<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’immigration en Italie : repli souverainiste ou réalisme politique ?

17 août 2023

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Des migrants équipés de gilets de sauvetage fournis par les volontaires de l'Ocean Viking. Jeremias Gonzalez/AP/SIPA
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L’immigration en Italie : repli souverainiste ou réalisme politique ?

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Principale porte d’entrée des migrants en Europe, l’Italie a l’impression d’être esseulée pour affronter une situation lourde et complexe. Une situation qu’elle supporte d’autant moins quand son voisin français l’accuse de ne pas en faire assez. Depuis quelques mois, le dossier migratoire est redevenu un point de discorde entre Paris et Rome. 

42 000 : c’est, selon le ministre de l’Intérieur italien, le nombre d’arrivées de migrants en Italie depuis le début de l’année. Un chiffre qui a quadruplé par rapport à 2022 sur la même période et qui pourrait largement augmenter, notamment en raison de la crise politique en Tunisie.

Du fait de sa position géographique, la péninsule italienne se trouve être la principale porte d’entrée des migrants en Europe. Au mois de mars, le naufrage d’une embarcation a coûté la vie à 79 personnes au large de Cutro. Face à une situation qui semble échapper au gouvernement, le président du Conseil des ministres, Giorga Meloni, décrétait le 11 avril dernier l’état d’urgence migratoire pour une durée de six mois. Les moyens : durcir les conditions d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile avant que ceux-ci n’obtiennent le statut de réfugié. L’objectif : souligner le caractère prioritaire de la situation.

Élue en particulier pour sa ligne dure en matière d’asile, Giorga Meloni – et ses alliés de la coalition gouvernementale que sont la Ligue de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi – surfe sur la vague de l’eurosceptiscisme et du souverainisme. Une remise en cause des fondamentaux de la politique migratoire européenne qui n’est pas sans créer des gênes parmi ses partenaires du continent.

Durcir les conditions d’accueil

Le niveau de protection des nouveaux immigrés en Italie se décline sous trois formes : le droit d’asile pour les réfugiés, la protection subsidiaire pour les cas qui ne sont pas liés à un asile politique et, depuis 2020, la protection spéciale, anciennement « humanitaire » (qui existe dans 18 pays européens et en Italie) pour les migrants en condition de santé dégradée, ou issus de pays ayant connu de grandes catastrophes.

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Le récent décret sur le contrôle de l’immigration sonne comme un retour aux mesures prises par Matteo Salvini en 2018, avec sa politique des « ports fermés ». Après les décrets de janvier à l’encontre des opérations de sauvetage en mer par les ONG, il est aujourd’hui décidé qu’un fonds de 5 millions d’euros est débloqué pour mettre en œuvre le travail du commissaire spécial à l’immigration. En l’espèce : désengorger les points d’accueil de Lampedusa et de Sicile, durcir les conditions d’accueil, rehausser les peines de trafiquants d’êtres humains et créer, à l’instar du voisin grec, de nouveaux centres de rapatriement (l’Italie en compte actuellement dix). Si le texte en lui-même se veut contraignant, ce sont les amendements qui le durcissent davantage. Il est notamment mentionné d’accélérer les procédures de renvois et de restreindre les conditions d’obtention, sans la supprimer, de la protection spéciale, à laquelle se substitueront des « protections subsidiaires ». En effet, le nombre de bénéficiaires a crû de plus de 700 % entre 2020 et 2021. Un chiffre qui témoigne de l’attractivité de cette protection et qui pousse le gouvernement à revoir à la baisse la générosité de cette politique.

Bien que Rome s’engage à améliorer les conditions d’accueil et d’intégration des réfugiés et à augmenter les quotas de travailleurs hors UE, la colère de certains voisins européens ne faiblit pas. Bien au contraire.

Quelle solidarité européenne ?

À l’instar de Silvio Berlusconi qui, en 2011, avait décrété l’état d’urgence migratoire, Giorga Meloni veut tirer la sonnette d’alarme dans le but d’alerter les autres pays européens. L’Italie se sent isolée dans une UE qu’elle accuse de manquer sinon de clairvoyance, du moins de solidarité. Certes, Rome avait bien signé le « Pacte sur la migration et l’asile » présenté par la Commission européenne le 23 septembre 2020 sur l’accueil partagé des migrants dans l’UE, la lutte contre l’immigration illégale et l’harmonisation de l’application de la politique migratoire et d’asile. Mais elle reproche aujourd’hui à Bruxelles son attentisme voire son exaspération devant la gestion italienne de la crise migratoire alors même que la situation nécessiterait des mesures conséquentes.

