L’identité, nature ou culture ? Entretien avec François-Marie Portes

10 février 2023

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Photo : L'école d'Athènes, Raphaël (c) Wikipédia
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L’identité, nature ou culture ? Entretien avec François-Marie Portes

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Le processus de maturation identitaire est une quête longue et angoissante. Elle l’est d’autant plus aujourd’hui dans une société qui à la question « Qui suis-je ? » apporte comme réponse « ce que tu veux ». Une approche philosophique du sujet permet ainsi de revenir aux fondamentaux de l’identité. Un sujet crucial au moment où l’identité est l’un des moteurs de la géopolitique mondiale. 

Docteur en philosophie et directeur et enseignant à l’Ircom Lyon, François-Marie Portes est l’auteur de  Sexe, Gender et Identités: Essai sur l’identité sexuelle et La femme au Moyen-Age. Aristote contre l’Évangile.

Propos recueillis par Côme de Bisschop et Jean-Baptiste Noé

Sur un sujet comme l’identité sexuelle, il est souvent difficile de dialoguer de manière rationnelle et réfléchie sans avoir un débat hystérique. Dans une société où la logique et les critères communs nécessaires au dialogue semblent s’effacer, comment réussir à traiter cette question de façon rationnelle ?

C’est peut-être mon optimisme stupide, mais je suis assez confiant dans l’intelligence humaine. Certains nient le principe de non-contradiction. Pour ceux-là, Aristote disait qu’il fallait simplement leur mettre des coups de bâtons, car ils ont beau nier l’existence de la logique, ils l’utilisent eux-mêmes lorsqu’ils parlent et lorsqu’ils pensent. Ainsi, la logique n’est pas une affaire extérieure et secondaire, mais d’abord un fonctionnement naturel de notre intelligence. Il y a cependant des personnes avec lesquelles on ne peut radicalement pas discuter, notamment des personnes éprises d’un néo-féminisme violent par exemple. Pour celles-ci, il n’est plus question de discuter puisque tout ce qui relève de la discussion est vécu comme un patriarcat déguisé donc comme une instance de domination.

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La plupart des personnes sont aujourd’hui fortement attachées au sentimentalisme, interdisant ainsi tout discours qui irait à l’encontre du ressenti de chacun. Comment établir un dialogue avec des personnes qui vivent tout de manière sensitive ?

C’est la question de l’identité. Comme l’individu est laissé seul, il n’a plus grand-chose pour pouvoir se définir lui-même. C’est le sens d’une de mes parties sur le féminisme où j’explique que le féminisme est une conséquence de la philosophie dite du « sujet » et non une instance politique. On arrive enfin à une aporie de la philosophie initiée par Descartes. C’est-à-dire la fin du sujet qui essaie de se trouver en retournant son intelligence contre lui pour essayer de se définir par lui-même. Quand on parle des questions identitaires et pas seulement sexuelles, la personne n’arrive pas à distinguer sa thèse, son désir et ce qu’il est. L’enjeu de ce livre est justement d’essayer de ramener à la rationalité l’ensemble des dimensions de la personne qui ne se limitent pas à celles dont elle a conscience. C’est-à-dire qu’il y existe beaucoup de phénomènes en moi dont je n’ai pas conscience et qui pourtant font partie de mon identité. Ainsi, avoir un dialogue constructif avec quelqu’un qui est dans l’hyper-sentimentalisme est certes complexe, mais lui faire prendre conscience que sa personne dépasse le simple champ de sa conscience, c’est une bonne chose et c’est possible.

Dans l’identité il y a une partie que l’on se construit et il y a une partie dont on hérite. Comment intègre-t-on nos dimensions sexuelles à notre propre personne ?

Il y a plusieurs dimensions à la question de l’identité sexuelle. La première est la dimension biologique, qui est à la fois chromosomique XX ou XY chez l’être humain et phénotypique avec les organes génitaux. S’ajoutent à cela deux dimensions qu’il est souvent difficile de démêler. Il y a une dimension psychologique du sexe et une dimension sociale du sexe. Le sexe psychologique, c’est l’intégration consciente que l’individu va être capable de faire entre la dimension biologique et la dimension sociale de sa sexualité. En effet, l’environnent de chaque individu véhicule une représentation sur son identité sexuelle. Par exemple, écouter des personnalités publiques, pour lesquelles vous avez de l’intérêt, raconter que la transition sexuelle est une très bonne chose, va naturellement vous rendre plus favorable à la question de la transition sexuelle. Cependant, cette dimension n’est ni bonne ni mauvaise, elle est le principe même de notre identité, tout ce qui existe en l’homme a besoin de passer par le crible de l’éducation et de la culture, du fait de notre rationalité.

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Le sujet de l’identité sexuelle c’est aussi le rapport de la nature et de la culture. Il y a une dimension naturelle évidente, mais aussi culturelle. Philosophiquement, faut-il opposer nature et culture ?

Je pense sincèrement que l’opposition entre nature et culture est une opposition stérile, surtout lorsqu’elle concerne l’homme. En anthropologie, il est essentiel de comprendre qu’il est dans la nature de l’homme d’avoir une culture. Il n’y a donc rien en l’homme qui soit purement naturel. Cela s’explique par le fait que la rationalité de l’homme l’oblige à s’envisager comme un objet et envisager ses relations avec les autres comme un objet également, avant de se considérer lui-même comme un sujet. Peu importe la culture, les comportements sexuels d’antan visaient d’abord deux choses : l’amitié conjugale et la fécondité. Ces deux pôles ont été évacués dans notre société de manière très violente. C’est pour cela qu’il est d’autant plus difficile pour l’individu de trouver son identité sexuelle.

Si les choses sont culturelles, notre vision de l’homme et de la femme est issue de notre culture chrétienne là où d’autres cultures ont une vision complètement différente. Peut-on ainsi défendre une vision universelle de ce qu’est l’homme et la femme ?

Il est évident que le masculin et le féminin ne se retrouvent pas de la même façon dans les différentes cultures. Une société polygame n’aura jamais la même approche sur l’homme et la femme qu’une société monogame. De la même manière, dans un village où c’est l’oncle qui éduque l’enfant et non le père, la masculinité sera perçue différemment. En revanche, certaines visions vont davantage honorer les personnes. Dans certaines sociétés, les femmes sont considérées comme des mineurs, au sens où elles ne possèdent pas de droits juridiques, ce qui n’est pas le cas dans nos sociétés occidentales où l’homme et la femme sont égaux en droits. La vision universelle sur ce qu’est l’homme et la femme ne peut qu’être obtenue à l’occasion d’une réflexion sur la finalité. Être homme ou femme pour quoi ? Seules trois finalités sont possibles : le bonheur des personnes, l’amitié conjugale et la fécondité.

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