Livre – La politique française de lutte contre le terrorisme depuis le 11 septembre 2001

31 janvier 2021

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Photo : Ground Zero, l'emplacement des tours jumelles suite à l'attentat qui les a visées. (c) Pixabay David Mark
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Livre – La politique française de lutte contre le terrorisme depuis le 11 septembre 2001

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Le 11 septembre 2001 a eu des répercussions à travers le monde entier. Ces attentats ont prouvé que les Etats-Unis n’étaient pas intouchables, et qu’il fallait désormais tenir sérieusement compte de la menace terroriste ambiante en provenance du Moyen-Orient. L’Occident a dû changer sa façon de réagir quant à ces questions. La place de la France et sa position dans ces affaires est abordé par Willy Buiron dans La politique française de lutte contre le terrorisme depuis le 11 septembre 2001.

 

Qu’est abondante la littérature en langue française sur le terrorisme, phénomène examiné sous tous ces aspects. Le présent ouvrage brosse un tableau complet sur vingt ans, en alliant la description positive à l’analyse critique, dans la tradition universitaire, sans vaines polémiques, le tout basé sur des sources substantielles, car l’auteur a été un acteur du terrain. En fait, c’est dès 1984 que les membres du Hezbollah libanais, fondé en 1982 ont commencé à s’implanter à Paris. Quatre bombes sont posées à Paris en février 1986 et trois en mars, revendiqués par le « Comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes et du Proche-Orient », attentats commis avec des moyens artisanaux. Aussitôt plusieurs pistes sont envisagées : milieux chiites iraniens, tunisiens et libanais en France, ainsi que le Koweït, peuplé de très nombreux chiites iraniens. Les attentats sont d’abord attribués par le ministre de l’Intérieur Charles Pasqua et son ministre délégué à la Sécurité Robert Pandraud, aux Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL), une organisation communiste à laquelle Georges Ibrahim Abdallah avait appartenu. Robert Pandraud reconnaitra ultérieurement : « Je me suis dit, qu’au fond, mettre en avant la piste Abdallah ne ferait pas de mal, même si ça ne faisait pas de bien. En réalité, nous n’avions alors aucune piste ». Aussi, le législateur français a réagi au terrorisme dès septembre 1986, puis à chaque vague d’attentats, soit une demi douzaine d’étapes, la dernière en octobre 2017. C’est toute cette législation extrêmement compliquée que l’auteur décrit et commente avec minutie.

Car en un  tiers de siècle, sans parler des vagues d’attentats anarchistes du XIXe siècle, le phénomène du terrorisme,  s‘est amplifié, diversifié et surtout est passé d’un stade quasi individuel, artisanal à des formes organisationnelles beaucoup plus sophistiquées. Il s’est surtout médiatisé. La spectacularisation de la violence politique est devenue sa principale caractéristique. Infraction formellement dépolitisée en droit pénal, mais matériellement politique, le terrorisme est une mise en œuvre de l’hostilité par le moyen d’attentats, l’attentat, noyau du phénomène, étant précédé, accompagné et suivi d’autres infractions (endoctrinement, propagande, financement, acquisition d’armes…). D’où le chef d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, collective ou individuelle. Il fut un temps où la cause qui dominait la scène terroriste internationale était le marxisme-léninisme et la révolution, dans les années soixante et soixante dix, Brigades rouges, bande à Baader. Puis du fait du conflit israélo -palestinien et de la guerre civile libanaise, il s’est fortement internationalisé. Depuis les années 1990, c’est le salafisme et le jihad, qui en est devenu la source principale. Il y eut aussi, et il y a encore, des causes nationales : irlandaise, depuis les années 1920, basque, arménienne, tamoule, kurde, tchétchène.

 

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Les attaques du 11 Septembre, que l’on  a qualifié «  d’hyperterrorisme » (François Heisbourg) ont marqué un tournant parce qu’elles ont inauguré l’attentat de masse, rhétoriquement assimilé à un acte de guerre, puis, elles ont déclenché par contrecoup la « guerre au terrorisme », américaine d’abord (phase I contre Al-Qaïda), européenne et américaine ensuite (phase II contre Daesh).  C’est désormais  ce   terrorisme islamiste djihadiste qui concentre la politique intérieure et extérieure de l’Etat français, comme de bien des Etats occidentaux, mais la France, est particulièrement visée, dans une lutte, voire une « guerre contre le terrorisme. Cette politique révèle davantage une dichotomie qu’un continuum de sécurité défense. L’emploi des pouvoirs de police étant réservé au territoire national, et les pouvoirs de guerre à l’étranger. En conséquence, qu’il s’agisse de l’intérieur ou de l’extérieur, l’Etat français s’est renforcé grâce à sa politique de lutte contre le terrorisme. L’auteur qualifie cette nouvelle réalité  d’aubaine, comme si l’Etat en profitait au détriment de la société civile et ses libertés publiques, alors que sa vocation est bien de préserver leur exercice ; de ce fait on a assisté à la mise à la disposition de l’administration de procédures exorbitantes et le développement constant d’un droit pénal dérogatoire du droit commun démontre un virage sécuritaire de l’Etat. Le terrorisme a aussi permis à l’Etat de réinvestir militairement des zones qu’il considère comme stratégiques et de remodeler sinon influencer son environnement international.

Si l’islamiste djihadiste occupe une place de plus en plus importante en France et si les Français sont victimes du terrorisme, l’Etat, lui, n’a pas vacillé, heureusement, sous les attentats. Au contraire, depuis le 11 septembre 2001, l’Etat s’est fortifié, en interne et sur la scène internationale, de deux manières. En procédant au renforcement liberticide et exorbitant de sa politique de sécurité intérieure (1ère partie), mais aussi par un recours hétérogène à l’armée, allant de l’auxiliaire de police à l’ultima ratio regnum. Willy Buiron expose la trajectoire et la panoplie : des mesures de police administrative et judiciaire exceptionnelles, y compris en matière de renseignement, à la réquisition de l’armée de terre à l’intérieur du territoire national (OPINT et au recours à la force armée (Sahel, Levant), en passant par la création d’un droit pénal spécial (le fond comme la procédure, les juridictions comme les peines) et par les homicides ciblés à l’étranger (opérations « homo »). L’ensemble « antiterroriste » est impressionnant : un droit d’exception, aussi bien en interne qu’en coopération européenne et mondiale, a été créé, dérogeant à l’État de droit. Destiné à faire face à une menace très grave, ce droit d’exception est issu d’une politique publique. À savoir la politique de sécurité intérieure, qui est l’un des deux piliers de la « sécurité nationale », avec la politique de défense, celle-ci davantage militaire, celle-là davantage civile. Une politique  publique fait l’objet d’une évaluation (parlementaire) quant à son efficacité. Il ne fait pas de doute que des centaines d’attentats ont été déjoués ou empêchés. L’intention des groupes jihadistes de déchaîner la guerre civile en France n’est plus à prouver. Dans ces conditions  sans recourir à l’ état d’urgence permanent,  c’est bien à l’état de vigilance permanent qu’il convient de déployer aux côtés de tout  cet arsenal répressif, une gamme d’actions  d’ordre éducatif, social, d’insertion et de mobilisation de toutes les instances de dialogue.

 

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À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
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