêt individuellement et collectivement, certifié, et entraîné. La préparation de l’alerte s’inscrit dans un processus de montée en puissance dont le point d’orgue est l’exercice (simulé) de certification suivi d’un exercice de déploiement. L’OTAN contrôle d’une part le poste de commandement pour s’assurer qu’il peut prendre sous ses ordres des brigades alliées et des éléments organiques fournis par différentes nations, et d’autre part pour s’assurer de son aptitude à se déployer entre 10 et 30 jours. Très concrètement, il s’agit pour le corps de saisir toutes les opportunités pour améliorer le « fond de sac » individuel (tirs de combat, gestes de survie, condition physique), la connaissance de son poste de travail, et simultanément s’entraîner collectivement (mensuellement) sans attendre des exercices majeurs. Ce dernier point est essentiel tant il introduit de la souplesse sans engager de moyens lourds de commandement. Chaque cellule ou fonction profite de l’occasion pour se créer des dilemmes tactiques qui stimulent la réflexion et la réactivité. La préparation est à la fois une méthode à suivre avec des rendez-vous à temps et un état d’esprit opérationnel. Le poste de commandement noue des contacts avec le commandement opératif, les autres composantes, les unités subordonnées, les pays hôtes susceptibles de recevoir la force. La production des ordres en vue des exercices aux niveaux opératif et tactique se rapproche des conditions réelles d’engagement.

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Comment abordez-vous la certification OTAN de votre état-major lors de l’exercice qui se déroulera à Stavenger au mois d’octobre 2021 ?

Comme évoqué précédemment, l’exercice de certification est un beau défi à relever. Il ne s’agit surtout pas de cocher une case dans un processus planifié, mais de tirer le meilleur profit possible d’un exercice fourni clef en main, dans un cadre interarmées et interalliés. C’est une possibilité unique d’entraînement qui s’appuie sur la capacité éprouvée de l’OTAN d’organiser et de conduire des exercices de grande ampleur. L’environnement représenté est très réaliste et proche des conditions réelles. L’état-major du corps aborde la certification comme la participation à une vraie opération. Dans le prolongement de l’entraînement réalisé au corps, mis sous pression par le tempo de l’exercice, l’état-major traite des situations tactiques très diverses allant des actions hybrides à des actions de combat plus classiques. Il y a finalement peu d’impasses et au bout du compte presque toutes les facettes du commandement opérationnel ont été éprouvées.

Vous êtes à la tête d’un des dix états-majors de la Nato Force Structure depuis plus de deux années, que signifie être prêt ?

Être prêt à commander une opération majeure sur court préavis est la finalité d’un état-major opérationnel. Dans le cas d’un corps, la nature probable de la mission laisse présager un niveau d’intensité très élevé, méconnu ou oublié depuis des décennies.

Sans rentrer dans des considérations techniques, être prêt consiste à accepter la confrontation dans les champs intellectuel (conception d’une manœuvre pour percer et briser la volonté de l’adversaire), immatériel (garder sa cohésion interne et gagner la bataille du narratif) et physique. Cela offre de nombreuses possibilités tactiques en combinant des actions de combat avec des actions qui visent davantage l’esprit et la résistance de l’adversaire que ses muscles et sa force physique. Il ne s’agira en aucun cas de refuser de monter sur un ring, mais plutôt de le faire à bon escient et opportunément, voire de l’éviter si l’adversaire déclare forfait (dissuasion).

Être prêt est plus un état d’esprit qu’un niveau de préparation atteint. Nous ne devrions jamais dire « je suis prêt », mais « je me prépare ». La vision dynamique de l’entraînement présente l’avantage de ne pas se satisfaire de la réalisation d’un standard de référence (même s’il en faut pour mesurer la trajectoire de préparation). La guerre (affrontement direct ou hybride) réserve son lot de surprises, bonnes et mauvaises. On exploite les premières et on atténue les secondes. La rigidité propre à une position fixe, un état atteint que l’on croit pouvoir tenir, fait mauvais ménage avec l’agilité indispensable pour s’adapter à la dure réalité changeante du champ de bataille. Il ne faut surtout pas confondre un état d’esprit offensif qui nous fait toujours chercher la meilleure option (et non la plus confortable ou connue) avec le doute et la remise en cause des plans et des ordres qui inhibent durablement l’action.

