<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Les camisards et la guerre des Cévennes (1702-1704)

31 mai 2025

Temps de lecture : 9 minutes

Photo :

Abonnement Conflits

Les camisards et la guerre des Cévennes (1702-1704)

par

Plus d’un siècle après la fin des guerres de Religion, la guerre des Cévennes s’impose comme un conflit d’un genre en partie nouveau, d’une plus grande complexité, et qui met en difficulté le royaume de France.

Article paru dans le no56 – Trump renverse la table

« Ces fanatiques, Monsieur, sont présentement tous les huguenots d’autrefois qui sont ces Nouveau Convertis de la campagne séduits par des gens qui se disent prophètes, qui prêchent la délivrance d’Israël, qui soufflent le Saint-Esprit aux garçons et aux filles, et leur apprennent un jargon et des contorsions extraordinaires, et qui se croient inspirés de tuer les prêtres et les catholiques, et de faire la guerre au roi jusqu’à ce qu’il leur laisse rebâtir leurs temples et pratiquer librement leur religion. […] Cette guerre n’est pas comme les autres ; ces fanatiques ne sont, à la vérité, que des paysans ramassés et partagés entre diverses troupes nombreuses, mais ils ne laissent pas d’être disciplinés à leur manière. Leur férocité leur sert de courage, et ils ne craignent pas la mort parce qu’ils savent bien qu’ils l’ont méritée. »

Sombre tableau que celui livré par Esprit Fléchier, évêque de Nîmes, dans cette lettre datée du 25 avril 1703. Le prédicateur décrit ainsi la guerre en cours dans les Cévennes voisines, avec une franche hostilité et un certain mépris, mais aussi une forme de reconnaissance de la vaillance des insurgés, apparemment portés par une foi aveugle. Ces camisards, comme on les appelle, luttent pour leur liberté de conscience perdue.

Les Cévennes à l’heure des prophètes

Terres largement gagnées par la Réforme, les Cévennes sont, à l’époque moderne, un grand bastion des huguenots. Ainsi nomme-t-on les protestants du royaume de France, dont la foi fut officiellement tolérée à compter de la signature en 1598 de l’édit de Nantes. Par ce texte, Henri IV mit un terme aux guerres de Religion du xvie siècle.

Lorsque, en 1685, Louis XIV révoque l’édit mis en place par son grand-père, la région est dans le collimateur royal. Après la soumission d’autres provinces du royaume aux dragonnades, logements forcés des gens de guerre encouragés à faire usage de violence sur leurs hôtes huguenots pour les pousser à l’abjuration, les Cévenols semblent, quand vient leur tour, céder avec une facilité déconcertante. À l’automne, informés des brutalités vécues par leurs coreligionnaires, beaucoup signent les actes de conversion avant même l’entrée des soldats dans leurs villes. Aux pasteurs est laissé le choix entre la conversion et l’exil. En apparence, la « R. P. R. », ou religion prétendument réformée, s’effondre et perd, aux Cévennes, de nombreux fidèles, et les intendants locaux peuvent fièrement rendre compte au roi de leurs succès.

À lire aussi : Podcast. Le Régent, successeur de Louis XIV. Alexandre Dupilet

Pourtant, s’il est contraint à la clandestinité, le protestantisme ne disparaît pas des vallées cévenoles. Dès octobre 1685 se tiennent des assemblées de « nouveaux convertis », restés huguenots dans leurs cœurs. Faute de temples, elles se tiennent en plein air. Faute de pasteurs, elles sont animées par des laïcs qui prêchent, chantent des psaumes et baptisent. Face à ce phénomène, est signée en 1686 une déclaration royale prévoyant la mort pour leurs organisateurs et la prison ou les galères pour les participants : les condamnés ne sont pas rares.

Persécutés et contraints à la clandestinité, ces irréductibles protestants se voient comme le peuple juif traversant le désert après l’exode, et leurs assemblées sont connues comme les assemblées du désert. Certains s’y rendent armés. Ils sont encouragés à distance par Pierre Jurieu, théologien calviniste exilé en Hollande dont l’ouvrage L’accomplissement des prophéties, qui circule dans les Cévennes, voit dans la persécution en cours le début de l’Apocalypse, annonçant le règne millénaire du Christ.

