Le Manifeste d’Unabomber : un document exceptionnel pour comprendre le terrorisme

6 octobre 2023

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Theodore Kaczynski en tant que professeur assistant à l'université de Californie à Berkeley en 1967. Crédit : George Bergman, Wikimedia commons
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Le Manifeste d’Unabomber : un document exceptionnel pour comprendre le terrorisme

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Le manifeste Unabomber est un document exceptionnel pour comprendre le fonctionnement et les ressorts du terrorisme. Cas unique dans l’histoire du fait terroriste, il éclaire les modes de pensée et d’action des terroristes. 

« Pour que notre message ait quelque chance d’avoir un effet durable, nous avons été obligés de tuer des gens ». Théodore Kaczinski

L’analyse des productions textuelles des individus et/ou groupes qui recourent au terrorisme sous forme de communiqués, entrevues, mémoires, etc. fait partie depuis longtemps des démarches habituelles des chercheurs en études sur le terrorisme1. Il est cependant rare que l’on dispose d’un document aussi éclairant que le Manifeste d’Unabomber2. Commençons donc par le situer dans son contexte.

Son auteur, Theodore Kaczynsi (1942-2023) est un mathématicien nord-américain qui après avoir enseigné un temps à Berkeley part en 1971 vivre dans une cabane isolée dans le Montana. Entre 1978 et 1995, il dépose ou envoie 16 bombes qui font trois morts et 23 blessés3. Ses cibles sont des individus et des lieux considérés représentatifs de la société industrielle et de la science que la sous-tend. Ainsi, il s’attaque notamment à des universitaires (spécialement dans les domaines de l’informatique et de la génétique), et à des cadres de l’aviation civile, ce qui lui vaut d’être désigné par le FBI « Unabomber » en référence à university et aviation. En 1995, il exige, comme condition pour cesser ses attaques, que son Manifeste soit publié dans deux journaux à grand tirage. C’est ainsi que le New York Times et le Washington Post publient son texte le 19 septembre 1995, dont le contenu permettra son identification par son frère qui en fera part aux autorités. Il a été arrêté en 1996 et condamné à une peine d’emprisonnement à vie.

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Un texte riche en enseignements

Le Manifeste d’Unabomber a suscité relativement peu d’études spécialisées en anglais4, et aucune en français. Une lecture attentive de ce document contribue pourtant à la réflexion sur trois axes de recherche importants pour les études sur le terrorisme.

D’abord, ce Manifeste constitue une formulation cohérente des griefs qu’une partie de l’environnementalisme radical adresse à la modernité industrielle et aux conséquences liberticides de son développement. En montrant, par ailleurs, les impasses du réformisme (notamment gauchiste), Kaczynski ouvre la voie à des perspectives et a des pratiques révolutionnaires violentes, en évidente relation avec l’écoterrorisme qui a pris un essor remarquable durant la période de sa campagne d’attentats et qui se poursuit de nos jours.

Ensuite, et en rapport direct avec le point antérieur, ce texte permet d’approfondir la question de l’interaction entre une idéologie et le passage à l’acte terroriste. Et, ici, l’aspect communicationnel du terrorisme est clairement assumé, notamment dans la citation que nous avons reproduite en exergue de cet article. À cet égard on peut dire qu’en une phrase Unabomber nous livre la logique interne de l’acte terroriste : tuer (et/ou blesser ou détruire) pour transmettre un message le plus efficacement possible.

Enfin, la question du choix des cibles, c’est-à-dire la relation entre la motivation de l’acteur terroriste et ses victimes, trouve ici une illustration remarquable. On sait que le terrorisme se caractérise par la sélection de victimes à l’identité vectorielle (la plus apte à servir à la transmission des messages)5, et le cas d’Unabomber en fournit une remarquable confirmation empirique.

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1 Voir, par exemple, Bonnie Cordes, « When Terrorists Do the Talking : Reflections on Terrorist Literature », in : David Rapoport (Ed.), Inside Terrorist Organisations, Frank Cass, London-Portland, 2001, 150-171.

2 Traduction française : Theodore Kaczynski, La société industrielle et son avenir, Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, Paris, 1998.

3 Voir l’entrée « Unabomber » dans : Gus Martin (Ed.), The Sage Encyclopedia of Terrorism, 2nd Ed., Sage, Los Angeles, 2011, 602-604.

4 Parmi les plus intéressantes : Brett A. Barnett, « 20 Years Later : A Look Back at the Unabomber Manifesto », Perspectives on Terrorism, Vol. 9, N° 6, 2015, 60-71.

5 Voir notamment : Daniel Dory ; Jean-Baptiste Noé, (Dirs.), Le Complexe Terroriste, VA Éditions, Versailles, 2022, p. 13. 

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À propos de l’auteur
Daniel Dory

Daniel Dory

Daniel Dory. Chercheur et consultant en analyse géopolitique du terrorisme. A notamment été Maître de Conférences HDR à l’Université de La Rochelle et vice-ministre à l’aménagement du territoire du gouvernement bolivien. Membre du Comité Scientifique de Conflits.
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