<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’Allemagne divisée

11 juillet 2025

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L’Allemagne divisée

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La partition de l’Allemagne est encore visible. Politique, sociologie, culture, beaucoup de choses continuent de séparer l’Est et l’Ouest

À propos de Steffen Mau : Ungleich vereint. Warum der Osten anders bleibt (Réunifiés mais inégaux. Pourquoi l’Est reste différent, non traduit), Berlin, Suhrkamp, 2024.

Article paru dans le N°57 de Conflits. 

Deux pays dans un seul ? La réunification allemande en 1990 devait aboutir à la fusion de l’ancienne RDA dans l’Allemagne occidentale et à une Allemagne unie économiquement, socialement, politiquement, et aussi dans les mentalités. Trente-cinq ans plus tard, la carte des élections au Bundestag en février 2025 montre clairement la différence entre les « nouveaux Länder » de l’Est et l’ouest de l’Allemagne. Le socio-politologue Steffen Mau, originaire de la RDA, analyse les raisons de cette particularité qui étonne ou inquiète souvent à l’Ouest. Son travail scientifique à base de statistiques et d’enquêtes sociales et d’opinion a aussi un but politique. Dans un ouvrage récent (2021), il dénonçait la réinvention insidieuse des frontières sur un mode discriminatoire à l’heure de la mondialisation et des technologies nouvelles. Ici, il propose, à partir de son constat d’une identité durable de l’Est de l’Allemagne, les moyens qu’il estime appropriés pour enrayer l’essor du vote du parti nationaliste populiste AfD.

L’auteur explique que l’Est de l’Allemagne a été marqué, comme l’ensemble de l’ex-bloc soviétique, par l’expérience du communisme et la domination soviétique, qui y ont laissé un héritage différent de celui de l’Ouest, perçu négativement ou positivement par l’Est. L’ancien parti État SED a un successeur, Die Linke, dépassé aujourd’hui par l’AfD comme représentant de l’Ostdeutsche Identität. L’État socialiste verrouillé vis-à-vis de l’Ouest a laissé les valeurs de justice sociale, d’égalité (homme-femme), mais aussi de conservatisme sociétal et de sécurité publique, de traditions et de patriotisme. De la domination soviétique, il résulte actuellement à la fois le rejet du joug d’une superpuissance et une proximité morale et culturelle avec la Russie. La résilience face à l’autoritarisme et au totalitarisme du régime a façonné une autonomisation de la sphère privée, familiale et amicale en partie effacée à l’Ouest par le libéralisme économique et les évolutions sociétales des dernières décennies. L’irruption des partis de la RFA, faiblement enracinés, a laissé un vaste espace pour la greffe et l’enracinement de l’AfD sur le plan local et la participation active aux municipalités, assemblées intermédiaires et parlements régionaux, mais pas aux gouvernements (fédéral ni régionaux) en raison du « mur coupe-feu » toujours en vigueur qui empêche l’AfD de participer à des coalitions, même dans les Länder où il est le premier parti.

À lire aussi : L’Allemagne est-elle réunifiée ?

La RFA n’a pas connu depuis 1945 de phénomène comparable à la révolution de 1989, venue d’en bas contre le pouvoir d’en haut, pacifique, échappant aux partis, et victorieuse, facteur du sentiment de supériorité de l’Est par rapport à l’Ouest (Wir sind das Volk), ni l’équivalent des traumatismes de la réunification de 1990 (fusion à marche forcée, déclassement économique et social, exode massif et déficit démographique, qui ont produit des sentiments de dévalorisation, de marginalisation ou d’abandon) : Wir sind der Osten. La référence à l’Ouest (norme, tutelle, colonisation, exploitation, couche dirigeante et donneur de leçons) a ainsi créé un fort sentiment d’identité face à l’Ouest (sans jamais toutefois produire de tendances sécessionnistes), car l’Est est trop dépendant de l’Ouest politiquement et économiquement, et l’Ostdeutsche Identität est une forme d’identité nationale allemande autre.

Pour faire reculer l’identité de l’Est comme bloc homogène, Steffen Mau compte sur une régionalisation qui la fragmenterait. Pour faire reculer le populisme de droite, il préconise les conseils de citoyens qui aboutiraient à des consensus débarrassés des émotions, mais rejette la démocratie directe par le référendum qui opprime les minorités et reste attaché à l’isolement de l’AfD. Mais seulement en complément de la démocratie parlementaire et de l’État de droit à contre-pouvoirs adhérant au même système de valeurs en vigueur en RFA depuis 1949.

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À propos de l’auteur
Thierry Buron

Thierry Buron

Ancien élève à l’ENS-Ulm (1968-1972), agrégé d’histoire (1971), il a enseigné à l’Université de Nantes (1976-2013) et à IPesup-Prepasup. Pensionnaire à l’Institut für Europaeische Geschichte (Mayence) en 1972-1973. Il a effectué des recherches d’archives en RFA et RDA sur la république de Weimar. Il est spécialisé dans l’histoire et la géopolitique de l’Allemagne et de l’Europe centre-orientale au XXe siècle.

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