Autre signe de cette imminence : le prophétisme, qui gagne les Cévennes à la fin des années 1680 après être apparu dans le Dauphiné. Ici et là, des enfants et adolescents semblent, dans un demi-sommeil, être pris de convulsions et prêcher, dans un français parfait dont ils ne sont pourtant pas toujours locuteurs, la bonne parole protestante, tout en critiquant avec une certaine érudition la théologie catholique. Pour beaucoup, ces jeunes gens sont inspirés, le Saint-Esprit parle à travers eux. Certains sont arrêtés. L’Église du désert, dépourvue de structure depuis la fin des pasteurs, trouve en ces prophètes des figures charismatiques.

Le prophétisme atteint son apogée dans les premières années du xviiie siècle. Intendants et officiers s’inquiètent d’un potentiel ennemi intérieur, à l’heure où la France entre dans la guerre de Succession d’Espagne, qui l’oppose notamment au Saint-Empire et à la Grande-Bretagne. En juin 1702, de nuit, une assemblée de 250 fidèles est réprimée dans la vallée de la Cèze, entre tirs sur la foule, arrestations et condamnations. Parmi les morts, un prophète. Le mois suivant, un dénommé Abraham Mazel est pris d’une inspiration lui commandant d’aller libérer de jeunes protestants détenus par François de Langlade, abbé du Chayla. S’ensuit une expédition armée menée par une soixantaine de personnes, qui aboutit au meurtre de l’abbé. Trois des auteurs sont arrêtés. Ainsi est lancée l’escalade militaire.

Les camisards, « meilleurs soldats de France »

Loin des attentes de victoire royale rapide, les hostilités durent plus de deux ans. En apparence, les révoltés, qui réclament un rétablissement de la liberté de conscience, ont tout pour perdre. Il s’agit de jeunes paysans et artisans qui s’équipent comme ils le peuvent, portant de simples chemises (ou camisa en occitan, d’où la dénomination de camisards) et sans entraînement militaire. Ils semblent suivre les inspirations prophétiques de leurs chefs, qui ne sont pas, au contraire des meneurs des guerres de Religion précédentes, des nobles d’épée formés à la tactique et à la stratégie.

À lire aussi : Histoire et mémoires. La Documentation photographique

Pourtant, c’est justement là leur force : les camisards, bande armée populaire, mènent les hostilités comme ils l’entendent, s’appuyant sur l’asymétrie, la mobilité et une maîtrise sans faille du terrain, loin des principes de la guerre réglée maîtrisée par leurs ennemis. En un mot, ils mènent des opérations de petite guerre. Les révoltés, dont plus de la moitié a moins de 25 ans, dépassent rarement le millier à un instant T et forment plusieurs troupes allant de quelques dizaines à plusieurs centaines d’hommes, chacune menée par un chef.

Parmi ceux-là, Jean Cavalier, boulanger âgé d’à peine 20 ans, fait ses preuves. À compter de septembre 1702, sa troupe se livre, ainsi que les autres, à des embuscades, incendies d’églises, massacres, raids sur des villes, villages et châteaux où elle s’empare des armes, se déguisant parfois en troupes royales. Les hommes de Cavalier ne se déplacent que de nuit et paient même des soldats ennemis à prix d’or pour obtenir de la poudre. Quoique inspiré, Cavalier ne part jamais au combat tête baissée, prévoyant des chemins de repli à travers la région qu’il connaît bien et faisant régner la discipline parmi ses hommes. Il se plie aux logiques d’une véritable guerre de partisans, loin d’être le fanatique dépeint par l’ennemi.

La veille de Noël 1702, une troupe de plusieurs centaines de soldats, menée par le gouverneur d’Alès, s’élance vers le mas de Cauvi où se trouve Cavalier avec 60 hommes. Averti, le camisard cache ses meilleurs tireurs derrière une butte et crible ainsi la cavalerie qui forme l’avant-garde ennemie. Celle-ci se débande et provoque une déroute généralisée. Parmi d’autres, cette victoire renforce la crédibilité militaire des camisards et attire dans leurs rangs. Début février 1703, un tract de propagande imprimé dans les pays opposés à la France va jusqu’à qualifier les Cévenols de « meilleurs soldats de France ».

Heurs et malheurs de la répression royale

Les troupes royales dans la région, au nombre d’environ 20 000 en 1703, ne font pas de quartier aux camisards. Face à un ennemi à la fois rebelle, protestant et non militaire, des seuils de violence sont franchis. Ces carnages auxquels se livrent régulièrement les deux camps doivent aussi au caractère accidenté du terrain, à la faiblesse des effectifs engagés, et à la nécessaire mobilité qui empêche de s’encombrer de prisonniers.