Prenant les devants, Meloni décide de traiter le problème à la racine. Elle s’est ainsi rendue en Libye pour discuter de la question migratoire et prôner une meilleure coopération avec les États africains, plus à même de retenir les flux.

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Semblant être prise de court, la Commission répliquait, le 24 janvier 2023, avec une nouvelle stratégie pour une politique plus efficace en matière de retours. Le texte pousse les États membres à négocier avec des pays partenaires pour qu’ils acceptent le retour d’un plus grand nombre de leurs ressortissants. Une décision qui semble s’inscrire dans la volonté de la présidente de la Commission européenne d’abolir le règlement de Dublin qui régit l’accueil des demandeurs d’asile depuis 1990 en obligeant les pays d’accueil immédiats à prendre en charge les demandeurs d’asile. Un système peu efficace et dénoncé par les États en première ligne face aux flux migratoires. Ce timide retour à l’autonomie, à défaut d’une meilleure cohésion européenne, voudrait-il dire que Rome gagnerait son pari ? Si cette stratégie possède des échos dans plusieurs États de l’est et du sud de l’Europe, le bras de fer ne fait en réalité que commencer.

Le voisin français : tensions et incompréhensions

Depuis le Traité du Quirinal du 26 novembre 2021, Paris et Rome ont officialisé leur rapprochement. Mais bien que la question migratoire soit abordée, celle-ci demeure, depuis de nombreuses années, un sujet délicat.

Secouée par la crise libyenne de 2011 dont la France a été un acteur majeur, puis en première ligne face aux flux migratoires de 2015, l’Italie pointe du doigt le manque de solidarité de son voisin français. La tension migratoire entre Paris et Rome a pris un nouveau tournant avec l’événement de Cutro, qui intervient six mois après la crise de l’Océan Viking. Le 4 mai, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin affirmait que Giorga Meloni était « incapable de régler les problèmes migratoires ». Ces propos ont eu pour effet l’annulation de la visite du chef de la diplomatie italienne. Pour calmer le jeu, le Quai d’Orsay a annoncé que « le gouvernement français souhaite travailler avec l’Italie pour faire face au défi commun que représente la hausse rapide des flux migratoires ». Et le ministre de l’Intérieur de reconnaître que « la France a trop besoin de l’Italie et l’Italie a trop besoin de la France sur tous les sujets, et singulièrement sur la question de l’immigration ». Mais l’heure ne semble pas être à la solidarité. Le sujet migratoire apparaît, en effet, comme une aubaine pour le gouvernement français. S’il permet, à l’approche des élections européennes, de s’attaquer à Meloni et, indirectement, au Rassemblement national, il permet également à M. Darmanin de détourner l’attention vers l’Italie pour éviter que l’on regarde la situation de son pays, à l’heure où le projet « immigration » du président Macron a été reporté à l’automne. L’article 4 du Traité du Quirinal mentionne pourtant que la France et l’Italie « s’engagent à soutenir une politique européenne de migration et d’asile et des politiques d’intégration fondées sur les principes de solidarité partagées entre les États membres ».

Quelles solutions Bruxelles peut-elle proposer ? Consolider Frontex ? Une réforme que beaucoup attendent, mais qui ne vient décidément pas. Renforcer la nouvelle Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA), inaugurée en janvier 2022 en remplacement de l’ancien Bureau européen d’appui en matière d’asile ? Dotée de 172 millions d’euros et d’une réserve de 500 experts, elle doit fournir un soutien opérationnel et technique et proposer des formations aux autorités des pays de l’UE. Mais qu’en est-il concrètement ? Revenir à l’Union pour la Méditerranée de Nicolas Sarkozy ? Certes, mais à l’heure des guerres civiles, libyennes et tunisiennes, cela reste au niveau du vœu pieux. L’Italie montre la voie de l’autonomie et du volontarisme dans la question migratoire et seul le temps permettra de juger de cette stratégie. Mais sans d’autres choix concrets, la politique italienne aura néanmoins le mérite de réveiller une Europe endormie en mettant en lumière ses lacunes et ses palinodies.

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À propos de l’auteur
Etienne de Floirac

Etienne de Floirac

Étienne de Floirac est journaliste
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