L’Arabie saoudite dévoile ses ambitions dans l’hydrogène

12 avril 2022

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Photo : Construction de l'usine nucléaire de Barakah. c : Wikiemirati
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L’Arabie saoudite dévoile ses ambitions dans l’hydrogène

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Le Royaume saoudien a récemment débuté la construction de sa première unité de production d’hydrogène vert[1]. Ce projet, qui porte le nom d’Hélios, développé par un consortium américano-saoudien, permet aux autorités saoudiennes de dévoiler leurs ambitions dans l’hydrogène, afin de devenir rapidement l’un des plus gros producteurs au monde. Cette volonté sert deux objectifs pour l’Arabie saoudite : rester un leader de premier plan sur la scène énergétique mondial et produire une énergie plus verte et décarbonée pour répondre aux enjeux climatiques. Toutefois, ce projet n’est pas le premier, l’Arabie saoudite étant déjà un exportateur d’hydrogène bleu[2].

Les ambitions en matière d’hydrogène sont apparues avec la Vision 2030 et la nécessité pour le Royaume de diversifier son mix énergétique. Toutefois, l’hydrogène bleu n’a pas pour vocation à être utilisé sur le marché intérieur, et devrait servir aux autorités saoudiennes pour l’export et, de facto, rester un pays essentiel et incontournable dans la chaine logistique mondiale de l’énergie.

Les premières ambitions se sont focalisées sur l’hydrogène bleu, fabriqué à partir d’énergies fossiles, mais dont le procédé capture les GES émient pendant la fabrication, pour qu’ils soient réutilisés dans l’industrie lourde ou stockée. Le Royaume compte utiliser ses gigantesques réserves gazières, encore largement inexploitées, pour produire un hydrogène bleu bon marché et facilement exportable.

Une ambition qui s’est concrétisée avec la Vision 2030. Premier objectif : l’hydrogène bleu

Si la stratégie pour le développement de l’hydrogène bleu n’est pas encore précisément définie, l’agenda et des objectifs précis doivent être annoncés prochainement par les autorités saoudiennes, quelques informations générales sont disponibles comme la volonté d’atteindre une production de 4 millions/tonnes d’hydrogène d’ici à 2035. Ce chiffre inclut d’autres types d’hydrogène sans que l’on ne sache précisément la ventilation. Pour atteindre ces objectifs ambitieux, le Royaume s’appuie sur le développement du champ gazier Al Jafurah, dans la province est du pays, qui détiendrait des réserves de l’ordre de 5.7 milliards de mètres cubes. La Saudi Aramco prévoit d’y investir 110 Mds USD d’ici à 2024, date à laquelle l’extraction doit débuter.

Via ce développement massif d’infrastructures adéquates, les autorités saoudiennes comptent acquérir le plus de parts de marché possible pour l’hydrogène bleu, sous la forme d’ammoniaque. Une manière de se positionner rapidement sur un marché en pleine ébullition et de rester dans le centre de l’échiquier mondial sur les questions énergétiques.  Une stratégie qui semble montrer ses premiers succès. En septembre 2020, la Saudi Aramco a expédié ses premières 40 tonnes d’ammoniaque bleu au Japon. Une démonstration qui fut une première mondiale, avec la capacité de produire et de transporter, par voie maritime, de l’ammoniaque bleu. Une preuve que la chaine logistique mondiale de l’énergie peut réaliser un tel défi technique, à un prix compétitif avec un cout de production compris entre 4.66/4.80 USD par kg.

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Une destination qui n’est pas non plus dénuée d’intérêts géopolitiques, le Japon ayant un besoin pressant de décarboner son mix énergétique, suite à sa décision de renoncer à l’énergie atomique après l’accident de Fukushima en 2011, ainsi que de fermer ses 22 centrales thermiques à charbon pour réduire ses émissions de GES. Les autorités japonaises ont opté pour l’hydrogène bleu pour décarboner leur mix électrique ainsi que pour le secteur des transports, et l’Arabie saoudite, avec ses ambitions colossales en la matière, pourrait devenir un fournisseur de premier plan pour l’archipel nippon. De quoi sécuriser ses exportations vers une économie développée fortement consommatrice d’énergie.