Toutefois, au vu de cette mobilité et du fait que les camisards retournent parfois labourer leurs champs au lendemain d’une opération armée, les autorités comprennent rapidement que la riposte doit se faire plus large. Ne pouvant s’en prendre spécifiquement aux seuls insurgés, qui se fondent dans la population, la répression vise celle-ci dans son entièreté. Ainsi sont ordonnées la destruction des moulins qui pourraient alimenter les camisards, des prises d’otages… et finalement, fin 1703, le « dépeuplement » et le « brûlement » des Hautes Cévennes. Proposée par l’intendant Bâville et approuvée par le roi, cette dernière décision prévoit l’évacuation de plus de 13 000 nouveaux convertis de leurs villages vers des bourgs fortifiés, avant la destruction et l’incendie de leurs maisons.

À lire aussi : Louis XIII en majesté

Sa mise en œuvre s’avère néanmoins contre-productive. Elle ne fait que rendre particulièrement impopulaire le camp royal et ainsi renforcer le soutien à l’insurrection. Les succès que remportent tant bien que mal les troupes royales sont donc ailleurs, dans certaines des batailles rangées qui ont lieu lorsqu’elles parviennent à contraindre les camisards à s’y livrer. Il en va ainsi au château de la tour de Billot en avril 1703 ou à Nages, où un officier nommé La Lande vainc Cavalier au printemps 1704. Ces victoires sont toutefois insuffisantes, aussi Louis XIV dépêche-t-il finalement dans les Cévennes un second maréchal de France, Villars, en remplacement du maréchal de Montrevel déjà sur place, pour espérer mater définitivement l’insurrection. C’est dire l’importance prise par celle-ci, alors même qu’une guerre de bien plus grande envergure fait rage aux frontières du royaume.

L’État aux prises avec des protestants… et des catholiques

Le roi n’est pas le seul à se lasser de l’incapacité des troupes régulières à l’emporter sur les révoltés. En effet, progressivement, des anciens catholiques – ainsi nommés par opposition aux nouveaux convertis – prennent les armes, formant trois milices : les partisans, les florentins et les cadets de la croix. Les troupes royales peuvent dans un premier temps y voir des auxiliaires utiles. Les partisans contribuent ainsi à des travaux de fortification, à des missions de repérage ou à des battues. De même, leur organisation en bandes, rappelant celle des camisards, se montre utile dans la confrontation avec ces derniers.

Mais les milices s’avèrent rapidement autonomes, voire incontrôlables, semblant parfois guidées davantage par la volonté de piller que par celle de vaincre l’ennemi. Pire, elles ajoutent à la confusion de la guerre. Le maréchal de Montrevel en vient à lui-même se plaindre des agissements des cadets de la croix, qui « vont égorger dans les villages des nouveaux convertis tout ce qu’ils trouvent indifféremment […] ils volent impunément partout, tuent et assassinent par merveilles ». Un témoin se livre à une analogie révélatrice sur certains d’entre eux, en novembre 1703 : « Ils s’amusent à piller par toutes les métairies que les camisars ont épargnées, on appelle ces camisars contrefaits les camisars blancs. » La gêne représentée par des bandes catholiques, qui entendaient s’opposer aux bandes protestantes, est telle qu’elles sont désormais associées à celles-ci jusque dans leur dénomination. Bâville lui-même s’y prête, parlant de « différentes troupes de cadets ou camisards blancs ».

La guerre des Cévennes entre alors dans une autre dimension : il ne s’agit plus seulement pour l’État catholique de vaincre des révoltés protestants, mais de rétablir l’ordre mis à mal par des groupes armés, protestants comme catholiques, dans une province. Les acteurs en sont pleinement conscients : un noble local, le comte de Beauregard, conseille d’« empescher absolument les atroupemens des anciens catholiques contre les nouveaux convertis, ce qui est desjà arrivé à Navacelle et plusieurs autres endroits [sic], autrement c’est la guerre civile bien ouverte ». Chamlay, proche du roi, recommande que, dans le Languedoc voisin, celui-ci prenne « garde aux anciens catholiques, car si sous pretexte de deffendre leurs personnes et leurs biens ils venoient à prendre les armes […] cela formeroit une espece de guerre civile ».

La guerre civile semble, sous ces plumes, ne pas être déjà en cours, mais à portée de main à court terme au vu des comportements des milices catholiques, dans le contexte des affrontements à l’œuvre avec les camisards. Il s’agirait donc d’une dérive potentielle d’un conflit qui ne se comprenait pas initialement comme une guerre civile. Néanmoins, les milices catholiques font finalement elles-mêmes, dans les derniers temps de la guerre, l’objet d’une répression armée, et certains éléments en sont condamnés, au même titre que les camisards, pour crime de rébellion.

