<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Les migrants dans les Alpes   

4 février 2025

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Les migrants dans les Alpes  

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Les immigrés clandestins empruntent à pied le col alpin de Montgenèvre, qui relie la station de ski piémontaise Cesana Torinese, à Briançon, près de la frontière franco-italienne. Cette route est extrêmement périlleuse en raison du relief escarpé et des conditions météorologiques difficiles en hiver. L’accueil des demandeurs d’asile dans les Alpes s’est sensiblement amélioré en 2024 en raison des changements opérés par l’Union européenne en ce qui concerne la politique migratoire commune. 

 Article paru dans le N55 de Conflits. Géopolitique des montagnes. 

Les guerres de Libye et de Syrie survenues en 2011 ont eu pour effet de déclencher une grave crise migratoire à partir des années 2015/2016. Les désillusions politiques et économiques à la suite des révolutions arabes, ainsi que la multiplication des conflits sur le continent africain, ont aggravé une situation déjà tendue. Le fiasco occidental en Afghanistan après vingt ans de guerre et le retour des talibans au pouvoir en 2021 l’ont rendue inextricable. L’Union européenne accueille désormais chaque année plusieurs millions d’immigrés, parmi lesquels quelque 10 % sont des immigrés clandestins. En 2022, en raison de la guerre en Ukraine, cette tendance s’est encore accentuée, le nombre de personnes ayant migré vers l’UE a atteint 5,1 millions. En 2023, le nombre de demandeurs d’asile a dépassé un million. La moitié de ces demandeurs ont obtenu le statut de réfugié.

Depuis fin 2016, en raison de la multiplication des contrôles policiers dans les Alpes-Maritimes, les immigrés clandestins arrivés en masse sur les côtes italiennes ont été contraints de trouver une autre route pour gagner la France à partir de l’Italie. Le passage par le col de Montgenèvre permet de rejoindre la ville de Briançon, située à une quinzaine de kilomètres dans le département des Hautes-Alpes.

Dans le Briançonnais, 25 000 étrangers en situation irrégulière auraient déjà emprunté cette route alpine. Mal équipées et mal informées pour affronter cet itinéraire difficile, 11 personnes sont mortes en tombant dans des ravins, alors qu’elles fuyaient les interceptions des forces de l’ordre souvent à proximité des tunnels situés sous le col de l’Échelle, un col culminant à 1 762 m sur le territoire de la commune de Névache à 6 km de l’Italie. Au fil des années, la situation s’est enkystée et la défaillance de la prise en charge humanitaire de ces flux humains par l’État est apparue au grand jour, conduisant les États concernés et l’UE à revoir leurs politiques de l’immigration et de l’asile.

La périlleuse route des Alpes

La nouvelle route des migrants s’étend sur plus de 500 km entre l’Italie et la France. Une grande partie de cet itinéraire dangereux est située à plus de 1 000 m d’altitude avec des cols abrupts et un fort enneigement. L’hiver, les températures descendent à -15 °C. Les migrants arrivent parfois en famille et se retrouvent totalement désemparés dans ce nouvel environnement. Les structures d’accueil sont le fait d’initiatives privées, les États concernés n’ayant pas pris les mesures qui s’imposaient face à une telle détresse humaine.

Dans le village piémontais d’Oulx en Italie, les migrants trouvent refuge au foyer Fraternita Massi fondé par le prêtre Luigi Chiampo. Du côté français, le refuge des Terrasses solidaires de Briançon a accueilli au fil des années des milliers de personnes. De nombreux villageois se sont mobilisés afin d’éviter que des accidents se produisent à nouveau. Cependant, il leur a souvent fallu agir dans l’illégalité. Comme le déplore le président d’Amnesty International France, Jean-Claude Samouiller, l’optique qui a prévalu, selon laquelle « zéro point de fixation, zéro appel d’air » est particulièrement fallacieux, laissant accroire à l’opinion publique que « cela va empêcher les Érythréens et les Afghans de fuir des régimes politiques effroyables ».

Un volet sécuritaire inadapté

L’enkystement de la situation en raison de l’afflux intarissable de demandeurs d’asile a montré les limites d’États tels que l’Italie à supporter sur le long terme la pression migratoire. En effet, entre octobre 2023 et octobre 2024, plus de 45 000 personnes sont venues grossir les rangs de l’immigration irrégulière dans ce pays. Une grande partie de ces personnes ont tenté le voyage vers la France, soit en se dirigeant vers Vintimille en espérant atteindre Menton, soit par la route alpine. À Vintimille, les conditions d’accueil sont difficiles et les associations locales sont débordées. Des familles dorment sous des tentes de fortune sous le pont de l’autoroute à proximité du fleuve La Roya. Comme nous avons pu le constater de visu, des bénévoles distribuent de la nourriture dans une soupe populaire installée près de la gare ferroviaire. Les gouvernements français et italien ont prévu de créer début 2025 une unité de coopération et d’échange de renseignements sur les réseaux de passeurs comme il en existe entre la France et le Royaume-Uni depuis 2020.

Outre le manque d’infrastructures pour faire face à cet afflux de personnes dans le plus grand dénuement, jusqu’en 2024, les autorités françaises les interceptaient, les retenaient dans un local attenant au bureau de la police aux frontières, puis les remettaient aux forces de sécurité italiennes. Le règlement de Dublin stipule que chaque demande d’asile doit être traitée par le premier pays d’entrée dans l’UE, en l’occurrence l’Italie.

En septembre 2023, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne a jugé illégale la pratique du refoulement instantané aux frontières. Pour rappel, l’article 33 de la Convention relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951 (Convention de Genève) interdit l’expulsion d’un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée. De plus, la politique migratoire étant une compétence partagée entre l’UE et les États européens, les décisions de Bruxelles sont ensuite retranscrites dans le droit français. « En février 2024, le Conseil d’État a cassé l’article qui permettait à l’État français de reconduire les étrangers en Italie […] En résumé, les policiers ne peuvent que laisser les migrants passer la frontière », indique BFM TV. Les personnes entrées illégalement sur le territoire français ne craignant plus d’être refoulées illégalement se présentent spontanément à la police aux frontières pour pouvoir continuer leur chemin et elles ne sont pas forcées de quitter immédiatement le pays, selon Michel Rousseau, coprésident d’une association de bénévoles d’aide humanitaire aux migrants dans le Briançonnais.

Le Pacte européen sur la migration et l’asile, annoncé dès 2019 par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, a été définitivement adopté par le Conseil de l’UE le 14 mai 2024. Il introduit un mécanisme de solidarité entre les États membres de l’UE, qui consistera notamment à relocaliser des migrants sous peine d’amendes conséquentes.

Dans ce contexte juridique et au vu de la multiplication des foyers de tension dans le monde, il est peu probable que les flux de l’immigration irrégulière se tarissent sur la route des Alpes. Et ce, en dépit des dispositions prévues en France par la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, promulguée le 26 janvier 2024. Depuis le 1er janvier 2024, 2 689 migrants se sont présentés à Montgenèvre.

À propos de l’auteur
Ana Pouvreau

Ana Pouvreau

Spécialiste des mondes russe et turc, docteure ès lettres de l’université de Paris IV-Sorbonne et diplômée de Boston University en relations internationales et études stratégiques. Éditorialiste à l’Institut FMES (Toulon). Auteure de plusieurs ouvrages de géostratégie. Auditrice de l’IHEDN.

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