Le géant Saudi Aramco a également signé un MoU avec l’entreprise sud-coréenne Hyundai Oil Bank Company, visant à envoyer du GPL (Gaz de pétrole liquéfié) saoudien en Corée du Sud, qui sera ensuite transformé en Hydrogène bleu, pour répondre aux besoins du marché domestique coréen. Le CO2 émis dans le processus sera ensuite réexpédié en Arabie saoudite, pour être stocké et/ou réutilisé dans l’industrie pétrochimique locale. Pour l’instant cette collaboration ne s’est pas encore concrétisée, mais l’enjeu est de taille pour les autorités saoudiennes, qui voient dans ce type de coopération l’occasion de sécuriser ses exportations d’hydrogène bleu vers le marché asiatique en pleine croissance.

Dans la décennie à venir, les autorités saoudiennes comptent utiliser le levier du gaz naturel (dont les ressources en interne sont colossales et les couts d’extraction sont faibles) pour produire d’importantes quantités d’hydrogène bleu à cout modéré, solution imparable pour acquérir rapidement des parts de marché. Pour profiter davantage du potentiel de l’hydrogène, l’Arabie saoudite a récemment manifesté son intérêt pour l’hydrogène vert.

L’hydrogène vert : une ambition plus récente qui vient en renfort

 

L’Arabie saoudite, en plus de détenir d’immenses réserves d’hydrocarbures, dispose d’un ensoleillement parmi les plus élevé de la planète. C’est particulièrement vrai pour la région Nord-Ouest, sur les rives de la mer Rouge, à laquelle s’ajoute une force du vent quasiment ininterrompue.  De fait, un consortium américano-saoudien, composé du géant américain Air Products et du fleuron national saoudien Acwa Power, a signé en 2020 un accord, avec la ville future de Neom, pour le développement d’une usine de production d’hydrogène vert[3].

La construction de cette usine a débuté mi-mars 2022, pour un début des opérations prévu en 2025. Cette usine, d’une valeur de 5 Mds USD, qui sera, une fois opérationnelle, la plus grande au monde de ce type, devrait produire 1.2 millions de tonnes d’hydrogène vert chaque année, qui seront principalement destinées à l’export, à destination des marchés européens et nord-américains, étant donné la proximité du site avec le canal de Suez. Pour produire l’hydrogène, l’énergie utilisée sera de source renouvelable, avec une capacité prévue de 4.3 GW, utilisant l’énergie solaire dans la journée et l’énergie éolienne la nuit, afin d’éviter le recours aux batteries, onéreuses et souvent peu efficaces.

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Avec la baisse constante des prix de l’électricité d’origine renouvelable, l’hydrogène vert est aujourd’hui plus compétitif à produire en Arabie saoudite que l’hydrogène bleu. Le cout de production d’un kilogramme d’hydrogène vert dans le Royaume est d’environ 3.23 USD, contre environ 4.7 USD/kg pour son homologue bleu. Dans les Pays du Golfe, seul le Qatar peut rivaliser avec un cout de 2.62 USD/kg pour l’hydrogène vert. Mais la stratégie qatarie se focalise plutôt sur une production massive d’hydrogène gris[4], le petit émirat disposant d’importantes réserves gazières déjà en exploitation. L’Arabie saoudite, pour verdir sa production énergétique, semble avoir renoncé à l’hydrogène gris, ce qui apparait comme un geste vis-à-vis de l’accord de Paris de la COP 21.

L’hydrogène vert s’inscrit comme une manière de valoriser la production d’électricité d’origine renouvelable, pour capitaliser sur les faibles couts du solaire et de l’éolien dans le Royaume. Si la majorité de la production sera destinée à l’export, les autorités saoudiennes envisagent sérieusement d’utiliser une partie de cette production en interne. Plusieurs coopérations sont actuellement en cours, pour utiliser cet hydrogène vert dans le secteur des transports, dont l’une entre la Saudi Aramco et l’entreprise française Gaussin. Cet accord, signé fin 2021, devrait permettre à Gaussin d’ouvrir une unité de production de véhicules carburant à l’hydrogène vert en Arabie saoudite. La première étape permettra de réaliser une étude de faisabilité pour ce projet, ainsi que pour un système de distribution d’hydrogène vert. L’Arabie saoudite considère la solution de l’hydrogène vert comme centrale pour décarboner la mobilité et la Saudi Aramco a inauguré sa première station à hydrogène courant 2019, pour répondre à cette ambition.

