Nouvelle-Calédonie, Mayotte, Martinique… Les Outre-mer ont rarement occupé autant de place dans l’espace médiatique métropolitain que ces derniers mois. Cette omniprésence dans le débat public peine pourtant à se traduire dans les programmes politiques, au-delà des effets d’aubaine ou d’annonce. En escamotant les entreprises, la loi que prépare le ministre Manuel Valls sur la vie chère et les Assises sur le même sujet en Martinique n’affrontent pas les causes structurelles de cette problématique – fiscalité, coûts induits par la distance, marchés trop étroits, chômage… À deux ans de la présidentielle, alors qu’une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale sera bientôt de nouveau possible, le constat des élections de 2024 reste majoritairement valable : dans les programmes politiques, les Outre-mer sont absents, ou caricaturés.
D’importantes échéances électorales s’annoncent en France. L’élection présidentielle aura lieu dans seulement deux ans, les municipales se tiendront en 2026. Une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale sera par ailleurs de nouveau possible dès la fin du mois de juin 2025.
Absents des programmes politiques, les Outre-mer sont omniprésents dans le débat public
Lors des élections législatives de 2024, les Outre-mer étaient absents des programmes des partis politiques, à l’exception du Nouveau front populaire. L’union des partis de gauche entendait notamment faire des territoires ultramarins des « avant-postes de la planification écologique ».
Depuis, les Outre-mer ont massivement investi le débat public, au gré de crises souvent violentes : des émeutes ont embrasé la Nouvelle-Calédonie en mai 2024, le cyclone Chido a dévasté Mayotte fin 2024, en plein débat sur le droit du sol dans cette île (qui a abouti à l’adoption d’une loi durcissant ce droit, en mai 2025), des manifestations contre la vie chère ont enflammé la Martinique à l’automne 2024…
Une réponse politique plus visible
Cette pression médiatique a provoqué une timide réaction du politique, notamment depuis la nomination de François Bayrou comme premier ministre, fin 2024. L’Outre-mer dispose à nouveau d’un ministère de plein exercice (ce n’était plus le cas depuis 2022), dirigé par un Manuel Valls qui semble déterminé (ou forcé) à agir.
Les initiatives législatives à destination des territoires ultramarins se sont d’ailleurs multipliées en 2025 – une loi sur l’encadrement des loyers, adoptée définitivement en juin 2025, la mission parlementaire du 4 juin 2025 sur l’adaptation au changement climatique qui demande un traitement spécifique pour les Outre-mer, et pas moins de… trois lois contre la vie chère !
Présentées par le Parti socialiste durant ses niches parlementaires, deux propositions de loi distinctes sur le sujet ont ainsi été adoptées en première lecture, en janvier 2025 à l’Assemblée nationale et en mars 2025 au Sénat. Le ministre Manuel Valls prépare actuellement un grand projet de loi sur la vie chère dans les Outre-mer, qui devrait reprendre des éléments des deux précédents textes, quitte à les enterrer l’un comme l’autre.
Une lutte « contre la vie chère » mal adaptée ou opportuniste
La puissance publique a également ouvert des espaces de dialogue politique, comme les discussions sur le statut de la Nouvelle-Calédonie, qui peinent à aboutir et vont être relancées, ou les Assises populaires contre la vie chère, qui se sont tenues en Martinique les 13 et 14 juin 2025. Pour les partis politiques nationaux, ce sursaut masque cependant mal une simple volonté d’occuper l’espace médiatique en temps de crise, plutôt que d’agir sur les problèmes de fond.
Les Assises martiniquaises, centrées sur l’alimentation, se sont ainsi privées de la voix des entreprises, pourtant acteurs-clés du débat, et ont surtout pointé la responsabilité des distributeurs et des supposés monopoles. C’est également le cas des deux propositions de loi sur la vie chère portées par la gauche (comme ces Assises), et du projet de loi gouvernemental, qui devrait être présenté à la rentrée.
Occulter les causes profondes de la vie chère, dans une posture électoraliste
Ces textes législatifs occultent largement les causes structurelles des problèmes de pouvoir d’achat dans les Outre-mer, notamment la taille limitée des marchés et l’éloignement géographique des sources d’approvisionnement. Contrairement à une idée reçue, le marché de la distribution alimentaire n’y est pas plus monopolistique qu’en Métropole, et les marges des distributeurs y sont sensiblement identiques.
En revanche, les Outre-mer payent (cher) les surcoûts de l’importation, liés aux taxes (notamment l’octroi de mer, qui peut atteindre jusqu’à 22,5 % du prix d’un produit alimentaire en Martinique) et la multiplication des intermédiaires, ainsi que le surcoût de l’exploitation des points de vente. La production locale souffre également de charges plus élevées qu’en Métropole, induisant des prix qui le sont tout autant.
À ces causes fiscales, réglementaires et structurelles s’ajoute le fait que les revenus des populations des Outre-mer sont bien plus faibles qu’en Métropole, avec des taux de chômage et de pauvreté plus élevés. Le gouvernement se détourne majoritairement de ces problématiques et se contente de reprendre, en les adoucissant, les propositions des franges les plus violentes des émeutiers de Martinique – une posture électoraliste partagée par le parti présidentiel et ses alliés.
Une ligne idéologique partagée
Les Républicains semblent en effet sur la même ligne : le Sénat, où le parti est majoritaire, a largement adopté, en mars 2025, la proposition de loi socialiste sur la vie chère. Les partis de gauche veulent d’ailleurs aller encore plus loin dans le sens d’une régulation des entreprises locales.
Un député ultramarin du groupe LIOT s’est montré plus constructif en proposant, pour les produits de première nécessité, une exonération de la TVA et une prise en charge du fret par l’État. En réaction à la colère des Martiniquais, André Rougé, un député européen RN, a mis sur la table une réforme de la TVA locale et de l’octroi de mer. Mais ces propositions trouvent peu d’écho dans les programmes nationaux des principaux partis.
Répondre à l’émotion, pas aux problématiques de fond
Le gouvernement envisage par ailleurs d’ajouter une dose de proportionnelle aux prochaines élections législatives. Cette décision pourrait réduire le nombre des députés de terrain, connaisseurs de la réalité concrète des Outre-mer, au profit de membres de listes nationales. La capacité des ultramarins à se faire entendre à l’Assemblée nationale pourrait ainsi encore reculer…
Plus généralement, cette séquence confirme la tendance des partis politiques français à n’évoquer les Outre-mer que pour répondre à l’urgence, aux crises, aux manifestations ou aux risques de révolte – c’est-à-dire à l’émotion. Il leur manque toujours une vision de fond, sur le temps long et attachée concrètement aux réalités locales, structurée et inscrite dans un programme susceptible d’être appliqué.