<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Le Liban face à la loi géopolitique du différentiel

16 mars 2025

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Le Liban face à la loi géopolitique du différentiel

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L’histoire récente du Liban ne peut se comprendre en omettant les évolutions démographiques du pays. La répartition politique reposant sur un partage communautaire, toute évolution démographique a des conséquences politiques majeures.

Article paru dans le no56 – Trump renverse la table

Le différentiel dans la dynamique du mouvement naturel des populations exerce des effets géopolitiques. L’histoire livre de nombreux exemples, comme celui du Parlement français votant, en 1913, une loi allongeant à trois ans le service militaire afin d’aligner, si besoin, suffisamment de soldats face à une Allemagne dont la croissance démographique des décennies précédentes a été beaucoup plus élevée.

Cette loi du différentiel s’exerce également à l’intérieur des pays, engendrant alors des conséquences en géopolitique interne, par exemple au Liban, un pays pluriconfessionnel dont l’article 9 de la Constitution de 1926 reconnaît aux différentes communautés religieuses une liberté totale de culte et leur accorde le droit de régir leur statut personnel par des lois particulières. Le recensement de 1932 demeure fondamental, faute de recensement depuis. Il indiquait alors que sur 794 000 habitants, le Liban comptait 228 000 maronites (28,7 %), 169 000 autres chrétiens (21,3 %), 178 000 sunnites (22,4 %), 185 000 chiites (19,5 %), 53 000 druzes (6,7 %), 3 600 juifs (0,5 %) et 6 400 autres (0,8 %). Ces données sont au cœur de la solution institutionnelle mise en place en 1943 avec un pacte national, partie non écrite de la Constitution libanaise, précisant que le président de la République est un membre de la communauté chrétienne la plus nombreuse, les maronites, le chef du gouvernement, un membre de la communauté musulmane la plus nombreuse, les sunnites, et le président de la Chambre des députés un membre de la troisième communauté la plus nombreuse, les musulmans chiites.

Depuis, ce que l’on estime de la géographie des Libanais ayant la nationalité du pays et de celle de leur natalité permet de subodorer d’importants changements, même s’il n’est pas possible d’en donner une quantification parfaite. Un double basculement s’est opéré. D’abord, la fécondité des confessions chrétiennes a été moindre que celle des confessions musulmanes et ce phénomène a été d’ailleurs l’un des moteurs de la guerre civile (1974-1990). Complété par la plus forte émigration des chrétiens tant dans la période de guerre civile que depuis, il a pour conséquence un poids démographique relatif des chrétiens qui s’est réduit au profit des musulmans.

Cette évolution a été actée par les accords de Taëf de 1989 destinés à mettre fin à la guerre civile. En effet, auparavant, sur les 99 sièges de la Chambre des députés, 53 revenaient aux chrétiens, dont 30 aux maronites, et 45 aux musulmans. En application de ces accords, les chrétiens ont perdu leur majorité, le nombre de députés au Parlement unicaméral a été porté à 128 avec 64 pour les chrétiens et 64 pour les musulmans.

Un second différentiel s’est opéré au sein de la population musulmane. En effet, toujours selon le recensement de 1932, les sunnites étaient plus nombreux que les chiites et, en conséquence, le pacte national de 1943 s’accorde sur 20 députés sunnites et 19 chiites, 6 allant aux druzes. Or, depuis, la fécondité des chiites a été supérieure à celle des sunnites, dans un contexte où l’effet des flux migratoires externes sur ces confessions a été globalement nul. À Taëf, la décision de porter le nombre de députés des chiites au même niveau que celui des sunnites, soit 27, a été prise. Mais les chiites peuvent aussi considérer que leur place s’est davantage accrue, puisqu’un quota de deux députés au lieu de zéro a été décidé pour la communauté alaouite.

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La dynamique démographique plus grande des chiites a favorisé d’autres éléments géopolitiques. Dès que le Hezbollah s’est constitué en 1982 avec l’appui de l’Iran, il n’a pas manqué de ressources humaines. L’importance de ces dernières a aussi été mise en évidence par l’aide apportée au régime syrien de Bachar al-Assad de 2011 à 2024. De même, dès que le Hezbollah, en 1992, a décidé de s’impliquer également dans les institutions politiques libanaises, en présentant des candidats au Parlement, il n’a pas manqué d’électeurs et obtenu des députés, puis, à compter de 2005, des ministres dans différents gouvernements.

Ainsi, l’évolution géopolitique interne du Liban ne peut être comprise sans considérer les différentiels de dynamiques démographiques selon les confessions.

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Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

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