Une volonté de rester un leader du marché mondial de l’énergie

 

Via cette stratégie ambitieuse pour le développement de l’hydrogène bleu et vert, l’Arabie saoudite entend rester en tête de course dans le marché mondial de l’énergie.

Toutefois cette ambition se heurte encore à quelques difficultés, avec un marché mondial de l’hydrogène encore en consolidation avec peu de producteurs et une demande qui peine à décoller. Même si les perspectives sur les prévisions de la demande en hydrogène sont encourageantes d’ici à 2050, le déploiement rapide et massif d’unités de production est encore un obstacle majeur à la généralisation de cette source d’énergie.  De plus, la technologie utilisée en Arabie saoudite n’est pas le fruit de la R&D locale, encore inexistante sur cette question. La coopération avec le Japon et la Corée du Sud a justement pour objectif d’acquérir un savoir-faire encore inexistant ainsi que de poser les jalons pour des débouchés a l’export.

Sur ce dernier point, la stratégie d’export de l’hydrogène saoudien suit la même feuille de route que les actuelles exportations d’hydrocarbures, à grande majorité vers l’Asie (la Chine est le premier importateur de pétrole saoudien). Une manière pour les autorités saoudiennes de miser sur une région du monde où la croissance de la demande en énergie est forte et devrait se poursuivre dans les décennies à venir.

Sur le plus long terme, l’Arabie saoudite envisage même de produire de l’hydrogène jaune[5], mais cette ambition est corrélée à la réussite du programme nucléaire civil, actuellement en cours de discussion. Le voisin émirien dispose d’une longueur d’avance dans ce domaine, avec la centrale nucléaire de Barakah, dont 2 des 4 tranches sont en service et produisent de l’électricité décarbonée. Une avancée qui pourrait permettre aux EAU de devenir le leader régional sur ce type d’hydrogène, des programmes de coopérations pour étudier la faisabilité de la production étant déjà en cours avec plusieurs pays.

L’Arabie saoudite dispose de leviers considérables pour devenir un gros producteur d’hydrogène propre, d’immenses réserves gazières encore quasiment intouchées, un taux d’ensoleillement record, de l’espace pour installer des capacités de production d’électricité renouvelable, mais aussi d’anciens puits de pétrole déplétés pour stocker les GES émient lors de la production d’hydrogène bleu. La réussite du développement de l’hydrogène dépendra surtout de l’acquisition de la technologie nécessaire et des coopérations internationales pour s’assurer des débouchés à l’export.

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Olivier Pasquier est salarié d’Électricité de France S.A. « EDF ». La présentation des documents dans cet article n’implique pas l’expression d’une quelconque opinion de la part d’EDF. La responsabilité des opinions exprimées par Olivier dans ses articles, études et autres contributions lui appartient exclusivement, et la publication ne constitue pas un endossement par EDF des opinions qui y sont exprimées. Faits et opinions dans les articles présentés par Olivier ne sont que des déclarations personnelles. Olivier est seul responsable de tout le contenu de ses articles, y compris l’exactitude des faits, des déclarations, des ressources et ainsi de suite. EDF décline toute responsabilité en cas de violation des droits des autres parties ou de tout dommage résultant de l’utilisation ou de l’application du contenu des articles d’Olivier

[1] L’hydrogène vert est fabriqué par électrolyse de l’eau à partir d’électricité provenant uniquement d’énergie renouvelable.

[2] L’hydrogène bleu est fabriqué de la même manière que l’hydrogène gris, à la différence que le CO2 émis lors de la fabrication sera capté pour être réutilisé ou stocké.

[3] Cette usine produire de l’hydrogène vert à partir d’ammoniaque.

[4] L’hydrogène gris est fabriqué par procédés thermochimiques avec comme matières premières des sources fossiles (charbon ou gaz naturel)

[5] L’hydrogène jaune, est fabriqué par électrolyse comme l’hydrogène vert, mais l’électricité provient essentiellement de l’énergie nucléaire. 

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Olivier Pasquier

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