Pour reprendre une terminologie clausewitzienne, la guerre s’apparente à un duel. Les états-majors livrent celui de l’esprit, les forces livrent le duel physique. Nous pourrions aussi tenter une analogie avec un combat de boxe. Celui qui gagne, outre l’entraînement, la préparation physique et la résistance morale, est celui qui agit le plus vite et prend l’initiative. La supériorité d’exécution devient le critère clef du succès. Celle-ci dépend concrètement de trois grandes supériorités : les feux, la maîtrise de la 3e dimension, la maîtrise du spectre électromagnétique élargie au domaine cyber et à l’influence. La production des ordres à temps va de soi pour un état-major correctement entraîné. En revanche, la conquête ou le maintien des trois grandes supériorités nécessitent un haut niveau de préparation. Il serait trop facile de miser sur une débauche de moyens et la haute technologie ne dispense pas de la manœuvre. Tendre vers la maîtrise de la supériorité d’exécution en faisant à la fois preuve d’un grand professionnalisme pour exploiter au mieux tous les « pions » de manœuvre et d’une grande intelligence de situation pour réagir et exploiter un événement devient la quintessence de l’art militaire. Être prêt consiste aussi à s’en rapprocher le plus possible.

Enfin, il serait malheureux de ne rien dire sur l’homme qui « est l’instrument premier du combat ». Notons l’importance de la cohésion, celle que l’adversaire cherchera toujours à saper. La compétence et le professionnalisme ne remplaceront jamais la compréhension qu’à chacun de l’importance de sa mission. Chacun apporte une pierre à l’édifice de la victoire et personne n’a envie de devenir le maillon faible. La vertu de prudence, promue par les philosophes de l’Antiquité comme l’art de trouver le chemin le plus approprié à la finalité d’une action, devient un garant de la cohésion et de ce fait de la tension vers un but commun qui en vaut la peine. Ce n’est pas pour rien si Napoléon a vanté les mérites du chef donneur de sens !

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Au moment où le CEMAT vient de valider un nouveau Concept d’emploi des forces terrestres comment déclinez-vous le terme de Haute Intensité qui est devenu une notion centrale de la réflexion doctrinale actuelle ?

Le terme « haute intensité » (HI) est défini[1] comme « un affrontement extrême » entre des protagonistes qui ont les mêmes capacités et combattent dans tous les champs de la conflictualité. Cela suggère qu’ils acceptent la bataille décisive, caractéristique de la stratégie directe, décrite par le général Beaufre. L’un des deux doit perdre ou céder. Rajoutons cependant, pour mieux s’inscrire dans le cycle des conflictualités à venir[2], que la HI (option la plus dangereuse) survient lorsque l’un des adversaires choisit de sortir de la phase de compétition (option la plus probable) pour rechercher la bataille décisive ou nous mettre devant un fait accompli[3]. Notons au passage que le simple fait d’être prêt à s’opposer à cette éventualité exerce une forme de dissuasion terrestre ; il y a tout à perdre à vouloir l’affrontement direct et ouvert.

La définition met en exergue l’enjeu pour nous de se hisser au niveau nécessaire pour affronter un ennemi « de la classe des plus grands boxeurs professionnels ». La capacité de le faire est portée par le chef d’état-major de l’armée de Terre dans son plan stratégique. Cela pourrait se traduire par l’ambition d’engager simultanément le corps avec une division française (à côté de divisions alliées) et deux brigades françaises. Plusieurs défis sont à relever : la répartition des éléments organiques (ceux qui permettent de faire la différence sur le terrain), l’organisation des postes de commandement pour réduire leurs vulnérabilités (ils offrent des cibles privilégiées et prioritaires) et tirer le meilleur parti des nouvelles technologies (systèmes de communication, intelligence artificielle…).

Le corps de réaction rapide France veille à la cohérence de l’ensemble de la chaîne de commandement opérationnel terre. Il s’assure au profit de toute l’armée de Terre que l’organisation du commandement, ses équipements et son entraînement collent à l’ambition stratégique. Un premier rendez-vous significatif est fixé pour un exercice de grande ampleur en terrain libre en 2023. L’intégralité de la chaîne de commandement sera déployée et éprouvée dans des conditions les plus proches possibles du combat réel.

[1] L’armée de Terre a caractérisé la HI comme « un affrontement soutenu entre masses de manœuvres agressives se contestant jusque dans la profondeur et dans différents milieux l’ensemble des champs de conflictualité (physique et immatériel) et dont l’objectif est de vaincre la puissance de l’adversaire ».

[2] Il décrit :

– une phase de confrontation caractérisée par des actions non attribuables et plutôt de guerre hybride ;

– une phase de contestation sorte de zone grise dans laquelle l’intention de l’adversaire laisse penser qu’il pourrait rechercher l’affrontement direct,

– une phase d’affrontement, celle de l’acceptation de la bataille décisive. C’est l’ultime étape avant l’engagement du feu nucléaire.

[3] Le fait accompli, à l’instar par exemple de la saisie de la Crimée par la Russie, est la saisie d’un objectif majeur à moindre coût et sans laisser le temps de réagir immédiatement. Lever un fait accompli nécessiterait alors une action offensive majeure.

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