<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’Abbaye de Saint-Savin, la « chapelle Sixtine du Moyen-Âge français » #1

2 août 2023

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L’Abbaye de Saint-Savin, la « chapelle Sixtine du Moyen-Âge français » #1

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Fleuron de l’art médiéval en Nouvelle-Aquitaine, l’abbaye de Saint-Savin sur Gartempe fut pendant de longues années le monastère le plus influent de France.

Ornée de fresques splendides, l’abbatiale conserve la plus grande collection de peintures murales romanes en Europe. Pourtant, avant que sa valeur ne soit reconnue officiellement, elle vécut de bien sombres années, et il fallut l’aplomb et la détermination de certains personnages pour la remettre sur pied.

De l’apothéose au glas

L’abbaye Notre-Dame de Saint-Savin voit le jour sous le règne de Charlemagne, au début du IXe siècle. Avec le concours de l’empereur, elle est alors vouée à Saint-Savin et Saint Cyprien, deux saints dont on ignore aujourd’hui beaucoup de choses. Selon la tradition, au Ve siècle, les deux frères fuient la Macédoine, persécutés pour leur foi. Mais retrouvés sur les bords de la Gartempe, ils sont décapités après avoir été sauvagement martyrisés. Saint-Savin est inhumé non loin de la ville actuelle, en un lieu nommé Cerisier.

Les reliques des deux martyrs sont déterrées trois siècles plus tard. Badillus, alors clerc à la cour de Charlemagne, décide d’y fonder une église abbatiale. En 821, il confie au futur saint Benoît d’Aniane le soin d’installer dans ce nouveau monastère une vingtaine de moines bénédictins. Le premier abbé, Eudes Ier, fait ériger la toute première église. L’abbaye accroît sa notoriété en jouant un rôle de premier plan dans la christianisation du Poitou. Elle agrandit ses possessions, devenant bientôt le domaine religieux le plus important de la région. Grâce à un don exceptionnel de la comtesse du Poitou et d’Aquitaine au début du XIe siècle, l’église abbatiale est élargie, jusqu’à prendre sa taille actuelle. C’est à cette époque que les fresques sont apposées sur les parois de l’édifice. En 1866, l’abbé Lebrun découvre en changeant un autel un extraordinaire verre bleu cobalt utilisé alors comme reliquaire ; il est l’unique spécimen conservé intact et connu à ce jour d’une production de prestige fabriquée en Europe occidentale.

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C’est ensuite le comte Alphonse de Poitiers, frère de Saint Louis, qui, au XIIIe siècle, finance la construction des bâtiments conventuels. Saint-Savin demeure pendant longtemps l’une des abbayes les plus influentes de France.

Mais la guerre de Cent Ans sonne le glas de la prospérité du monastère. Ballottée entre Anglais et Français, l’abbaye est finalement pillée par le Prince noir en 1371. Puis de nouveau convoitée par les camps ennemis durant les Guerres de Religion, elle est dévastée par les huguenots qui incendient les stalles, les orgues, les reliques, les archives et la charpente, avant que l’armée royale n’intervienne à son tour. Puis c’est de l’intérieur que l’ordre est gâté : des abbés laïcs sont nommés. Vers 1600, le vicomte de la Guerche, l’un d’entre eux, fait démanteler le bâtiment pour en vendre les pierres, ce qui explique la disparition d’une grande partie du cloître et des bâtiments conventuels. L’un de ses successeurs, Henri de Neuchèze, chasse ensuite les moines et fait de l’abbatiale sa demeure. Finalement, en 1640, le roi Louis XIII en reprend le contrôle et installe dans le monastère dénaturé une congrégation de Saint-Maur, venue de l’abbaye de Nouaillé. Cette reprise en main marque la fin d’une longue période de destruction.

Pour ne pas déroger à ses habitudes, la Révolution française expulse les derniers religieux de Saint-Savin. Les bâtiments conventuels sont réquisitionnés par des instituteurs, puis une gendarmerie, tandis que le cloître devient le théâtre des fêtes révolutionnaires. Pour couronner le tout, en 1820, la foudre détruit un échantillon de la flèche du XVe siècle, qui, en s’effondrant, lézarde une partie de la voûte de la nef.

La chapelle Sixtine ou rien

Ce coup de maître du ciel décide le valeureux Prosper Mérimée à intervenir. En 1833, il fait partie de ceux qui donnent l’alerte. Prenant conscience de l’immense valeur de l’édifice poitevin, il demande sa restauration.

L’abbaye de Saint-Savin est une référence en matière d’architecture romane. Imposante, sa nef vise la magnificence. Une symbiose entre l’architecture et la peinture morale s’y dégage harmonieusement. Sur le tympan, un classique Christ en gloire, représenté assis sur un trône, bénissant les fidèles à la manière byzantine, y est sculpté. Les fameuses peintures murales datent des XIIe et XIIIe siècles, et participent à la célébrité du lieu. Peintes directement sur les murs et la voûte par un procédé intermédiaire entre fresque et détrempe, elles sont de couleurs peu variées : ocre jaune, rouge, vert, le tout mêlé au blanc et au noir. Le pigment bleu est encore trop onéreux à l’époque. Les peintures de la tribune sont certainement les plus anciennes, puisqu’elles sont datées de la fin du XIe siècle. Les fenêtres n’ayant été pourvues de vitraux qu’à partir du XIXe siècle, elles sont aujourd’hui assez dégradées. Toutes ces œuvres évoquent des scènes de l’Ancien Testament, essentiellement tirées des deux premiers livres du Pentateuque, la Genèse et l’Exode. À l’entrée, en plus de quelques prophètes, une Vierge en majesté est portraiturée, aux côtés de figures de donateurs, datant de la fin du XIIe siècle. Les figures sont dynamiques, les personnes en mouvement. Les têtes s’inclinent, les cous se tendent, les tailles se cambrent. La gestuelle est très appuyée, bien que les visages restent totalement impassibles. C’est ainsi que l’historien de l’art Henri Focillon parle de l’abbaye de Saint-Savin comme de la « chapelle Sixtine du Moyen-Âge français ». Les chapiteaux, très typiques du Poitou, ressemblent fort à ceux que l’on trouve à Sainte Radegonde, à Poitiers.

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Les actuelles stalles, travaillées en bois de chêne, datent du XVIIe siècle. Les chapelles du bras nord sont dédiées aux archanges, tandis que celles du bras sud sont vouées aux apôtres. Autrefois, le transept était également peint. Les deux saints patrons de l’abbatiale sont représentés par deux fois aux places d’honneur, sous forme de grandes statues en pied : dans le chœur, de part et d’autre du Christ, et dans la chapelle absidiale, près de la Vierge.

N’ayant pas résisté aux ravages causés par les Guerres de Religion, les bâtiments conventuels d’origine ne sont pas parvenus jusqu’à nous. Ceux que l’on peut admirer aujourd’hui datent de la restauration entreprise par les moines de Saint-Maur au XVIIe siècle.

Enfin, le logement de l’abbé, devenu bien national lors de la Révolution, est racheté en 1892 par l’inventeur du monte-charge hydraulique, Félix Léon Edoux. Il y installe l’un des premiers ascenseurs privés de France.

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