À lire aussi : La répression franquiste de l’après-guerre civile : enfin une étude sérieuse et complète

D’alliées de l’État pour des raisons religieuses, elles sont devenues fauteuses de troubles dans un royaume qui entend rétablir la paix intérieure autant que l’unité religieuse. Si la cause de la guerre était d’abord religieuse, leur action en a pour partie changé la nature. Dans cette mesure précise, alors même que bandes armées protestantes et bandes armées catholiques se sont affrontées de manière symétrique, le conflit se fait finalement guerre civile, axée sur le maintien de l’ordre, plutôt que guerre de Religion.

Le soufflet retombe

Bien que maître de la guerre réglée, Villars entend pourtant vaincre les camisards par « les voyes de la douceur », autrement dit par la diplomatie. Le maréchal de France rencontre Cavalier à Nîmes en mai 1704 – les autres chefs camisards, en principe pairs de Cavalier, ne sont pas conviés.

Le camisard réclame la liberté de conscience, tout en disant sa loyauté au roi – il semble croire que ce dernier n’est pas informé de la situation des huguenots, qui serait le fait de mauvais ministres. Villars fait mine d’accepter le rétablissement de la liberté de conscience ; celle-ci n’est en réalité pas de son ressort, aussi transmet-il cette revendication à la cour qui doit trancher. En attendant, les camisards sont libres de s’installer dans la ville de Calvisson. Ils y organisent de nouvelles assemblées, pensant pouvoir bientôt pratiquer leur culte. Dans le même temps, le maréchal de France flatte Cavalier pour sa combativité et propose au jeune guerrier, qui se dit fidèle au roi, de devenir colonel dans les armées royales.

Quelle n’est pas la déception des camisards quand parvient la réponse de la cour qui, comme on pouvait s’y attendre, ne cède pas sur la liberté de conscience. Fidèle à son engagement, Cavalier part avec quelques hommes de sa troupe, la mort dans l’âme, pour combattre les Anglais. Certains des siens rejoignent les autres chefs camisards, qui n’ont pas participé aux négociations. Sans se terminer complètement – un débarquement étranger en Méditerranée, censé aider les camisards, échoue en juin et quelques combats continuent jusqu’en 1710 –, la révolte a perdu son plus grand chef et ne peut clairement plus espérer obtenir un jour la liberté de conscience.

À lire aussi : Blenheim (13 août 1704). Tonnerre sur le Danube.

Le coup de génie de Villars a été de négocier avec Cavalier d’égal à égal, comme si ce dernier était l’unique chef d’une armée régulière, de manière à fracturer le camp camisard, et comme si lui-même avait la main sur la liberté de conscience. Villars a mimé la symétrie là où persistait l’asymétrie. Celle-ci faisait la force des camisards au combat mais les dessert sur le plan diplomatique. En ne cédant pas sur la religion et en permettant seulement l’engagement d’insurgés dans ses armées, le roi fait comprendre que le pays doit rester uni sur le plan religieux comme sur le plan militaire. Autrement dit, l’heure n’est plus aux guerres de Religion et une guerre civile ne saurait s’achever que par le retour de toute la force armée du royaume entre les mains du roi.

À propos de l’auteur
Alban Wilfert

Alban Wilfert

Etudiant en Histoire et en Expertise des conflits armés, Alban Wilfert est l’auteur d’un mémoire de recherche intitulé « Le soldat et la chair. Réalités et représentations des sexualités militaires au long XVIIe siècle (1598-1715), entre viol et séduction ».

Voir aussi

Éthiopie et Érythrée, un conflit de frontière

La frontière entre l’Éthiopie et l’Érythrée a été le théâtre d’un des conflits les plus meurtriers de la fin du XXe siècle en Afrique. Si la guerre entre les deux pays a officiellement pris fin en 2000, les tensions perdurent encore. Origines du différend L’Érythrée a été annexée par...

Avis de tempête en Méditerranée orientale

Vente de missiles Meteor à la Turquie, tensions autour du gaz chypriote, la Méditerranée orientale est plus que jamais une zone de dangers. Entretien avec Leonidas Chrysanthopoulos Leonidas Chrysanthopoulos a été secrétaire général de l’Organisation de la coopération économique de la...

Les marines grecques antiques : emplois et stratégies

La Grèce s'est imposée par la mer grâce à sa supériorité maritime. Le Professeur François Lefèvre analyse l'emploi et les stratégies des marines grecques, ainsi que les évolutions tout au long de l'Antiquité. Au texte de François Lefèvre s'ajoute une mise en perspective de l'Amiral...